biathlonAlors ça donne quoi cette révolution du fartage sans fluor dans le biathlon ?

Mondiaux de biathlon : « On se creuse les méninges »… Alors, ça donne quoi cette révolution du fartage sans fluor ?

biathlonDepuis le début de la saison, les équipes n’ont plus le droit de farter les skis en utilisant des produits contenant du fluor, ce qui change profondément l’approche de la discipline
Johannes Boe lors du relais mixte des Mondiaux de biathlon de Nove Mesto, le 7 février 2024.
Johannes Boe lors du relais mixte des Mondiaux de biathlon de Nove Mesto, le 7 février 2024.  - Petr David Josek/AP/SIPA / SIPA
Nicolas Camus (avec William Pereira)

Nicolas Camus (avec William Pereira)

L'essentiel

  • Les championnats du monde de biathlon ont débuté cette semaine à Nove Mesto, en République Tchèque.
  • L’occasion de faire le point sur les deux premiers mois de compétition sans fluor, dont l’interdiction totale a (enfin) été instaurée en début de saison.
  • Si les athlètes ont sensiblement ralenti la cadence, il n’y a de manière générale pas de très grandes différences entre les nations, mais il reste encore une part d’inconnu dans ce nouvel environnement qui se met en place après 40 ans d’utilisation intensive de ce produit aux propriétés hydrophobes miraculeuses.

C’était la grande nouveauté de cette saison de biathlon, une sorte de saut dans l’inconnu qui faisait craindre aux équipes de ne pas réussir à retomber sur leurs skis. Mais dans l’ensemble, la transition semble s’être déroulée en douceur. L’interdiction de l’usage du fluor dans les produits de fartage à cause de sa grande nocivité pour la santé et l’environnement, enfin entrée en vigueur après plusieurs reports depuis une première annonce en 2020, n’a pas bouleversé la hiérarchie. A l’image des trois premières épreuves des championnats du monde, qui ont vu la France rouler sur la concurrence chez les dames et la Norvège en faire de même chez les messieurs, les six étapes qui ont ouvert la saison ont accouché de la domination habituelle des mêmes grandes nations de ce sport.

Reparti de zéro

En fait, le branle-bas de combat a davantage eu lieu avant la reprise des compétitions. Prenez Grégoire Deschamps, par exemple. Le patron des techniciens de l’équipe de France s’est fait un road trip de trois semaines à travers l’Europe pendant l’été pour visiter tous les fabricants de fart. Et il y en a beaucoup. « Nous n’avons jamais autant travaillé, j’ai l’impression de réapprendre mon métier », disait-il lors d’un point presse juste avant la première étape de Coupe du monde à Ostersund, en novembre.

Au moins, grâce aux atermoiements de la Fédération internationale (IBU), freinée par la difficulté de mettre au point un détecteur de fluor fiable à 100 %, les manufacturiers du fart avaient eu le temps de se préparer. « Nous avons entamé cette transition vers le no-fluor dès 2019 », nous répond ainsi l’ancien biathlète allemand Steffen Hoos, aujourd’hui manager du service « courses internationales » chez le fabricant norvégien Swix, un des leaders mondiaux du marché. Même chose chez le Français VOLA. « Le développement a commencé en 2018, on a sorti nos premières gammes de produits dès 2020, pour arriver le jour de l’interdiction avec des produits performants », explique Johan Charlet, le référent de la marque haut-savoyarde pour le haut niveau.

Julia Simon lors sa victoire sur la mass start d'Antholz, en janvier.
Julia Simon lors sa victoire sur la mass start d'Antholz, en janvier.  - Alessandro Trovati/AP/SIPA

Si personne n’a attendu l’été dernier pour effectuer des tests, ces trois premiers mois de compétition ont toutefois permis de grandes avancées. Car rien ne vaut les retours d’expériences des techniciens et des biathlètes eux-mêmes dans les conditions du réel. « On a déjà fait évoluer les produits existants, et on va en sortir de nouveaux bientôt, poursuit Johan Charlet. Aujourd’hui, on est sûrs de leur fonctionnement et des conditions précises dans lesquelles il faut utiliser tel ou tel produit. »

Une marque comme VOLA, qui compte parmi les fournisseurs de toutes les principales équipes du circuit, propose une quinzaine de produits pour la compétition, répartis en quatre gammes de températures. C’est là la base du fartage, on n’utilise pas le même produit selon le taux d’humidité de la neige et de l’air, leur température et la forme du grain de neige. C’est aux techniciens de tenir compte de tous ces paramètres et de définir ce qu’il veut mettre sous les skis de ses athlètes.

« Ne pas courir après l’exploit à la glisse »

Le remplacement du fluor, dont l’apparition au milieu des années 80 avait révolutionné la pratique, n’est évidemment pas aisé. Il n’existe pas d’éléments chimiques aussi hydrophobes. « Le défi est de trouver des additifs respectueux de l’environnement et de la santé humaine et qui, assemblés, génèrent la même qualité de glisse », résume le référent de la marque française. Une équipe dédiée effectue constamment des tests en laboratoire et sur le terrain. « On essaie d’autres approches que celles qu’on connaissait avec le fluor, parce que rien ne peut le remplacer tel quel. Il faut trouver de nouvelles manières de glisser », ajoute-t-il.

Sur la piste, ça a l’air de plutôt bien se passer. Si les athlètes avancent moins vite – d’une à deux minutes par course en moyenne –, on ne constate pas un biathlon à deux vitesses, comme on pouvait le craindre en début de saison avec notamment une équipe de Norvège largement en avance sur la concurrence. Mais chaque course est un nouveau stress. « Dès fois on va apporter un petit bénéfice aux athlètes, dès fois on sera au niveau des autres et des fois on apportera une moins-value. Ce qui est important est d’être régulier sur l’ensemble de la saison, estimait Grégoire Deschamps jeudi auprès des confrères du Dauphiné. Il faut faire attention à ne pas courir après l’exploit à la glisse, car on part sur des choses de plus en plus risquées. C’est l’athlète qui prend le risque au tir, qui guide sa course et nous on n’a pas le droit de jouer avec leur carrière. C’est une compétition entre les nations, mais il faut trouver la bonne limite pour ne passer aller trop loin et se faire ramasser. »

De l’aveu même de son responsable, la cellule glisse tricolore, composée de huit personnes, s’est ratée deux fois pour le moment : sur les mass start messieurs de Lenzerheide, mi-décembre, et d’Antholz, lors de la dernière étape avant ces Mondiaux. Quentin Fillon Maillet, resté en rade au pied du podium alors qu’il était sorti en tête du dernier tir après un tonitruant 20/20, s’en souvient encore. « On a eu de gros problèmes de glisse, mais il y avait 1h30 entre les courses hommes et femmes et malgré le peu de temps, les techniciens ont réussi à renverser la situation avec des très bons skis pour les filles. C’était un peu frustrant pour nous, mais ça veut dire qu’on peut toujours corriger le jour J », relativise aujourd’hui le vainqueur du gros globe en 2022.

« On avait des skis de bâtards »

Après un début de saison sur des neiges froides, la station tchèque de Nove Mesto, où ont lieu les Mondiaux, offre des conditions plus douces et pluvieuses. Ce qui n’est pas pour déplaire aux techniciens français, qui étaient clairement parmi ceux qui s’en étaient le mieux sortis à Oberhof (Allemagne) en janvier dans des conditions similaires. Le relais mixte l’a montré, et encore plus le fabuleux quadruplé des Bleues lors du sprint vendredi, la France est dans le haut du panier niveau glisse. Dit avec les mots de Sophie Chauveau, ça donne plutôt ça : « On avait des skis de "bâtards". Les techniciens ont fait un travail de dingue. Si on est aux quatre premières places c’est grâce à eux ! »

Comme les conditions ne devraient pas varier jusqu’à la fin des Mondiaux, la semaine prochaine, il y a de quoi être optimiste. « Dans le froid, ce n’est pas là où le fluor s’exprimait le plus, mais là, dans des conditions sales et mouillées ça va faire des différences, c’est sûr », projetait Julia Simon juste avant le début de la compétition. Prémonitoire, quand on voit comment elle et Justine Braisaz-Bouchet ont fusé sur les skis vendredi, alors que les Italiennes, notamment, étaient désespérément collées à la piste.

On le voit, il reste encore une part d’inconnu dans ce nouveau monde sans fluor, qui peut jouer sur le confort mental des biathlètes. Surtout ceux qui se posent pas mal de questions, comme Emilien Jacquelin. Le double champion du monde, sans en faire la cause de son triste début de saison, nous expliquait ça lundi :

« Aller vite et être bien sur les skis laisse cette marge de pouvoir engager les tirs et de se dire que s’il y a une balle ratée, ce n’est pas grave. Aujourd’hui, on est dans une situation où c’est le 10/10 ou rien. Du coup les tirs vont fatalement être moins relâchés, moins engagés et ça joue sur la confiance globale puisque tu as l’impression de jouer ta vie. D’où l’importance, quand même, d’avoir de bons skis. » »

Mais de manière générale, le petit monde du biathlon prend ça avec l’excitation qui sied à l’innovation. « Ce n’est pas simple mais c’est une période intéressante, on se creuse les méninges pour avancer et trouver les meilleures solutions, appuie Johan Charlet. Il y a tout à faire dans ce domaine du no-fluor. » Du côté de l’IBU, on vante une transition sans heurts, bien préparée en amont par « un dialogue régulier et des réunions de formation » avec les équipes et les industriels.

Pour le moment, il n’y a eu que deux cas de skis retoqués par la machine à infrarouges chargée de faire la chasse au fluor, dont la fiabilité ne fait désormais plus de doute. « Toutes les équipes ont accepté ce nouvel environnement et étaient bien préparées », glisse un porte-parole de l’instance. Au prix d'un travail colossal, mais que les techniciens français ne regrettent certainement pas en ce début de championnats du monde.