EDUCATIONPourquoi les « groupes de niveau » au collège sont-ils aussi décriés ?

Collège : C’est quoi ces « groupes de niveau » qui « catastrophent » toute la communauté éducative ?

EDUCATIONLa nouvelle ministre de l’Education Nicole Belloubet est attendue au tournant par les personnels sur un dossier très polémique : celui des groupes de niveau, qui pourraient être mis en place en 6e et 5e dès la rentrée prochaine. Explications.
Les collégiens pourraient être prochainement répartis en groupes, pour les heures de français et de maths. Illustration
Les collégiens pourraient être prochainement répartis en groupes, pour les heures de français et de maths. Illustration - A. Robert/SIPA / SIPA
Julie Urbach

Julie Urbach

L'essentiel

  • La réforme de création de groupes de niveau en français et mathématiques, initiée par Gabriel Attal et désormais entre les mains de Nicole Belloubet, semble faire l’unanimité contre elle au sein de la communauté éducative.
  • Selon les opposants, ces groupes n’aideraient pas à la réussite des élèves et les inégalités pourraient davantage se creuser. Ils soulèvent également des inquiétudes sur la faisabilité de la réforme.
  • Après le rejet du projet lors du dernier Conseil supérieur de l’Education, la ministre devrait livrer ses arbitrages sous une quinzaine de jours.

La mobilisation ne faiblit pas dans les académies qui ne sont pas encore en vacances. Après un rassemblement devant le rectorat à Nantes, une opération « collège mort » en Normandie, les personnels d’un établissement marseillais ont carrément décidé de manifester tous les midis, jusqu’à la fin de la semaine. Au coeur des crispations, la mise en place de groupes de niveau au collège dès la rentrée 2024. Cette réforme, initiée par Gabriel Attal quand il était à l’Education nationale et désormais entre les mains de la nouvelle ministre Nicole Belloubet, semble faire l’unanimité contre elle.

A quoi pourraient ressembler ces groupes ?

Afin de remonter le niveau des élèves en français et en mathématiques (de plus en plus mauvais selon la dernière enquête Pisa) le gouvernement souhaite la mise en place de groupes de niveau en 6e et 5e dès la rentrée 2024, puis en 4e et 3e l’année suivante. Concrètement, pendant l’intégralité des heures dédiées à ces deux matières et pour toute l’année, les classes seraient mixées. En fonction de leurs résultats aux évaluations d’entrée en 6e, les enfants seraient répartis dans trois groupes, à effectifs réduits : « à besoins », « faible à moyen », et « satisfaisant et au-delà ». Pour le reste des matières, comme l’histoire-géo ou l’EPS, ils retrouveront leurs classes d’origine.

Pourquoi ça ne plaît pas ?

Il y a d’abord un problème sur le fond, estime de façon quasi-unanime la communauté éducative dont les chefs d’établissement, pourtant peu habitués à se mobiliser. « Bien sûr que l’hétérogénéité pose parfois problème, mais là c’est l’explosion de la notion d’unité de classe, une remise en question de la mixité et du pacte républicain », estime Layla Ben Chikh, membre de la commission Education et pédagogie du syndicat majoritaire SNPDEN-Unsa.

Selon les opposants, ces groupes n’aideraient pas à la réussite des élèves. Au contraire les inégalités pourraient davantage se creuser. « Ils vont être assignés à un niveau, et les plus faibles n’auront au final jamais les acquis suffisants pour entrer en lycée général, je suis catastrophée, assure Céline Pella, prof de maths en collège à Nantes et cosecrétaire de la FSU 44. Une classe, c’est une émulation, des élèves qui questionnent et qui s’entraident. Quand on constitue les classes, on fait justement exprès de dispatcher ces personnalités. »

Pourquoi ça coince aussi sur la forme ?

Beaucoup d’inquiétudes émergent sur la faisabilité. Car des groupes plus petits, aux mêmes heures, c’est aussi davantage d’enseignants, davantage de salles, et un casse-tête assuré autour des emplois du temps. « Nous manquons déjà de profs, que nous remplaçons par des contractuels peu formés… Donc où va-t-on trouver les moyens humains ? », s’interroge Layla Ben Chikh, qui déplore l’absence de textes réglementaires alors que la préparation de la prochaine rentrée a déjà démarré pour les équipes. L’équilibre des groupes en terme d’effectifs pose aussi question. Sans compter le sujet des profs principaux, qui devront jongler entre les élèves.

Qu’en pensent les parents et les enfants ?

La FCPE est sur la même ligne, dénonçant « une machine à sélectionner », voire « un tri social ». Difficile de trouver de l’adhésion chez les parents, sauf peut-être chez ceux dont les enfants ont de très bons résultats, et qui s’inquiètent parfois du climat scolaire. Et les élèves, qu’en disent-ils ? Martin, en classe de 5e, y a réfléchi avec sa soeur et n’est pas très emballé. « Cela va séparer des amis sur un critère de niveau ce qui peut paraître injuste, estime-t-il. Il y a le risque de stigmatiser les moins bons, mais aussi de créer de la jalousie, ou amener du harcèlement. »

Y aurait-il d’autres solutions ?

Les recherches en sciences de l’éducation ne semblent pas non plus aller franchement dans le sens de la réforme. Une récente note sur la différenciation des enseignements est très claire : « les regroupements permanents, tels que les classes de niveau, sont inefficaces ». Par contre, « les regroupements transitoires et flexibles, comme les groupes de besoin au sein de la classe, l’apprentissage en petits groupes coopératifs et le tutorat, font état de résultats plus encourageants », poursuit-elle.

C’est aussi l’avis de certains enseignants « On a démarré des groupes de soutien de façon ponctuelle et les résultats sont intéressants : les élèves passent d’un groupe à l’autre selon leurs besoins, raconte à 20 Minutes une professeure de français à Nantes. Ils s’investissent, avec l’envie de progresser. Sans se sentir dans le « groupe des nuls » ! »

Interpellée de toutes parts, la ministre Nicole Belloubet devrait préciser le projet, rejeté à 67 voix contre et une abstention lors du dernier Conseil supérieur de l’Education, d’ici à une quinzaine de jours.