REPORTAGETension maximale dans l’usine Ariane 6 des Mureaux avant le premier vol

« Derrière cette porte, c’est Kourou… » L’usine Ariane 6 des Mureaux dans le sprint final avant le premier vol

REPORTAGE« 20 Minutes » a visité l’usine d’Ariane 6 des Mureaux, où est fabriqué l’étage principal de la fusée, à quelques jours de son départ pour Kourou en vue du vol inaugural prévu cet été
L'étage principal du premier modèle de vol d'Ariane 6, devant la porte qu'il franchira dans quelques jours pour rejoindre Kourou.
L'étage principal du premier modèle de vol d'Ariane 6, devant la porte qu'il franchira dans quelques jours pour rejoindre Kourou. - Benoit Vallet / ArianeGroup
Mickaël Bosredon

Mickaël Bosredon

L'essentiel

  • «20 Minutes » a pu visiter cette semaine l’usine d’intégration Ariane 6 des Mureaux (Yvelines), à quelques jours du départ du premier étage de la fusée vers la Guyane pour le vol inaugural du nouveau lanceur, programmé entre le 15 juin et le 31 juillet.
  • Pour ce nouveau programme, tout le processus de fabrication a été repensé par rapport à Ariane 5 : terminé l’intégration à la verticale, place à l’assemblage à l’horizontale.
  • La mise en place de tous les éléments fabriqués en Europe s’effectuera sur le pas de tir à Kourou, grâce à un portique mobile qui va soulever et redresser chaque pièce.

Seule une gigantesque porte les sépare. D’un côté, couché sur sa plateforme de travail, l’étage principal de trente mètres de long de la fusée Ariane 6. Celui-là même qui équipera le premier modèle de vol. De l’autre, le conteneur à l’intérieur duquel il va bientôt prendre place. « Derrière cette porte, c’est Kourou… », lance Yorick Mathias, chef de projet Ariane 6, en désignant l’enveloppe qui attend à l’extérieur du bâtiment.

Le premier étage intègre aussi la baie du moteur Vulcain 2.1.
Le premier étage intègre aussi la baie du moteur Vulcain 2.1. - Benoit Vallet

20 Minutes a pu visiter l’usine d’intégration Ariane 6 des Mureaux (Yvelines), à quelques jours du départ du premier étage de la fusée vers la Guyane pour le vol inaugural du nouveau lanceur, toujours programmé dans une fenêtre de tir entre le 15 juin et le 31 juillet. Dans cette dernière ligne droite, on aurait pu imaginer l’usine bourdonner comme une ruche. De l’agitation, de l’excitation. C’est au contraire dans un silence de cathédrale, et une tension palpable, que la visite s’est déroulée, avec pour consigne d’interrompre le moins possible nos interlocuteurs, pour ne pas déranger les ingénieurs en blouse blanche en train de procéder aux dernières vérifications. Seul un léger vrombissement, qui survient lorsque l’étage est momentanément mis sous tension, vient perturber de temps à autre la concentration maximale dans laquelle sont plongées les équipes d’ArianeGroup.

Soudain, moment d’émotion : l’immense porte s’entrouvre. L’étage et son conteneur s’entraperçoivent, dans une sorte de préliminaire avant leur rencontre officielle, toute proche désormais. On aurait aimé immortaliser la scène. Mais interdiction de photographier ou de filmer quoi que ce soit. Les téléphones portables ont été confisqués avant de pénétrer dans le bâtiment. Frustration.

« L’usine ressemble beaucoup plus à une usine aéronautique »

Chaque grand ensemble de la fusée est fabriqué au sein d’une usine spécifique : « le premier étage, ou étage principal, est fabriqué aux Mureaux ; l’étage supérieur à Brême, en Allemagne ; la coiffe qui protège les satellites embarqués est conçue en Suisse ; et les boosters, deux ou quatre en fonction des versions de la fusée [A62 ou A64], sont réalisés à Saint-Médard-en-Jalles, près de Bordeaux », énumère Gilles Debas, l’autre chef de projet Ariane 6. Pour ce nouveau programme spatial d’ArianeGroup, tout le processus de fabrication a été repensé par rapport à Ariane 5. Terminé l’intégration à la verticale, place à l’assemblage à l’horizontale. L’objectif ? Un travail moins fastidieux pour les opérateurs, un gain de temps et de productivité.

L’étage fabriqué aux Mureaux est constitué de deux réservoirs d’hydrogène liquide et d’oxygène liquide, c’est-à-dire les ergols qui fournissent l’énergie nécessaire pour propulser le lanceur. Ces composés sont très froids à l’état liquide : – 180 °C pour l’oxygène et – 250 °C pour l’hydrogène. « Il y a un peu trois usines en une » résume Yorick Mathias durant cette visite au pas de course. « Nous avons d’abord la production des réservoirs à hydrogène et oxygène, qui consiste à l’assemblage de panneaux entre eux. Ensuite, nous soudons plusieurs cylindres entre eux en faisant tourner les réservoirs de manière automatique. Et une fois les réservoirs assemblés, on projette une mousse dessus qui va permettre de conserver les ergols d’hydrogène et d’oxygène qui sont à l’intérieur à très basse température. »

Le premier étage intègre aussi la baie du moteur Vulcain 2.1. « Son intégration est d’une grande complexité avec une centaine d’équipements, de câbles à insérer » souligne François Deneu, directeur du programme Ariane 6. « L’usine ressemble beaucoup plus à une usine aéronautique, avec une intégration à l’horizontale, des stations qui se succèdent, et une approche de la production la plus agile possible » décrit de son côté Franck Huiban, directeur des programmes civils chez ArianeGroup.

Transport par la Seine avant de traverser l’Atlantique

Pour le modèle qui va bientôt partir à Kourou, « nous sommes dans les toutes dernières étapes, qui consistent à vérifier une série de points névralgiques pour être certains qu’ils sont exempts d’anomalies. Et au fur et à mesure, les inspecteurs qui contrôlent l’étage ferment des zones, jusqu’à la mise en configuration de l’étage pour le transport à l’intérieur du conteneur » décrit Gilles Debas. Une manipulation qui va se dérouler en une journée, quand il fallait une semaine pour la réaliser avec Ariane 5.

N’imaginez pas de gros camions ni d’énormes grues. Tout va se faire délicatement, avec le moins de contact possible. L’étage principal de vingt tonnes, soit « le poids d’un gros bus RATP », évalue Yorick Mathias, sera d’abord posé sur un berceau. Lui-même roulera doucement vers l’intérieur du conteneur, sur des « petits véhicules autoguidés » (AGV, automatic guided véhicles). Une fois le conteneur refermé, il glissera tranquillement vers la Seine, à moins de 200 mètres du bâtiment, et prendra place sur une barge pour un voyage d’un peu plus d’une journée vers Le Havre (Seine-Maritime). « Toute l’histoire de ce site des Mureaux repose sur son accès à la Seine et au Havre » souligne Yorick Mathias.

Installés en zone sécurisée dans le port maritime, le conteneur et son précieux occupant seront ensuite chargés sur Canopée, le cargo hybride à voiles d’Ariane, pour une traversée de l’Atlantique de dix à quinze jours jusqu’en Guyane, où le colis est attendu courant février.

Passage du navire Canopée sous le pont Chaban-Delmas à Bordeaux, le 3 octobre 2023.
Passage du navire Canopée sous le pont Chaban-Delmas à Bordeaux, le 3 octobre 2023. - PHILIPPE LOPEZ

« Capables de faire deux lancements à quinze jours d’intervalle »

Ensuite, à Kourou, l’assemblage de tous les éléments fabriqués en Europe et amenés sur place par Canopée s’effectuera sur le pas de tir, grâce à un portique mobile qui va soulever et redresser chaque pièce. « Grâce à cette technique, nous serons capables de faire deux lancements à quinze jours d’intervalle si nécessaire. C’est sans comparaison avec Ariane 5, où il fallait au minimum deux mois entre deux lancements » pointe Franck Huiban.

Essai du modèle de test d'Ariane 6, sur le pas de tir à Kourou (Guyane).
Essai du modèle de test d'Ariane 6, sur le pas de tir à Kourou (Guyane). - ArianeGroup

« Le premier vol d’Ariane 6 sera un moment important, mais il ne doit pas nous faire perdre de vue les autres défis, comme la montée en puissance d’Ariane 6 » poursuit le directeur des programmes civils. A partir de 2027, ArianeGroup et sa filière commerciale Arianespace visent neuf à douze lancements par an. Le double d’Ariane 5. « C’est à ce moment que l’on saura si on a trop investi ou pas dans nos nouvelles usines, fait remarquer François Deneu, sourire aux lèvres. Je suis convaincu que nos clients seront très heureux lorsqu’on va les servir avec cette cadence élevée. » D’autant plus qu’ils sont nombreux, puisque Arianespace a déjà 28 commandes de lancement de satellites inscrites dans son carnet.

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