ARGENT MAGIQUEMais où partent les 20 milliards de bénéfices de TotalEnergies ?

TotalEnergies : 20 milliards de bénéfices en 2023… Mais où va tout cet argent ?

ARGENT MAGIQUELe géant pétrolier français a annoncé ce mercredi un bénéfice net de 19,8 milliards d’euros pour l’année 2023
Les profits de TotalEnergies n'ont pas ravi les militants de Greenpeace qui ont manifesté devant la tour Total à La Défense.
Les profits de TotalEnergies n'ont pas ravi les militants de Greenpeace qui ont manifesté devant la tour Total à La Défense. - Dimitar DILKOFF / AFP / AFP
Guillaume Novello

Guillaume Novello

L'essentiel

  • Ce mercredi, TotalEnergies a annoncé un bénéfice net de près de 20 milliards d’euros pour 2023, en légère hausse par apport à l’année précédente. Mais à quoi sert tout cet argent ?
  • Une partie est distribuée aux actionnaires via les dividendes, une autre sert à financer les investissements, et enfin une dernière est utilisée pour se désendetter.
  • Mais pour Maxime Combes, économiste à l’Observatoire des multinationales, ces profits ne financent pas assez la transition énergétique. Il appelle les pouvoirs publics à les taxer pour pouvoir répondre au défi du changement climatique.

Près de 20 milliards d’euros, 19,8 milliards d’euros pour être exact. Soit environ 934.000 années de Smic, pour celles et ceux qui ont du mal à se rendre compte. C’est le bénéfice net pour 2023 annoncé ce mercredi par TotalEnergies. Pas le chiffre d'affaires, mais bien le bénéfice. Il est d’ailleurs en augmentation de 4 % par rapport à 2022. Ce qui fait rire jaune Maxime Combes, économiste à l’Observatoire des multinationales : « L’an dernier, le PDG, Patrick Pouyanné, nous disait que les méga-profits de 2022 étaient très conjoncturels, liés à la guerre en Ukraine, on voit que ce n’est pas le cas. Sur les cinq dernières années, les profits de TotalEnergies sont de cet ordre de grandeur. »

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Un constat que tempère Pascal Quiry, professeur de finances à HEC. « Le secteur pétrolier est très cyclique et dépend fortement du prix du baril, explique-t-il. En 2016 par exemple, Total n’a fait que 8 milliards de dollars de profits. » D’où la question qui nous intéresse : mais que fait TotalEnergies de tout cet argent ?

Un petit cours de compta s’impose avec notre prof de HEC, qui préfère parler de flux de trésorerie d’exploitation, un indicateur plus large que le bénéfice net (mais plus parlant) :

« Total a dégagé en 2023 un flux de trésorerie d’exploitation – c’est-à-dire la différence entre ce qui sort et ce qui entre dans la caisse – de 54 milliards de dollars. Ce flux se décompose ainsi : 25 milliards ont été consacrés à de l’investissement, mais TotalEnergies a aussi cédé des actifs pour 8 milliards, 13 milliards prélevés par les impôts, un milliard pour les frais financiers (intérêts d’emprunt, par exemple), 8 milliards pour les dividendes, 9 milliards pour les rachats d’action et 6 milliards pour le désendettement. » »

Et c’est ce que fait TotalEnergies de tout ce cash qui révolte Maxime Combes. « Entre les dividendes et les rachats d’actions [l’entreprise achète ses propres actions souvent pour hausser artificiellement son cours en bourse], on atteint 17 milliards d’euros qui partent dans la poche des actionnaires. » Une observation que Pascal Quiry demande à relativiser. « Il faut mettre cela en perspective avec l’apport en capital des actionnaires, qui en 2023 se situe à 120 milliards de dollars. Ce niveau de résultat n’est pas illogique dans une phase haute du cycle comme l’an dernier. » Sauf que les rémunérations des actionnaires augmentent plus vite que la profitabilité, dénonce Maxime Combes. « Même en 2020, quand les bénéfices ont été négatifs à cause du Covid-19, on a maintenu la rémunération des actionnaires à 6 milliards de dollars. »

Des investissements bons pour la planète ?

Autre sujet qui fâche l’économiste de l’Observatoire des multinationales, le fléchage des investissements. « Jusqu’en 2030, Total Energies prévoit d’augmenter ses investissements dans les énergies fossiles, ce qui est totalement incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique », dénonce-t-il. Il ajoute que ces derniers sont toujours aujourd’hui trois fois plus importants que les investissements dans les énergies bas carbone, « autour de 3 à 5 milliards de dollars par an, sur les cinq dernières années. » « Les profits augmentent mais pas les investissements dans la transition énergétique », regrette-t-il.

C’est pourquoi il propose une taxation de ces profits pour financer la sortie des énergies fossiles. « Vus que les investissements ne sont pas suffisants, il est normal que les pouvoirs publics prennent le relais en les finançant via l’impôt », explique-t-il. « Ce n’est pas nécessairement souhaitable, s’oppose Pascal Quiry. Ce n’est pas le rôle de l’Etat de financer la transition énergétique, mais aux entreprises. D’ailleurs TotalEnergies est en avance sur les quatre autres majors pétrolières, comme Exxon ou Shell. Ils savent très bien que le pétrole n’est pas infini et investissent beaucoup dans les énergies renouvelables pour y faire face. » Et le professeur d’HEC de se féliciter que la France possède « un pétrolier fort alors qu’il n’y a pas une goutte de pétrole sur le territoire, capable de maintenir le carburant en dessous des 2 euros à la pompe contrairement à ses concurrents étrangers ».

Enfin – et même si ce n’est pas la taxe sur les super-profits réclamés par des politiques de gauche et certaines ONG comme Oxfam, est en train de se mettre en place une taxation minimale des entreprises de 15 % au sein des 140 principaux pays du monde, afin de mettre fin aux pratiques d’optimisation fiscale des multinationales. « C’est une bonne nouvelle, salue Pascal Quiry. Cela apporte un peu de morale dans la concurrence mondiale. »

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