InterviewPourquoi Dernière Rénovation a changé de cible en devenant Riposte alimentaire ?

Riposte alimentaire : « Dernière Rénovation a changé de cible pour redynamiser le mouvement »

InterviewBertrand Caltagirone, coordinateur de Dernière rénovation qui bloquait les routes pour obtenir des changements de masse sur la rénovation thermique, explique la stratégie de son mouvement à l’occasion de sa transformation en Riposte alimentaire
Des activistes de Riposte alimentaire le 28 janvier, après avoir aspergé « La Joconde » de soupe au musée du Louvre.
Des activistes de Riposte alimentaire le 28 janvier, après avoir aspergé « La Joconde » de soupe au musée du Louvre. -  David CANTINIAUX / AFPTV / AFP / AFP
Aude Lorriaux

Propos recueillis par Aude Lorriaux

Ils l’ont annoncé fin janvier dans un communiqué : « Dernière Rénovation devient Riposte Alimentaire ». Le mouvement d’activistes du climat, qui pendant des mois sont montés sur le toit du Panthéon, ont bloqué les routes ou ont aspergé de peinture tableaux et statues pour obtenir plus d’argent du gouvernement sur la rénovation thermique des bâtiments, a changé de cible. Désormais, les militants et militantes mettent le paquet sur la Sécurité sociale de l’alimentation, dont on vous a déjà parlé en long et en large par ici. Un changement radical, qui était l’occasion de s’interroger sur la stratégie assez originale du mouvement, avec Bertrand Caltagirone, coordinateur de Dernière Rénovation et l’un des pionniers du mouvement.

Qui a lancé ce mouvement civique ?

Je n’étais pas parmi les tout premiers fondateurs du mouvement, mais je suis arrivé après les premières briques. Le premier groupe initiateur, ce sont cinq personnes engagées chez Extinction Rebellion, qui n’étaient pas des militants de longue date. Ce sont de jeunes diplômés de science politique pour l’un, une autre en communication, d’autres en école de commerce et un autre en histoire. Tous moins de 30 ans. Des personnes très profondément inquiètes de notre avenir et qui ont eu envie de changer les choses.

Elles ont voulu tester une stratégie un peu différente en s’affiliant au réseau A22, un réseau qui commençait à émerger à partir de la campagne Just Stop Oil. Cette campagne a ensuite donné lieu à un réseau de campagnes internationales, Ultimate Generation en Italie (qui ont opéré une action récemment sur La Naissance de Vénus, de Botticelli), Letzte Generation en Allemagne, et en Angleterre Just Stop Oil. C’est la plus grosse campagne, ils ont eu plus d’une centaine d’activistes qui sont partis en prison. Nous voulions reproduire ce type de campagne.

Dernière Rénovation est devenue Riposte alimentaire, c’est-à-dire que votre mouvement citoyen est passé d’une cible – la rénovation thermique – à une autre – la Sécurité sociale de l’alimentation. Pourquoi avoir changé de cible ?

Initialement Dernière Rénovation était une campagne qui devait durer six mois, finalement ça a duré un an et demi, presque deux ans. On a opéré ce changement car on a réussi un des objectifs de la campagne : mettre ce sujet à l’agenda, qui est généralement un sujet de niche, traité par les ministères, peu débattu dans le débat public. Un autre objectif était d’obtenir des avancées sur la rénovation thermique, on se disait qu’on allait pouvoir mobiliser. Le résultat est plus mitigé, il y a eu des aides davantage ciblées sur une rénovation performante, mais globalement on a manqué le gros objectif là-dessus, qui était de débloquer un budget conséquent, de 12 milliards par an. Nous n’avons pas poursuivi car nous sentions qu’on n’arriverait pas à obtenir plus à court terme. C’est ce qui a justifié le choix de changer de cible pour mobiliser plus, pour redynamiser le mouvement et avoir plus d’attention médiatique. Sur la Sécurité sociale de l’alimentation, il y a beaucoup d’organisations qui font du plaidoyer, de l’éducation populaire, des expérimentations, mais aucun organisme qui organisait des actions de perturbation pour visibiliser le sujet. On a bien sûr discuté avec ces acteurs en amont avant de lancer cela.

Vous citiez Extinction Rebellion, c’est d’eux dont vous vous sentez le plus proche sur le fond ?

Oui, on a une stratégie de mobilisation de masse comme eux, et on essaie comme eux grâce à des actions de perturbation de faire bouger les lignes. Les marches pour le climat réunissent énormément de monde mais ont très peu d’impact. Car sans réelle pression sur le pouvoir actuel, il n’y a pas de changement. Les agriculteurs ont bloqué les routes et ont très rapidement obtenu des choses, en étant peu à se mobiliser. Si on part sur des actions très perturbatrices, on peut être quelques milliers et cela peut suffire pour obtenir des changements.

Cependant nous voulions quelque chose de moins horizontale qu’Extinction Rebellion : ils laissent plus d’autonomie mais cela a des désavantages en matière de coordination à l’échelle nationale, pour notamment avoir des leviers médiatiques plus importants. Dans le mouvement Extinction Rebellion, il y a plein de petites revendications à l’échelle locale très différentes. Nous, nous voulions cibler à l’échelle nationale quelque chose de très précis, par souci d’efficacité, de clarté, d’optimisation des forces vives.

Les associations traditionnelles ont souvent plusieurs revendications, et des objectifs variés, mais vous choisissez d’investir tout le mouvement dans un seul objectif. D’où vous vient cette stratégie ?

L’inspiration un peu historique, qui est un peu une mythologie dans notre mouvement, ce sont les Freedom Riders. C’est une campagne qui est née dans les années 1960, aux Etats-Unis, pour les droits civiques américains, quand 400 personnes ont décidé de monter dans des bus qui étaient encore ségrégués dans les Etats du Sud. Il y a eu des conséquences terribles, ils se sont fait casser la gueule, ils ont été jetés en prison. Cela a généré une forte attention médiatique et une forte pression morale, de sorte que le gouvernement a été obligé d’apporter une réponse. C’est notre référence historique car avec très peu de personnes, ils ont réussi à faire beaucoup bouger les choses. C’est la répétition qui a fait que le gouvernement s’est conformé à leur demande, qui était une demande unique, assez modeste par rapport à l’ensemble du racisme, mais ils se sont dit on va obtenir une victoire qui va galvaniser le mouvement. C’est l’idée initiale de Dernière Rénovation : faire peu d’actions avec peu de monde, mais si on arrive à mobiliser quelques centaines ou quelques milliers de personnes sur des actions qui vont faire beaucoup de pression, on pourra faire bouger les choses.

Mais vos cibles – Sécurité sociale de l’alimentation, rénovation thermique – sont moins évidentes à comprendre pour l’opinion publique que le fait de pouvoir monter dans un bus…

Ce sont des sujets plus techniques, c’est vrai, et on a bien vu qu’on nous interroge assez peu sur notre revendication. On nous demandait pourquoi nous bloquions les routes, c’est ça qui focalisait le cœur de l’attention, et c’était difficile d’arriver à rediriger vers le cœur de la revendication. Mais plus la mobilisation était forte plus et plus nous y sommes parvenus, et nous avons pu observer des effets concrets, notamment fin 2022, quand l’Assemblée nationale a voté un budget de 12 milliards pour la rénovation thermique, juste avant que le gouvernement ne fasse passer son propre budget, sans les 12 milliards. Les sujets environnementaux sont souvent plus techniques. C’est ce qui crée cette difficulté.

Quelles sont les inspirations militantes et philosophiques de votre mouvement civil ? Est-ce qu’il y a des penseurs et penseuses qui vous servent d’exemples ?

La base méthodologique la plus importante du réseau A22 c’est le livre de Paul et Mark Engler, This is an uprising. Ce bouquin théorise la mobilisation de masse qui part de la base sans aucune structure syndicale, institutionnelle ou autre. Et l’idée qu’on peut dépasser le côté spontané, type « les gilets jaunes ». Chez nous beaucoup de gens se sont aussi inspirés de Full Spectrum Resistance, d’Aric McBay. Et de mouvements comme Act-up, ou les Suffragettes.

Quels conseils ou préceptes donneriez-vous à quelqu’un qui veut changer le monde ?

C’est difficile à dire, car notre mouvement est encore récent, et je n’avais pas d’expérience militante avant. Nous avons déjà tiré des enseignements sur le fonctionnement en interne, qui est parfois le plus dur. Disons que… je conseillerai déjà de bien s’organiser, par exemple en s’inspirant d’autres organisations qui fonctionnent bien. Et d’avoir des méthodologies. Car rien ne ressemble au travail militant. Il est important de définir des règles d’organisation qui soient claires. On s’inspire beaucoup des méthodes et principes de coopération de Fertile. Ils conseillent par exemple de parler en son nom, de partir de son ressenti à soi, et de ne pas parler pour les autres, et d’établir des règles de décision très claires, pour éviter les conflits en interne. Je conseillerai à qui veut changer le monde de se former à la coopération et d’acquérir des connaissances sur la gouvernance. Et enfin d’avoir une intention qui tranche avec ce qui existe déjà. Si on lance un mouvement c’est parce qu’on estime qu’il manque quelque chose. Il faut éviter de concurrencer ce qui existe déjà. Et enfin je dirai : Osez prendre des risques !

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