dépenses publiquesBruno Le Maire, ou l’impossible politique d’austérité

Déficit : Bruno Le Maire et l’impossible politique d’austérité en France

dépenses publiquesPour la 15.000e fois, le ministre de l’Economie a annoncé un coup de frein massif aux dépenses publiques, avec 10 milliards d’euros d’économie. Cette fois, c’est la bonne ?
Bruno Le Maire parviendra-t-il une fois à tenir les dépenses publiques au calme ?
Bruno Le Maire parviendra-t-il une fois à tenir les dépenses publiques au calme ?  - MIGUEL MEDINA / AFP / AFP
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Tous les six mois, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, annonce la fin de l’argent magique, le serrage de vis des dépenses publiques et une politique économique proche de l’austérité.
  • Rebelotte ce dimanche, lorsque Bercy a annoncé une réduction des dépenses de 10 milliards.
  • Une annonce choc mais qui peine à convaincre, tant le ministre n’a pour le moment jamais pu respecter sa volonté de freiner les dépenses budgétaires.

Bruno Le Maire et l’austérité, c’est un peu comme notre amie Emilie qui nous jure tous les deux mois qu’elle va plaquer Thibaut, son toxic-boy depuis six ans. A force de discours en l’air, on a du mal à croire au brassage de vent. Mais le ministre de l’Economie est têtu, promis, cette fois-ci, c’est la bonne. Le voilà encore, ce dimanche, à annoncer une diminution de la dépense publique. 10 milliards d’économie, rien que ça.

Problème : voilà bientôt quatre ans que le ministre annonce la fin de « l’argent magique » dans ses discours, tout en continuant dans les actes les chèques sociaux, les aides publiques et les bonus aux entreprises… Conséquence, le déficit public de 2023 – 173,3 milliards d’euros – talonne de très près le sommet de 2020 – 179,9 milliards d’euros. « Se rapprocher du déficit d’une année de Covid-19, de double confinement, de financement du chômage partiel, est très inquiétant, allume Stéphanie Villiers, macro-économiste au cabinet de conseil PwC. Cela pose le constat d’un échec des restrictions des dépenses publiques ».

Chronique d’un échec annoncé

Pour la défense de Bruno Le Maire, le dérapage budgétaire n’a pas attendu sa nomination à Bercy. Depuis les débuts des calculs de l’Insee en 1950, la dépense publique n’a jamais diminué d’une année sur l’autre. « La France ne sait pas baisser les dépenses publiques, et tant qu’elle n’aura pas de fortes sanctions à ce sujet, ça ne changera pas, se désespère Marc Touati, économiste et président du cabinet de conseil Aux commandes de l’économie et de la finance (Acdefi). C’est le sketch de Coluche : ''Tant que je gagne, je joue''. »

Philippe Dessertine, directeur de l’Institut de Haute finances à Nanterre, y voit surtout une distinction entre la voix de Bercy et celle de l’Elysée, celle qui a le dernier mot. « Il n’y a pas de réelle volonté politique de baisser les dépenses publiques car c’est mal vu électoralement. Tant qu’on ne se prend pas le mur, les différents gouvernements en place se disent que le problème d’une dette insolvable ne les concerne pas directement et qu’ils peuvent encore enclencher la planche à billets ». Le citoyen est d’autant plus sceptique que le Covid-19 (encore lui) est passé par là, « augmentant l’idée que l’argent magique existait bel et bien, et qu’on pouvait en trouver et en sortir dès qu’on en avait besoin. Peut-être – sûrement – à tort », pointe Stéphanie Villers.

Et si cette fois, c’était la bonne ?

Mais tout comme Emilie a – enfin – fini par plaquer ce gros naze de Thibaut, Bruno Le Maire pourrait cette fois tenir parole, faute d’avoir le choix. « A force, la corde se resserre, souligne Philippe Dessertine. La France possède un grave déficit jumeau – déficit public et déficit du commerce extérieur – depuis au moins cinq ans. Les investisseurs qui nous prêtent de l’argent pour la dette vont finir par se méfier, car la France se montre inquiétante sur sa capacité future à rembourser. » Paris s’est engagé auprès de l’Union européenne à réduire son déficit public à 3 % du PIB d’ici à 2027. En 2023, il devrait dépasser 4,4 %. Loin du compte.

Les agences de notation, qui se sont jusque-là montrées plus que clémentes, pourraient également finir par sévir, prévient Jacques Le Cacheux, professeur d’économie à l’université de Pau et spécialiste des finances publiques. Et qui dit une note diminuée dit une hausse des taux d’intérêts, et donc davantage d’argent nécessaire pour rembourser la dette. Une problématique en réalité déjà en place, puisque la Banque centrale européenne a augmenté massivement ses taux d’intérêt depuis l’inflation en 2022. En 2023, la France empruntait de l’argent à 3,15 %, un plus haut depuis 2008 et la crise financière.

Un énième beau discours dans le vent ?

« Augmenter les dépenses publiques lorsque la croissance augmente, que le chômage diminue, c’est entendable, souligne Marc Touati. Elles sont plus difficiles à soutenir lorsque les mauvaises nouvelles économiques s’enchaînent comme c’est le cas actuellement. »

Autant de raison d’y croire ? Méfiance. « La colère sociale monte dans le pays – que ce soit les agriculteurs, les professeurs, la santé. On voit vite le gouvernement sortir le chéquier pour calmer la gronde, et il sera difficile de revenir en arrière », note ainsi Philippe Dessertine. Quelques jours avant le serrage de ceinture annoncée par Bruno Le Maire, le gouvernement trouvait encore 400 millions d’euros pour les agriculteurs.

Au point que ce beau discours de restriction n’a peut-être pas pour but de se transformer en acte, à en croire Jacques Le Cacheux : « Il est possible que le gouvernement parle de réduire la dette uniquement pour un effet d’annonce auprès des agences de notations et des investisseurs. Car trouver 10 milliards d’euros d’économie semble très compliqué. » C’est bien connu, les promesses n’engagent que ceux qui les croient.