En mémoire des grands hommesEntre histoire et légende, aux origines de l'« Affiche rouge »

Manouchian au Panthéon : Entre histoire et légende, aux origines de l'« Affiche rouge »

En mémoire des grands hommesA l’occasion de l’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian mercredi, « 20 Minutes » s’intéresse à la célèbre affiche qui a popularisé le résistant arménien et son épouse
Une reproduction d'une affiche connue sous le nom d' « Affiche rouge » placardée dans les principales villes de France par les services de propagande nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.
Une reproduction d'une affiche connue sous le nom d' « Affiche rouge » placardée dans les principales villes de France par les services de propagande nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.  - AFP / AFP
Cécile De Sèze

Cécile De Sèze

L'essentiel

  • Missak Manouchian et son épouse Mélinée entrent ce mercredi au Panthéon.
  • Le résistant arménien était le chef d’un groupe de 23 Francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée, dont dix apparaissent sur l’affiche rouge popularisée par Léo Ferré.
  • Retour aux origines de cette image de propagande nazie qui a jonché les murs de la capitale quatre mois avant sa libération.

«Ils étaient 20 et 3 quand les fusils fleurirent », chantait Léo Ferré en 1961, reprenant un poème de Louis Aragon. Le morceau participera aussi bien à rendre célèbre l’interprète et compositeur que l’affiche dont s’est inspiré le poète en 1955. Ce tract de propagande de l’Allemagne nazie popularisée sous le nom « d’affiche rouge » a élevé au rang de héros ceux qu’on appelle « le groupe Manouchian ». L’affiche représente dix résistants sur les 23 qui ont été exécutés, 22 fusillés au Mont Valérien le 21 février 1944, et Olga Bancic guillotinée le 10 mai 1944 à Stuttgart.

C’est justement Missak Manouchian, et son épouse Mélinée, qui entrent ce mercredi au Panthéon. L’occasion de revenir aux origines de ce morceau de papier qui avait été placardisé dans les rues parisiennes sous l’Occupation et qui trône désormais dans tous les manuels scolaires dans les pages consacrées à la Seconde Guerre mondiale.

Tous les ingrédients de la propagande nazie

L’affiche est mémorable d’abord parce qu’elle est faite pour ça. C’est le propre de l’image de propagande, frapper les esprits, voire les convaincre. « Tous les ingrédients de la propagande de l’Allemagne nazie en France y sont : le rouge et le noir, avec le rouge en couleur dominante qui renvoie à la fois au communisme et au sang versé », développe à son tour Marie Puren, enseignante-chercheuse à EPITA.

L’image est par ailleurs un appel clair « à l’antisémitisme, la xénophobie et l’anticommunisme le tout en associant résistance et criminalité », ajoute-t-elle. Cela se voit au casting des dix condamnés sur les 23 arrêtés en novembre 1943 mis en avant : « sept juifs, car c’est d’abord une affiche antisémite, un Espagnol, un Italien et le "chef de bande", Missak Manouchian, qui était arménien. Ils n’allaient pas mettre les deux Français et une femme », développe Annette Wieviorka, historienne et autrice de Anatomie de l’Affiche rouge. Tous étaient communistes.

C’est aussi une manière de dissuader d’autres révoltés de prendre les armes, à l’heure où l’armée allemande est en difficulté. Paris sera libéré quatre mois après l’exécution des membres du groupe Manouchian. Pourtant, le message que l’Allemagne de Hitler a voulu faire passer à travers cette affiche placardisée dans tout Paris et doublée d’un tract est l’inverse de celui qui est reçu par la population. « La population a rendu des sortes d’hommage, de commémoration, l’affiche a davantage attiré la sympathie des passants », raconte Marie Puren.

Quand la culture s’emmêle

Mais si ces résistants, majoritairement étrangers et juifs, jonchent les livres d’histoire, c’est surtout grâce à la légende qui a été créée autour d’eux. « C’est la chanson qui rend l’affiche populaire », Annette Wieviorka. D’ailleurs, elle prend ce nom d’affiche rouge car c’est le titre que lui a donné Léo Ferret. Au départ, le poème de Louis Aragon, d’abord paru dans L’Humanité, est intitulé Groupe Manouchian, puis Strophe pour se souvenir dans son recueil Le Roman inachevé paru en 1956. Puis, de Juliette Greco à Feu ! Chatterton en passant par Catherine Sauvage ou Grégoire, de nombreux artistes vont s’emparer du titre pour l’interpréter à leur manière.

« C’est devenu un groupe célèbre dans l’art, dès l’après-guerre, il y a ainsi déjà eu un phénomène de panthéonisation de ces résistants dans les années 1950 », analyse Marie Puren qui souligne l’influence du Parti communiste à l’époque qui a « cultivé une mémoire de l’après-guerre ». Le groupe Manouchian est aussi devenu l’un des symboles de l’intégration des étrangers en France, morts pour la France alors que pas Français. Ce que raconte cette affiche, derrière son histoire, c’est « qu’un immigré ne va pas mettre en cause notre société mais l’enrichir et même magnifier nos idéaux jusqu’à mourir pour eux », ajoute l’enseignante-chercheuse.

On retrouve d’ailleurs l’affiche dans les couloirs de l’exposition permanente du musée de l’Histoire de l’immigration. « On ne pouvait pas de pas la mettre, c’est un marqueur, tout le monde l’a vue dans les manuels scolaires », explique ainsi Marianne Amar, cheffe du département Recherche au Musée national de l’histoire de l’immigration. Elle peut s’observer à la section liée à la Résistance, car « la Résistance et l’Occupation, c’est aussi une histoire des étrangers et des immigrés, complète-t-elle. Elle est devenue une affiche emblématique de la résistance étrangère en France ».

De figures historiques gommées au profit du symbole

« "Ils étaient 20 et 3 quand les fusils fleurirent", non ils étaient 22 ! Olga Bancic n’a pas été fusillée », corrige ainsi l’historienne spécialiste des Francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI). Le raccourci popularisé dans le poème d’Aragon illustre bien comment de l’Histoire, l’affiche rouge a glissé vers la légende, voire un certain romantisme. « Le seul nom qui apparaît dans le poème est celui de Mélinée, elle a ainsi été hissée à un rôle de résistante qui n’a pas été le sien historiquement parlant », pointe encore Annette Wieviorka. « Il y a une confusion entre le poème et l’histoire », résume-t-elle. Le couple Manouchian, parce que héros de la littérature française et d’une chanson populaire, a ainsi éclipsé les autres membres des FTP.

Certains ont bien failli tomber dans l’oubli, comme Celestino Alfonso, Marcel Rajman, Thomas Elek ou Rino Della Negra, ce résistant français d’origine italienne, ancien joueur du club de football de Saint-Ouen. Heureusement, il reste « une mémoire locale, dans leur ville natale il y a des traces de leur histoire », souligne Annette Wieviorka. C’est le cas pour cet ancien joueur du Red Star dont la tribune des supporteurs du stade Bauer porte le nom. Pour qu’ils restent dans la mémoire collective, une plaque rappelant les noms des 22 camarades de Missak Mouchian sera également ajoutée à l’intérieur du monument.