MANQUE DE SOMMEILPourquoi tant de haine entre les coachs en sommeil des bébés ?

Sommeil des bébés : La guerre des influenceuses est déclarée… Pourquoi tant de haine ?

MANQUE DE SOMMEILComme le « time out », la question de l’endormissement autonome crée de nombreux débats entre professionnels de la petite enfance
Un bébé qui pleure dans son lit. Illustration.
Un bébé qui pleure dans son lit. Illustration.  - Vladimir Godnik / Mood /REX/SIPA / SIPA
Laure Beaudonnet

Laure Beaudonnet

L'essentiel

  • Comme le time out, le sommeil des bébés crée la discorde chez les professionnels de la petite enfance.
  • Quand certains voient l’endormissement autonome comme la solution pour retrouver le chemin des nuits sereines, d’autres y voient un dressage de l’enfant.
  • On fait le point sur un débat qui prend des airs de guerre sur les réseaux sociaux.

«On dit souvent qu’à table à Noël, certains sujets sont tabous. Le sujet le plus violent et le plus virulent, c’est la parentalité. Et celui qui cristallise le plus de souffrances et donc de tabous, c’est le sommeil », note Caroline Ferriol, experte du sommeil des bébés, à la tête de Fée Dodo. Il ne faut pas traîner bien longtemps sur les boucles WhatsApp de parents et les comptes Instagram des influenceuses en périnatalité et puériculture pour lui donner raison. Le sommeil des bébés fait péter les plombs à tout le monde. Un peu comme le débat sur le time out, deux « écoles » se livrent un affrontement sur les réseaux sociaux avec en ligne de mire, l’endormissement autonome.

La semaine dernière, Caroline Ferriol, autrice du Grand guide du sommeil de mon bébé (Marabout), best-seller 2023, a expliqué à sa communauté Instagram de 115.000 abonnés avoir subi l’attaque de trop. En cause : une influenceuse Instagram, qui se présente également comme une spécialiste du sommeil de l’enfant, l’aurait accusée – elle ne la nomme pas directement – d’avoir conseillé à une famille de coucher un nourrisson de trois mois sur le ventre et de le laisser pleurer sans réagir.

Une recette miracle « marketée » ?

Dans une deuxième story, elle rappelle un drame horrible qui a eu lieu en Chine en 2020 où une famille a couché son bébé sur le ventre, sur les conseils d’une communauté de parents, et l’a regardé s’étouffer et mourir à travers le babyphone. En larmes, Caroline Ferriol se défend d’avoir tenu de tels propos lors de ses accompagnements. Elle affirme ne pas avoir accompagné de bébé de trois mois depuis des années. Des actions légales sont d’ailleurs en cours. Pourquoi le sommeil des bébés génère-t-il tant de colère ?

Revenons sur le sujet de la discorde. Derrière l’endormissement autonome, l’idée est d’amener le bébé (à partir de trois mois) à réussir à s’endormir seul dans son lit, calme, serein, sans la présence du parent dans la chambre. En s’émancipant de stratégies de sommeil dépendantes (tétines, sein, bras, berceuse), l’enfant enchaîne plus facilement les cycles, les réveils nocturnes se raréfient jusqu’à disparaître. Enfant et parents dorment enfin. Une journaliste de Parent.fr s’est exprimée mardi sur le sujet dans une vidéo publiée sur Instagram qui n’a d’ailleurs pas manqué de créer de vives réactions en commentaires.

Un « dressage » de l’enfant mis en cause

Ce scénario « marketé » comme une recette miracle pour sauver les parents désespérés (et particulièrement vulnérables) fait grincer des dents. « Si tu dresses ton enfant, si tu lui apprends qu’il n’y a personne pour lui, et si tu lui apprends à dormir tout seul alors qu’il n’est pas capable de le faire, mais si tu le dresses, tu le conditionnes, ton enfant va continuer de se réveiller la nuit mais il ne va plus t’appeler parce qu’il n’aura plus confiance en toi », explique dans une story permanente Audrey Ndjave, fondatrice des centres de périnatalité Happy Mum & Baby et autrice de Et tu deviendras mère… (Marabout). Du point de vue des opposantes au sommeil autonome, en ne laissant pas le bébé s’endormir au sein, on le priverait d’une stratégie naturelle. Quand l’enfant tète, expliquent-elles, que ce soit le sein ou le biberon, des catécholamines sont sécrétés et induisent le sommeil. C’est naturel.

« Pour ces opposantes au sommeil autonome, proposer de nouvelles stratégies, c’est ne pas répondre à son besoin. C’est une sorte d’entraînement à ce qu’un enfant n’appelle plus, et ne pleure plus et n’exprime plus ses besoins. Ce qui est faux. Bien sûr que les enfants avec des stratégies de sommeil autonomes continuent à appeler lorsqu’ils ont besoin, souligne Caroline Ferriol. Au contraire, cela permet d’identifier les besoins. Et pour les bébés allaités, d’être sur des tétées de nuit, téter à des moments où ils ont vraiment besoin de manger ».

L’endormissement autonome accélérerait, selon ses détractrices, un processus qui se produit naturellement vers 12 ou 13 mois, lorsque le néocortex qui régule les émotions est suffisamment mature. Quel parent peut survivre à cinq ou six réveils nocturnes pendant treize mois ? Caroline Ferriol s’inquiète de voir le nombre de burn-out parentaux et de dépressions post-partum augmenter. Car l’idée, avant tout, est d’accompagner le parent vers des nuits plus sereines et reposantes pour vivre une parentalité épanouie. Le rêve, avouons-le. Si ses détractrices admettent qu’il faut trouver des solutions qui conviennent à tout le monde (bébé et parents), elles regrettent que ces coachs n’aient pas de formations médicales.

« Dans 80 % des cas, il y a un point d’appel pathologique »

« L’idéal serait qu’il y ait une évaluation de sommeil faite par un professionnel. S’il n’y a pas de problème de santé, s’il n’y a pas d’explication aux réveils par difficulté de succion, nutrition… Si on n’a pas de point d’appel en psychopathologie, dans ces cas-là, il n’y a pas de problème », souligne une infirmière pédiatrique, opposée à ces méthodes toutes faites et aux techniques marketing qu’elle juge très agressives des coachs en sommeil. Mais elle ne vise pas spécialement Caroline Ferriol. Elle rappelle qu’ils sont très nombreux en France et outre-Atlantique. « Les routines, la régularité, la répétition, le conditionnement va être fonctionnel car on n’a pas trouvé de point d’appel pathologique. Mais dans 80 % des cas, il y a un point d’appel. Si on n’a pas la possibilité de le diagnostiquer, on va appliquer les techniques de conditionnement », souligne-t-elle.

Elle s’émeut toutefois du nombre de parents démunis et épuisés par les pleurs de leur enfant qui ont appliqué des méthodes d’endormissement autonome sans se poser de question, laissant leur nourrisson seul et en détresse. Caroline Ferriol abonde. Elle n’a d’ailleurs jamais conseillé à un parent de le laisser pleurer, pointe-t-elle. Au contraire, elle parle « d’accompagner les émotions du nourrisson ». « On travaille avec un très grand réseau de médecins et de pédiatres, pointe la fondatrice de Fée Dodo. On alerte tous les jours sur ce point : avant de suivre quelque conseil que ce soit sur le sommeil, on consulte son pédiatre. C’est écrit partout sur notre site ».

Vérifier que le bébé va bien et ensuite pratiquer l’endormissement autonome. Sur ce point tout le monde est à peu près d’accord. Mais pas à n’importe quel âge, selon certaines influenceuses. Et surtout, ne pas laisser le bébé seul si la crise de larmes est trop importante (sauf si le parent est en train de péter un boulon, évidemment). Mais faut-il vraiment le préciser ?