PAS taperLa douloureuse gestion des critiques, dernier héritage de la période Fourcade

Mondiaux de biathlon : La douloureuse gestion des critiques, dernier héritage de la période Fourcade

PAS taperLes championnats du monde de biathlon de Nove Mesto commencent mercredi. Les espoirs français reposent en grande partie sur les femmes, tandis que les garçons, décevants à l’image de Fillon-Maillet et Jacquelin, apprennent à vivre avec les critiques
Quentin Fillon-Maillet en a gros sur la patate de se faire harceler par les haters (ceci est évidemment fictif)
Quentin Fillon-Maillet en a gros sur la patate de se faire harceler par les haters (ceci est évidemment fictif) - AFP / AFP
William Pereira

William Pereira

L'essentiel

  • L’équipe de France masculine de biathlon, avec à sa tête Quentin Fillon-Maillet, connaît des résultats décevants cette saison après plusieurs années de succès.
  • Après sa belle mass start à Antholz, QFM avait fustigé les critiques, trop sévères à son goût
  • « Avec Martin, le biathlon a vraiment évolué. […] Et c’est la première fois que le groupe évolue à un moins bon niveau, notamment depuis la fin de saison dernière. Notre génération découvre ça », raconte Emilien Jacquelin

L’équipe de France masculine de biathlon a connu des jours meilleurs. Si elle ne parvient pas à rallumer la lumière de ses ambitions à l’heure où débutent les championnats du monde de biathlon à Nove Mesto, elle s’expose même à souffler la deuxième bougie d’un triste anniversaire : celui du nombre d’années sans victoire individuelle française. Le dernier à avoir levé les bras sur la ligne, le 10 mars 2022, s’appelle Quentin Fillon-Maillet. Un succès sur le sprint d’Otepää pour parachever une œuvre parfaitement tyrannique (huit victoires, 13 podiums, deux médailles d’or aux JO d’hiver) et lancer, croyait-on, l’ère QFM. Celle-ci tombait à pic pour combler le gigantesque vide que promettait de laisser le départ à la retraite de Martin Fourcade, en 2020.

Mais comme tout phénomène stellaire, le fabuleux apogée du leader actuel des Bleus n’était peut-être pas voué à durer. Et s’il a bénéficié de l’indulgence due aux grands vainqueurs en 2022-23 (8e du général, deux podiums), son aura s’est étiolée au gré d’une première moitié de saison 2024 indigne de son talent (16e de la Coupe du monde).

Comme personne n’a su prendre le relais derrière lui, pas même Emilien Jacquelin, tout juste sorti d’un long burn-out, c’est au leader de l’équipe de France de tout prendre dans la gueule. Jusqu’à l’indigestion, au micro de La Chaîne L’Equipe, après sa meilleure course de l’année à Antholz (4e, 20/20 mais trahi par un mauvais fartage).

« Il y a deux ans, on me mettait sur un piédestal, tel un Dieu du biathlon, rappelait QFM. Cette année, les critiques se font fortes. Je trouve ça dommage. Je m’adresse aux spectateurs qui ont la critique un peu facile […]. Les personnes qui sont là pour nous critiquer ou imaginer que c’est trop facile, qu’ils aillent mettre (NRJ) 12, et regarder la téléréalité. C’est fait pour ça, vous pourrez vous défouler et cracher votre venin. » »

Avaler le venin

La petite trêve avant les Mondiaux de Nove Mesto a permis de faire baisser la tension. Au téléphone, Fillon-Maillet redit son incompréhension face à la logique qui fait de vous « un dieu un jour et un moins que rien quand ça va mal », tout en lui donnant une tournure plus positive. « Ça forge aussi le caractère et ça construit les victoires. Si les victoires étaient trop faciles on en perdrait la saveur. » Et après tout, les critiques ne nourrissent-elles pas un esprit de revanche bien utile à l’heure de renouer avec le succès ? « Un peu. Je ne peux pas dire non, même si ce n’est pas quelque chose que je cultive naturellement. »

Difficile de ne pas voir dans cette douloureuse gestion des critiques le manque d’habitude des rescapés de la génération Fourcade, dont l’ego seul servait de bouclier à toute l’équipe. Le paratonnerre parti, ses successeurs ont certes très vite compris l’importance de relayer leur aîné dans son rôle de VRP du biathlon.

« Ils savent que répondre aux sollicitations des médias fait partie de leur boulot et y répondent de bon cœur », nous explique-t-on au sein de l’équipe de France. QFM, lui, ne manque jamais de glisser un « merci pour l’interview » avant de raccrocher. Mais ce n’est qu’aujourd’hui que les Fillon-Maillet et Jacquelin prennent la pleine mesure de la pression d’une discipline devenue ultra populaire à la télé au cours de la décennie précédente, jusqu’à s’établir autour du million de téléspectateurs pour La Chaîne L’Equipe (800.000 en moyenne pour chaque course des championnats du monde en 2023).

A la fois une bénédiction et une absurdité pour un sport qui compte autour de 700 licenciés dont 150 au meilleur niveau en partant des U15 jusqu’aux séniors. Et donc pas forcément taillé pour faire face à ce genre d’engouement.

« Avec Martin, le biathlon a vraiment évolué, acquiesce Emilien Jacquelin. Derrière, on a connu de très belles années et c’est la première fois que le groupe évolue à un moins bon niveau, notamment depuis la fin de saison dernière. Il s’est passé beaucoup de choses qui font que l’opinion publique peut très facilement nous taper dessus, et c’est la première fois qu’on le vit. Notre génération découvre ça. Ce qui rend ces critiques étranges avec du recul, c’est que, sur les 1.2 million qui regardent ça chaque week-end, 1.199.850 ne connaissent pas notre sport ! Mais j’essaye de passer au-dessus. Après le relais d’Oberhof, il y a eu beaucoup de critiques et j’ai tout simplement coupé le téléphone. Ça m’a permis de me recentrer sur moi-même. »

Chassé-croisé avec le groupe féminin

Le groupe féminin est aussi passé par là après le départ à la retraite de Marie Dorin-Habert, en 2018. Julia Simon – titrée en 2023 – et Justine Braisaz – championne olympique de mass start à Pékin en 2022 – ont mis du temps avant d’exploiter leur plein potentiel et s’inscrire dans la régularité. Sans oublier certains relais complètement bazardés pendant que les garçons sautaient au plafond.

« J’ai évolué à l’époque du roi Martin, se remémore Anaïs Bescond, aujourd’hui consultante pour La Chaîne L’Equipe. Nous à côté, on essayait d’exister. Et je suis ravie d’avoir vécu une ère où les garçons faisaient des triplés sur les podiums de même que je suis ravie aujourd’hui de me dire que les filles en ont la capacité. Je suis sûr que les garçons sont contents pour les filles, que dans le fond, ils ont un peu de frustration et d’envie mais quand on a déjà été au plus haut niveau, c’est normal. On parle de mecs champions du monde, médaillés olympiques, réguliers sur des podiums de Coupe du monde. On adorerait tous que les garçons reviennent aussi à ce niveau-là, car on serait les rois du monde. »

La dynamique ne plaide pas en faveur du scénario rêvé. D’une, car l’adversité norvégienne est infâme chez les garçons, une hégémonie à vous dégoûter de la vie. De deux, car l’approche de ces mondiaux de nos têtes d’affiche masculines transpire moins la confiance que l’humilité. QFM, par exemple, se contentera de « la médaille [qu’il peut] prendre s’il y en a une. En or, si possible ». Au vu des derniers mois, on ne lui en veut pas de ne pas exiger plus.