DECESRobert Badinter, aux origines de son combat contre la peine de mort

Robert Badinter : « La lame qui coupe un homme vivant… » L’abolition de la peine de mort chevillée au corps

DECESL’ancien ministre de la Justice Robert Badinter s’est éteint ce vendredi à l’âge de 95 ans. Il a voué une partie de sa vie à la lutte contre la peine de mort
Robert Badinter, farouche opposant à la peine de mort, est décédé
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • L’ex-ministre de la Justice Robert Badinter s’est éteint ce vendredi à l’âge de 95 ans.
  • Il a combattu toute sa vie contre la peine de mort, un engagement né lors du procès de Roger Bontems, condamné à la guillotine.
  • La peine de mort « est une honte pour l’humanité », déclare-t-il en 2007, alors que cette disposition entre dans la constitution.

«Une société n’envoie pas se faire couper en deux, vivant, un homme qui n’a pas tué », lance, le 29 juin 1972, Robert Badinter devant la cour d’assises de l’Aube. Celui qui est alors pleinement avocat défend Roger Bontems, un ancien militaire qui a participé à une prise d’otages sanglante dans la prison de Clairvaux. Son complice a reconnu avoir porté les coups mortels, les avocats de Bontemps ont bon espoir. La cour viendra les doucher : l’accusé sera envoyé à l’échafaud et exécuté dans la nuit du 27 au 28 novembre 1972. Il avait 36 ans.

« C’était la première fois que je défendais un homme qui encourait réellement la peine de mort et j’ai probablement découvert là ce que cela signifiait comme intensité et comme angoisse », confiera vingt ans plus tard sur France Culture Robert Badinter, qui s’est éteint ce vendredi à l’âge de 95 ans. Cette affaire marquera le point de départ d’un combat d’une vie : celui de la lutte contre la peine de mort. Un sacerdoce que ce ténor commence par porter dans les cours d’assises.

« La lame qui coupe un homme vivant en deux »

Cinq ans après l’exécution de Roger Bontems, il assure la défense de Patrick Henry, jugé pour l’enlèvement et le meurtre du petit Philippe Bertrand, âgé de 7 ans. L’affaire a semé l’effroi en France. Le lendemain de la découverte du corps de l’enfant, le présentateur du JT, Roger Gicquel, ouvre son JT par des mots entrés dans les mémoires : « La France à peur ». L’opinion publique réclame la tête de Patrick Henry. L’accusé a reconnu les faits. L’affaire est bien mal engagée. Robert Badinter décide alors de faire de ce procès celui de la peine de mort.

Dans sa plaidoirie, le ténor rappelle le « bruit que fait la lame qui coupe un homme vivant en deux », assure qu’une telle peine ne dissuadera pas un criminel de passer à l’acte. « Si vous décidez de tuer Patrick Henry, c’est chacun de vous que je verrai au petit matin, à l’aube. Et je me dirai que c’est vous, et vous seuls, qui avez décidé », lance-t-il aux jurés pour qu’ils mesurent le poids de leur décision. A l’époque, il faut huit voix sur douze pour que l’accusé soit condamné à la peine capitale. Le 20 janvier, Patrick Henry est reconnu coupable mais condamné à la réclusion criminelle à la perpétuité : seuls sept jurés se sont prononcés en faveur de la peine de mort.

« La justice française ne sera plus une justice qui tue »

L’affaire provoque la stupeur, Robert Badinter est surnommé « l’avocat des assassins », mais cela n’entame en rien sa détermination. En 1981, il est nommé ministre de la Justice par François Mitterrand. C’est à lui que revient la charge de porter ce projet de loi. A l’époque, 63 % des Français sont contre l’abolition de la peine de mort. Le 17 septembre 1981, devant l’Assemblée nationale, il se lance dans un véritable réquisitoire. « Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées. » 363 députés se prononcent en faveur de l’abolition, 117 contre. Reste désormais à convaincre le Sénat, chambre par essence plus conservatrice. Les débats sont passionnés, mais l’abolition est finalement adoptée à 160 voix contre 126.

La loi mettant fin à la peine de mort est promulguée le 9 octobre 1981. Vingt-cinq ans plus tard, le 19 février 2007, l’abolition est inscrite dans la Constitution par le Parlement réuni en Congrès à Versailles. Robert Badinter déclare alors : « La peine de mort est vouée à disparaître de ce monde comme la torture, parce qu’elle est une honte pour l’humanité. Jamais, nulle part, elle n’a fait reculer la criminalité sanglante. »

Mais le combat de Robert Badinter contre la peine capitale s’inscrit dans un combat plus large encore : celui de la lutte pour les droits fondamentaux. En 2001, il soutiendra la libération en raison de son âge de Maurice Papon, pour crimes contre l’humanité pendant le régime de Vichy. Un geste hautement symbolique pour cet homme dont le père a été déporté pendant la Seconde Guerre mondiale. Arrêté à Lyon par la Gestapo en 1942 – Robert Badinter avait alors 14 ans – il est mort dans le camp de concentration de Sobibor.