Chasseur de trésorsArthur Brand, « l’Indiana Jones du monde de l’art »

« C’est un surnom très stylé pour briller en soirée », reconnaît Arthur Brand, « l’Indiana Jones du monde de l’art »

Chasseur de trésorsEn septembre dernier, le détective privé a retrouvé un Van Gogh volé lors de la pandémie de Covid-19 au musée Singer Laren, près d’Amsterdam
Le détective privé d'art néerlandais Arthur Brand, surnommé « l'Indiana Jones du monde de l'art » en janvier 2022.
Le détective privé d'art néerlandais Arthur Brand, surnommé « l'Indiana Jones du monde de l'art » en janvier 2022. - JOHN THYS / AFP / AFP
Diane Regny

Propos recueillis par Diane Regny

Arthur Brand est surnommé « l’Indiana Jones du monde de l’art ». La sphère artistique doit au détective privé le retour de nombreuses œuvres volées, d’un tableau de Picasso dérobé en 1999 sur un yacht en France à une mosaïque byzantine qu’une famille anglaise avait acheté dans les années 1980, sans savoir qu’elle était volée. Régulièrement, ses exploits font les gros titres à l’instar de ce Van Gogh volé lors de la pandémie de Covid-19 au musée Singer Laren, près d’Amsterdam, qu’il a retrouvé en septembre dernier. Le jardin du presbytère de Nuenen au printemps, peint en 1884 et estimé entre trois et six millions d’euros lui a été restitué dans un grand sac Ikea bleu.

Mais pour stocker l’ensemble de ses histoires rocambolesques, Arthur Brand aurait besoin d’un sac bien plus grand. Il a d’ailleurs écrit un livre entier sur son enquête pour déterrer deux statues monumentales du IIIe Reich, Les Chevaux d’Hitler. Entre surnom hollywoodien et réalité du terrain, le Néerlandais a accepté de répondre aux questions de 20 Minutes.

Comment devient-on détective privé dans le monde de l’art ?

Si vous appelez une université pour leur expliquer que vous voulez devenir détective privé dans le monde de l’art, ils vous riront au nez. Ça ne s’étudie pas et les rares personnes qui font ce métier sont presque toujours d’anciens policiers. Pour ma part, il y a vingt-cinq ans, j’ai commencé à collecter des antiquités, notamment de petits chariots romains. Je me suis rendu compte que beaucoup étaient des faux, même les petites pièces qui ne valent qu’une vingtaine d’euros sont souvent des contrefaçons. Ça m’a intrigué et j’ai commencé à lire à ce sujet. J’ai alors compris que de très nombreuses pièces sont des contrefaçons dans le monde de l’art, peut-être 20 %, ce qui est énorme ! Surtout quand on rapporte cette proportion aux ventes d’art dans le monde, qui s’élèvent à 60-70 milliards par an. Je me suis ensuite intéressé au vol d’art, un énorme trafic qui représente environ 8 milliards par an.

Comment êtes-vous passé de l’intérêt à la pratique ?

J’ai commencé ma carrière professionnelle en 2009, j’ai fait des authentifications et j’ai essayé de trouver des contrefaçons et de résoudre des vols de musées. L’une des premières enquêtes que j’ai effectuée était celle d’un bronze du sculpteur Ossip Zadkine qui représentait Van Gogh, volée en France, que j’ai retrouvée en 2009. Nous avons aussi commencé à enquêter sur les œuvres d’art volées aux Juifs durant la Seconde Guerre mondiale et notamment découvert qu’une œuvre spoliée se trouvait dans la collection de la famille royale des Pays-Bas. Elle a depuis été restituée, bien entendu. Peu après, nous avons trouvé une peinture volée à une famille juive qui était exposée… au Louvre. Après cela, ça s’est accéléré parce que les gens ont commencé à connaître mon nom et que j’avais de plus en plus de contacts.

Quelle a été votre enquête préférée ?

Les chevaux d’Hitler ! Ces sculptures de bronze, d’une dizaine de mètres de haut, appartenaient au IIIe Reich et nous les pensions détruites. La police allemande, un journaliste allemand et moi, un citoyen néerlandais, nous sommes lancés à leur poursuite. C’était une enquête incroyable qui a duré un an et demi lors de laquelle nous avons rencontré d’anciens espions, des membres du KGB russe, de vieux nazis… Nous avons fini par déterminer à peu près leur emplacement. Deux cent cinquante policiers allemands ont effectué des raids. J’étais un témoin important pour l’affaire donc j’ai dû rester à distance, pendu à mon téléphone. Lors de l’une des perquisitions, j’appelle une première fois pour demander des nouvelles. On me répond : « Pas de chevaux, mais on a trouvé un tank entier dans la maison du suspect. » Vingt minutes plus tard, ils me rappellent pour me dire qu’ils ont trouvé une torpille ! Tout le monde a dû évacuer le temps que les démineurs arrivent et sécurisent la zone. Puis, ils ont trouvé un missile V1, ces bombes utilisées par l’Allemagne nazi lors de la Seconde Guerre mondiale pour bombarder les Alliés. Les démineurs ont dû intervenir à nouveau.

« Un tank entier, une torpille, un missile… mais toujours pas de chevaux ! Heureusement, nous avons fini par les trouver, le suspect a révélé leur emplacement. »

A quoi ressemble votre quotidien ?

Il faut être un peu fou pour faire ça. Je dois être toujours disponible. Si un informateur me contacte et me demande de le rencontrer à 22 heures un dimanche soir, je ne peux pas dire : « Attendons lundi ». D’ici à lundi, il pourrait changer d’avis ! Il faut donc être disponible 24 heures/24, 7 jours/7. Et, bien sûr, vous ne deviendrez pas millionnaire, c’est assez peu rémunérateur, je gagne de l’argent grâce à mes livres. Mais c’est absolument passionnant. Quand vous recevez un e-mail qui commence par « Cher monsieur Brand, j’ai attendu vingt ans pour raconter cette histoire », c’est une émotion incomparable. Mon conseil à celles et ceux qui veulent faire ce métier, c’est d’entrer dans la police et d’essayer d’intégrer l’unité en charge des crimes liés à l’art. C’est plus facile et vous aurez une arme !

Justement, est-ce que vous travaillez étroitement avec la police ?

Dans toutes mes enquêtes. Je ne suis qu’un citoyen donc je contacte systématiquement la police du pays concerné pour leur demander des informations, où se situe l’enquête mais aussi pour les tenir au courant de mes découvertes. Si la police est en train d’enquêter, il est essentiel de ne pas les gêner dans leur travail. Je reçois beaucoup d’attention médiatique parce que je trouve parfois le dernier indice mais les forces de l’ordre font le gros du travail, ils méritent plus de crédit.

On vous surnomme l'« Indiana Jones du monde de l’art », vous aimez ce surnom ?

Je n’ai même pas de permis, je me déplace à vélo (rires). J’ai un peu honte quand je pédale avec un tableau sous le bras et que je pense à ce surnom. Je ne me sens pas comme Indiana Jones. Harrison Ford est très beau, le personnage réussit tout ce qu’il entreprend… Je suis juste un Néerlandais normal qui prend son vélo tous les matins ! C’est un surnom très stylé pour briller en soirée (rires) mais en réalité je suis plus proche de l’inspecteur Clouseau [connu pour sa maladresse].