AlimentationQuel impact la cheapflation a-t-elle sur la santé ?

Cheapflation : Moins de poisson dans le surimi, de l’huile de palme dans des biscuits… Quel impact pour la santé ?

AlimentationL’association Foodwatch épingle ce mardi une demi-douzaine de marques, qu’elle accuse de « cheapflation », soit une modification de leurs recettes en remplaçant des ingrédients nobles par des ingrédients moins chers ou de moins bonne qualité
Parmi les produits alimentaires épinglés par l'association Foodwatch pour cheapflation, des bâtonnets de surimi dont la teneur en chair de poisson a baissé de 11%.
Parmi les produits alimentaires épinglés par l'association Foodwatch pour cheapflation, des bâtonnets de surimi dont la teneur en chair de poisson a baissé de 11%. - GILE MICHEL / SIPA
Anissa Boumediene

Anissa Boumediene

L'essentiel

  • Mardi, l’association Foodwatch a épinglé six grandes marques de l’agroalimentaire pour « cheapflation ».
  • Une pratique qui consiste à changer leurs recettes et à réduire des ingrédients, les supprimer ou les remplacer par des substituts moins chers ou de moindre qualité.
  • Et pour la santé des consommateurs, quelles sont les conséquences ?

Payer plus cher, pour des produits alimentaires de moins bonne qualité. Dans le cadre d’une enquête menée avec l’émission « France grand format », diffusée mardi soir sur France 2, l’association de défense des consommateurs Foodwatch a épinglé six produits alimentaires de grandes marques dont la composition a été altérée. Dans le même temps, leurs prix ont augmenté, le tout, souvent à l’insu des consommateurs, en pleine période d’inflation.

C’est la « cheapflation », contraction de « cheap » ( « bon marché ») et « inflation ». Une pratique qui consiste à réduire des ingrédients, les supprimer ou les remplacer par des substituts moins chers ou de moindre qualité. Concrètement, cela donne des rillettes de poulet Bordeau Chesnel contenant 5,5 % de viande de poulet de moins qu’auparavant, ou encore des cookies Milka (Mondelez) dont la nouvelle recette a remplacé l’huile de tournesol par de l’huile de palme, pointe Foodwatch. Mais quel est l’impact de cette cheapflation pour la santé des consommateurs ?

Baisse des ingrédients nobles et hausse de l’ultra-transformation

Parmi la demi-douzaine de produits épinglés : les bâtonnets de surimi « Le moelleux » de la marque Fleury Michon, qui comprennent 11 % de chair à poisson en moins, alors que le prix au kilo a augmenté de 40 % entre 2021 et 2023. A l’été 2021, la marque se vantait pourtant de la précédente recette de son produit : « Notre surimi Le Moelleux est celui qui contient le plus de poisson sur le marché : 43 % ! », expliquait-elle sur son compte Facebook. Désormais, il n’en contient plus de 38 %. L’emballage précise bien qu’il s’agit d’une « nouvelle recette », mais cela laisse « penser à un changement en faveur du consommateur, "sans conservateurs ni arôme artificiel "… alors qu’il n’y en avait déjà pas avant ce nouvel emballage », dénonce Foodwatch.

Si selon les informations de Foodwatch, Fleury Michon « a fait ces changements pour proposer un prix accessible sur ce produit sans faire de compromis sur la qualité des ingrédients », l’association se demande pourquoi la marque fait-elle « un compromis sur la transparence ? » Un changement de recette qui « pose plusieurs questions », estime le Dr Anthony Fardet, auteur de Pourquoi tout compliquer ? Bien manger est si simple (éd. Thierry Souccar), chercheur en alimentation préventive, durable et holistique, et spécialiste européen des aliments ultra-transformés. « Le risque que laisse imaginer cette pratique, explique-t-il, c’est que pour diminuer les coûts de production, les industriels diminuent la part d’ingrédients nobles dans leurs recettes, en utilisant des artifices comme des marqueurs d’ultratransformation : il s’agit par exemple de mettre moins de fruits en les remplaçant par des arômes, ou de mettre des texturants pour masquer la diminution de la part de poisson ».

Il faudrait pouvoir comparer la recette précédente à la nouvelle, mais « on peut supposer que pour compenser la baisse de la proportion de chair de poisson dans les bâtonnets de surimi, la marque a ajouté davantage d’amidon, parce que cela ne coûte rien », poursuit le chercheur. Mais cela pourrait coûter à notre santé, rappelle l’Inserm : « Une consommation importante d’aliments ultra-transformés est associée à un surrisque d’obésité, de diabète et de cancer ». Une nouvelle étude montre que la santé mentale ne serait pas épargnée non plus.

« Cela dégrade le potentiel santé de l’aliment »

Mais les effets délétères de la cheapflation ne s’arrêtent pas là. « L’autre risque potentiel, c’est que les marques modifient leurs recettes en augmentant la part des ingrédients culinaires classiques bon marché, comme le sucre et les graisses, toujours en vue de masquer la diminution de la part d’ingrédients nobles, avance le Dr Fardet. Ce qui est le plus cher dans un aliment, c’est toujours le produit noble de départ : la viande, le poisson ou encore les fruits. Si les industriels réduisent la part de ces aliments nobles et chers, c’est toujours soit au bénéfice de plus de gras, de sucre ou de sel, ou de nouveaux marqueurs d’ultra-transformation. Donc théoriquement, cela dégrade le potentiel santé de l’aliment. D’autant que potentiellement, les produits de départ n’étaient peut-être déjà pas les meilleurs sur le plan nutritionnel, certains pouvant déjà être ultra-transformés ».

Un avis partagé par Marie-Laure André, diététicienne nutritionniste et autrice de l’ouvrage Les 7 lois de la minceur (éd. Leduc) : « Si on remplace une partie de la chair de poisson ou de la viande de poulet – riches en protéines – par des ingrédients bas de gamme comme de l’huile, du sucre, du sel ou de l’eau, c’est forcément moins intéressant d’un point de vue nutritionnel : le surimi est ainsi plus riche en glucides qu’en protéines, insiste-t-elle. C’est un complément de protéines, mais cela ne peut pas compter pour une part de protéine, les consommateurs doivent en prendre conscience. Mais en pratique, ils ont du mal à mesurer le degré de transformation des produits. Pourtant ils s’intéressent aux ingrédients, au tableau nutritionnel sur les emballages, mais c’est compliqué à décrypter, ils manquent de repères : quand vous regardez le tableau nutritionnel de ce surimi, beaucoup ignorent si une teneur en protéines de 6,8 grammes pour 100 grammes de bâtonnets est bien ou non ». Et remarquent-ils que le produit contient 11 grammes de glucides pour 100 grammes, et que le second ingrédient de la liste est de l’eau ? Pas sûr.

Autre produit pointé du doigt par Foodwatch, les cookies de la marque Milka, qui a troqué en catimini dans sa nouvelle recette l’huile de tournesol par de l’huile de palme. Un changement de graisse végétale qui n’est pas anodin. Si l’huile de palme a l’avantage pour les industriels de coûter bien moins cher – surtout depuis le début de la guerre en Ukraine qui a entraîné tensions d’approvisionnement et hausse des prix de l’huile de tournesol – cette huile issue du fruit des palmiers à huile est surtout une alternative qui « n’est pas intéressante d’un point de vue nutritionnel parce qu’elle est riche en acide palmitique, souligne la nutritionniste. Qui appartient à la famille des acides gras saturés à longue chaîne, soit les plus nocifs pour la santé cardiovasculaire ».

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