CULTURE WARTaylor Swift, Trump… Comment le Super Bowl est devenu « MAGA » politique

Super Bowl 2024 : Taylor Swift, Donald Trump et wokisme… Comment le football américain est devenu « MAGA» politique

CULTURE WARLe complotisme s’est saisi de la finale de la NFL entre San Francisco et Kansas City, avec des conservateurs persuadés que la romance entre la Taylor Swift et le joueur des Chiefs Travis Kelce est montée de toutes pièces pour profiter à Joe Biden
Taylor Swift et son boyfriend Travis Kelce, des Kansas City Chiefs le 28 janvier 2024.
Taylor Swift et son boyfriend Travis Kelce, des Kansas City Chiefs le 28 janvier 2024. - Julio Cortez/AP/SIPA / SIPA
Philippe Berry

Philippe Berry

L'essentiel

  • Le Super Bowl, qui se déroule à Las Vegas ce dimanche soir, va opposer Kansas City à San Francisco.
  • Alors que la romance entre Taylor Swift et le joueur des Chiefs Travis Kelce éclipse le sport, des influenceurs trumpistes assurent qu’il s’agit d’une manipulation pour aider Joe Biden.
  • Si la politisation du football américain n’est pas nouvelle, la polarisation s’est creusée depuis l’élection de Barack Obama, notamment alimentée par la révolte du mouvement Black Lives Matter contre les brutalités policières.

De notre correspondant aux Etats-Unis,

Le Super Bowl a longtemps fait office de trêve sacrée en Amérique. Le temps d’un dimanche après-midi, le pays oubliait ses divisions pour se rassembler autour de son amour du football, de la Bud light et des chips Doritos. Mais depuis l’élection de Barack Obama en 2008, la politique et les tensions raciales et sociétales ont pris le dessus. C’est encore pire cette année : à neuf mois de la présidentielle du 5 novembre, la finale de la NFL, ce dimanche soir, entre San Francisco et Kansas City, a été cannibalisée par le complotisme. Des influenceurs conservateurs partisans de Donald Trump assurent que la romance entre Taylor Swift et la star des Chiefs Travis Kelce, qui déchaînent les passions, fait partie d’une « psyops », une opération psychologique secrète menée par le Pentagone pour profiter à Joe Biden. QAnon n’est plus très loin.

Les rumeurs d’une liaison entre la chanteuse de Shake it off, qui explose les records avec sa tournée à plus d’un milliard de dollars, et le géant barbu, considéré comme l’un des meilleurs « tight end » (receveur central) de l’Histoire, affolent l’Amérique à l’automne dernier. On n’avait pas vu un tel « power couple » depuis Jay-Z et Queen Bey. Les apparitions de « Tay-Tay » dans les tribunes de Kansas City enflamment la Toile et dopent les audiences des Chiefs et de la NFL. Et si des haters grognent contre cette distraction médiatique, des papas versent une larme en voyant leur fille de 9 ans soudainement s’intéresser au foot.

« Opération psychologique d’ingérence électorale »

Dès septembre, la commentatrice d’extrême droite Laura Loomer surfe sur un article du New York Times selon lequel la Maison Blanche courtiserait un soutien officiel de Taylor Swift à Biden, comme il y a quatre ans : « L’opération psychologique d’ingérence électorale des démocrates avec Taylor Swift est en train de se dérouler au grand jour », écrit-elle sur X. Puis le présentateur de Fox News Jesse Waters, qui a repris le créneau de Tucker Carlson, en rajoute une couche en janvier. Il « ne fait que poser la question » : « Est-ce que Taylor Swift est un asset pour une PsyOp du Pentagone » ?

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Ajoutez dans le mix Travis Kelce, « Mr Pfizer », qui a été payé 20 millions de dollars pour une campagne de pub faisant la promo de la vaccination contre le Covid-19, et le reste s’écrit tout seul. Le couple ferait partie d’une mission secrète pour infecter le football américain avec le virus du wokisme.

Au début, les généraux américains rigolent. Une porte-parole ironise : comme le chante Swift, ces rumeurs, le Pentagone les « shake it off » (les ignore). Mais elles ne retombent pas. Le candidat à la primaire républicaine Vivek Ramaswamy, qui s’est déjà roulé dans la boue conspirationniste sur le 11-Septembre, se rallie à Donald Trump et y va de sa question : « Je me demande qui va gagner le Super Bowl. Et je me demande si une annonce majeure de soutien à un candidat à la présidence, venant d’un couple artificiellement monté en épingle, ne se prépare pas pour cet automne ? »

Jake Posobiec, Charlie Kirk, Roseanne Barr… Tous les influenceurs trumpistes s’engouffrent dans la brèche. La semaine dernière, le Pentagone siffle la fin de la récré avec un démenti officiel : non, « Taylor Swift ne fait pas partie d’une opération psychologique du département de la Défense, point barre. »

Une ultra-politisation récente

Contrairement aux idées reçues, le football américain est loin d’être un bastion républicain. La NBA penche à gauche, le Nascar et le hockey à droite, mais les fans de NFL sont représentatifs de la population américaine. Soit dans les grandes lignes un tiers de démocrates, un tiers de républicains, et un tiers d’indépendants. Les disparités dépendent principalement des villes : San Francisco, Detroit, New York, Baltimore et Seattle côté « liberal », Dallas, Houston et Tampa côté conservateur.

George W. Bush a été le premier à être interviewé avant le Super Bowl en 2004. Mais c’est surtout Barack Obama qui en a fait une tradition, avec l’opportunité de toucher plus de 100 millions d’Américains et de répondre à quelques « soft balls » (questions faciles). Et ce n’est qu’en 2009 que les joueurs, qui pouvaient jusque-là rester au vestiaire pendant l’hymne national, sont contraints d’être présents sur la pelouse. Selon un rapport parlementaire, la NFL change cette règle après une campagne de lobbying du Pentagone pour l’envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan.

Révolte contre les brutalités policières

Les démons de l’Amérique sont ensuite révélés au grand jour par la démocratisation des smartphones et des réseaux sociaux, qui contribuent à l’émergence du mouvement Black Lives Matter sur la période 2012-2014. Obama pleure le jeune Trayvon Martin, qui « aurait pu être (son) fils ». Ferguson s’embrase après la mort de Michael Brown.

Les brutalités policières contre les Afro-Américains deviennent l’un des sujets majeurs de la campagne présidentielle de 2016. A la mi-temps du Super Bowl, Beyoncé fait grincer des dents avec son hommage aux Black Panthers. Ses danseuses publient une photo sur Instagram demandant « justice pour Mario Woods », tué par la police à San Francisco.

Beyoncé lors du Super Bowl en 2016.
Beyoncé lors du Super Bowl en 2016. - Sipa

Dans la foulée, Colin Kaepernick mène la protestation #TakeAKnee, mettant un genou à terre pendant l’hymne. Il est rejoint par de nombreux joueurs afro-américains, mais aussi Travis Kelce. Elu président, Donald Trump dénonce une pratique « anti-patriotique » et traite les joueurs qui s’agenouillent de « sons of bitches » (fils de putes). Libre de tout contrat, Kaepernick attaque la ligue en justice, accusant les propriétaires NFL – presque tous blancs – de « collusion » pour le mettre hors-jeu.

« Woketopia »

En 2018, la ligue oblige les joueurs à se tenir debout pendant l’hymne. Sacrés champions, les joueurs de Philadelphie protestent contre la nouvelle règle et boycottent l’invitation de la Maison Blanche. Après la mort de George Floyd, Patrick Mahomes, le quarterback superstar des Chiefs, devient plus vocal sur son soutien au mouvement Black Lives Matter, réservant toutefois la génuflexion à la prière.

Sur cette période, les marques se mettent au diapason avec des publicités du Super Bowl plus engagées. Budweiser célèbre les immigrés avec une pub racontant l’histoire du cofondateur de l’empire Anheuser-Bush, venu d’Allemagne. « La liberté appartient à tous, qui que vous soyez, d’où que vous veniez », narre Bruce Springsteen pour le spot « The Middle » de Jeep. « C’est woketopia », dénonce Donald Trump Jr. L’élue trumpiste Lauren Boebert, elle, enrage l’an dernier alors que Sheryl Lee Ralph chante Lift Every Voice and Sing, qualifié aux Etats-Unis « d’hymne national noir ».

Dimanche, à Las Vegas, cette guerre culturelle et politique devrait continuer de faire rage. Avec un twist, ironise le présentateur et humoriste Bill Maher : les conservateurs anti-Taylor Swift « vont supporter San Francisco ».

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