perte sècheQui va payer l’addition du blocage des autoroutes ?

Manifestation des agriculteurs : Qui va payer l’addition du blocage des autoroutes ?

perte sècheDurant près de dix jours, les agriculteurs mobilisés ont multiplié les blocages sur les autoroutes, générant des dizaines de millions d’euros de pertes d’exploitations
Un blocage sur l'A43, entre Lyon et Grenoble, le 30 janvier 2023.
Un blocage sur l'A43, entre Lyon et Grenoble, le 30 janvier 2023. - M. ALLILI/SIPA / AFP
Alexandre Vella

Alexandre Vella

L'essentiel

  • Les manifestations des agriculteurs de la seconde quinzaine de janvier ont entraîné la fermeture de nombreuses portions autoroutières.
  • Les pertes d’exploitation peuvent être estimées entre 9 et 12 millions d’euros par jour.
  • Quelles solutions auraient les sociétés concessionnaires pour se faire indemniser ?

Le sujet est manifestement gênant pour les sociétés autoroutières qui n’ont pas souhaité s’exprimer à ce propos. Durant une dizaine de jours, les agriculteurs mobilisés ont fortement perturbé le trafic routier et autoroutier en multipliant les points de blocages, entraînant une chute du trafic de l’ordre de 30 à 40 %, selon des estimations.

Considérant leur chiffre d’affaires en 2022 de 11 milliards d’euros, soit environ 30 millions d’euros par jour, la perte quotidienne d’exploitation se situe entre 9 et 12 millions d’euros, selon le pourcentage retenu. Multiplié par la dizaine de jours qu’a duré le mouvement, nous voilà parvenus à une somme totale qui ne ferait pas rougir un gros lot de la Française des jeux, et qui regarde de bien haut les coûts engendrés par les dégradations de bitume ou de barrières de péages.

Mais ce ne sont pas avec des tickets de loto que se sont bâties les fortunes de Vinci, d’Eiffage ou encore d’Abertis, les principales sociétés françaises qui se partagent les concessions autoroutières. « Nous allons évidemment essayer de nous faire compenser ces pertes, mais ne sommes pas très confiants de l’issue », avance sous couvert d’anonymat un employé bien informé. « A vrai dire, il n’y a pas de clauses dans nos contrats qui prévoient ce genre de situation », poursuit cette personne.

Un « problème d’acceptabilité par l’opinion publique »

Plusieurs options pourraient cependant être mises sur la table. Frédéric Mau, de la CGT pôle route d’Eurovia, la filiale de Vinci chargée de l’entretien des autoroutes, imagine bien « une petite prolongation de concession en guise de dédommagement ». Une hypothèse qui fait dire à notre interlocuteur anonyme que celui-ci « rêve debout » et que si évidemment les sociétés concessionnaires ne seraient pas contre un tel dispositif, « les ordres de prix ne sont pas les bons » en plus « du problème d’acceptabilité par l’opinion publique » de pareilles négociations.

Une seconde option, « plus probable » serait une hausse négociée des tarifs des péages. Enfin, la solution la plus discrète serait de convenir d’une hausse de la soulte, somme que versera l’Etat aux sociétés concessionnaires au moment de l’expiration de leur contrat (dès 2031 pour la Sanef du groupe Abertis, 2036 pour ASF de Vinci) s’il devait en reprendre la gestion directe.

Resterait une solution judiciaire et un retournement contre l’Etat. Car, après tout, l’Etat n’est-il pas garant de la liberté de circulation ? Une démarche jugée « intéressante » par Véronika Honzikova, avocate spécialisée en contentieux de droit des affaires, mais très difficile à plaider : « Il y a le droit de grève en France, et elles sont nombreuses », poursuit l’avocate qui estime toutefois « fantaisiste » l’idée de parvenir à faire condamner l’Etat sur ce différend, « déjà que c’est compliqué pour d’autres faits ».

Un second conseil, de maître Jade Gonnet, invite plutôt « à se retourner contre les syndicats d’agriculteurs, pour obtenir une responsabilité collective. Ou sinon, d’assigner directement les leaders syndicaux qui ont appelé à ces blocages. Sachant qu’ils ne seront pas solvables, ceux-ci se retourneraient alors sur les syndicats. De toute façon, l’idée dans ce genre d’affaire et de trouver un régleur ». Comprenez : quelqu’un qui va pouvoir payer. Il pourrait y avoir aussi la tentation de se tourner vers les assureurs, mais dans le cas « de dégradations volontaires ou de délits, ceux-ci ne couvrent d’ordinaire pas directement les dépenses, sauf à elle-même se retourner sur les responsables ».

Demeure à considérer l’option de la perte sèche. Un manque à gagner qui ne devrait toutefois pas compromettre la bonne santé financière des sociétés concessionnaires d’autoroutes.