BatailleAprès deux ans de guerre en Ukraine, quels scénarios possibles ?

Guerre en Ukraine : Après deux ans de conflit, quels scénarios possibles pour la suite ?

BatailleAprès deux années de batailles et de rebondissements, le conflit pourrait-il déboucher sur une percée de l’un des deux belligérants ou des négociations ?
Des membres des forces de l'ordre évacuent une personne blessée après l'explosion d'un bus dans la région de Kiev, dans le nord de l'Ukraine, le 6 février 2024.
Des membres des forces de l'ordre évacuent une personne blessée après l'explosion d'un bus dans la région de Kiev, dans le nord de l'Ukraine, le 6 février 2024.  - Volodymyr Tarasov/UKRINFO/SIPA / SIPA
Diane Regny

Diane Regny

L'essentiel

  • Ce samedi 24 février marquera les deux ans de l’invasion russe en Ukraine.
  • Après deux années de conflit et un front presque gelé, quels scénarios se profilent pour 2024 ?
  • Percée russe, contre-offensive ukrainienne ou négociations… 20 Minutes se penche sur les issues possibles.

La guerre en Ukraine rentrera dans sa troisième année ce samedi. Montée de l’armée russe sur Kiev, contre-offensive ukrainienne dévastatrice, rébellion du groupe paramilitaire Wagner… Depuis l’invasion russe en février 2022, le conflit a réservé son lot de surprises. S’il est donc difficile d’imaginer les futurs contours de la guerre qui oppose l’Ukraine à la Russie, 20 Minutes a toutefois esquissé pour vous différents scénarios, d’une ligne de front figée à d’improbables négociations.

Un front toujours figé ?

Depuis près d’un an, le front qui sépare l’armée russe et ukrainienne est relativement stable. « La stratégie en 2024 des forces ukrainiennes est plutôt défensive. Ils veulent reprendre des forces, opérer un roulement de soldats au front, se rééquiper… », rappelle Carole Grimaud, experte à l’Observatoire géostratégique de Genève. La fondatrice du Centre de recherche sur la Russie et l’Europe de l’Est (CREER) précise toutefois que cette défense est « plutôt active ». « Ils maintiennent leurs positions et frappent périodiquement le sol russe », mais « cette stratégie qui se profile pour 2024 est menacée par une épée de Damoclès : l’aide des Etats-Unis, cruciale pour l’Ukraine » et jusqu’ici bloquée par le Congrès américain.

« Un front figé constitue le meilleur scénario pour l’Ukraine, je doute que le pays puisse espérer mieux, juge Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe. Pour parvenir à un front gelé, l’Ukraine doit obtenir des munitions et mettre en place des lignes défensives très efficaces. Or, ce que l’on constate aujourd’hui, c’est un début d’effritement », note-t-il. La récente chute d’Avdiïvka au profit de Moscou est symbolique car la ville était une « place forte ukrainienne, très renforcée », ajoute-t-il.

Une efficace contre-offensive ukrainienne ?

Kiev peut-elle briller de nouveau, comme elle l’a fait lors de sa contre-offensive au printemps 2022 ? « Il n’est plus question de passer à l’offensive, l’Ukraine n’en a plus les moyens aujourd’hui », balaye Carole Grimaud. Même son de cloche pour Arnaud Dubien, qui estime que la « victoire militaire de l’Ukraine » constitue aujourd’hui « un scénario très improbable ». « Nous n’avons pas toutes les données, il faut évidemment rester prudent. Mais je pense que l’année 2024 sera très difficile pour l’Ukraine », déclare-t-il.

Les aides occidentales ont fortement ralenti en 2023. D’après un rapport de l’Institut Kiel, elles ont même baissé de 90 % en un an sur la période d’août à octobre 2023. « Kiev ne peut décider d’une nouvelle contre-offensive sans l’enveloppe américaine », note Carole Grimaud, alors que cette aide de plus de 60 milliards de dollars est bloquée dans la chambre basse du Congrès américain, à majorité républicaine. De plus, l’Ukraine est confrontée à un manque de personnel alors que « seule une petite partie des mobilisés se trouve au front », rappelle-t-elle, et qu’un projet de loi sur la mobilisation, passant l’âge de la conscription de 27 à 25 ans, ou proposant une simplification des procédures d’enrôlement, a été récemment rejeté par les députés.

Une percée significative de la Russie ?

Depuis de nombreux mois, le front est presque à l’équilibre. Si quelques victoires sont célébrées de part et d’autre du champ de bataille, aucune ne s’est avérée significative. « A court terme, il est difficile d’imaginer une percée russe car elle n’a pas fait preuve d’une grande capacité à l’offensive jusqu’ici », souligne Arnaud Dubien, qui table plutôt sur « une guerre d’attrition ». Toutefois, « s’il n’y a pas de livraisons occidentales massives d’ici à la fin de l’année 2024, il est possible que la Russie parvienne à percer une brèche importante, profitant d’un effritant voire d’un effondrement de l’armée ukrainienne », juge-t-il.

« S’ils en ont les moyens, ils vont probablement profiter de ce moment de vulnérabilité de l’Ukraine », abonde Carole Grimaud. Une vulnérabilité qui pourrait survenir à courte échéance. Pour l’experte, le « mois de mars sera la ligne rouge » à partir de laquelle les Ukrainiens n’auront plus assez de munitions antiaériennes s’ils ne reçoivent pas de livraison occidentale. « Il est probable que la Russie attende que l’Ukraine épuise ses stocks de munitions et ses soldats non remplacés pour lancer une offensive majeure », explique-t-elle. La potentielle réélection de Donald Trump en novembre prochain, indulgent vis-à-vis de Vladimir Poutine et opposé à des livraisons d’armes à Kiev, pourrait jouer un rôle important dans la suite du conflit et le calendrier de cette offensive.

Le temps des négociations ?

Après deux ans de guerre, les stigmates du conflit sont de plus en plus visibles. Selon une estimation d’officiels américains citée le 18 août dernier par le New York Times, 500.000 soldats ont été tués ou blessés dans les deux camps depuis février 2022. Pas moins de 120.000 militaires russes auraient perdu la vie et 70.000 Ukrainiens. Les civils payent aussi un lourd tribut : le chef d’état-major américain Marl Milley estimait que 40.000 d’entre eux avaient été tués dès novembre 2022. Certaines villes, à l’instar de Marioupol, ne sont plus qu’un champ de ruines. Face à cet effroyable état des lieux, Moscou et Kiev pourraient-ils se mettre autour de la table des négociations ?

« Je suis très sceptique quant à des négociations d’ici à la fin de l’année, sauf si un évènement inattendu et d’importance majeure survient, réagit Arnaud Dubien. Il n’y a aucune confiance entre les belligérants, mais aussi entre la Russie et des pays capables de faire respecter un accord de paix, à l’instar des Etats-Unis ou de l’Union européenne, qui a affirmé qu’elle s’alignerait sur la volonté de Kiev. » Jusqu’ici, « il n’y a pas eu d’élément qui ait suffisamment retourné la donne sur le terrain pour que des négociations soient envisagées », abonde Carole Grimaud, qui rappelle que ce type de discussion est toujours éminemment politique.

Or, Volodymyr Zelensky n’a jamais envisagé de négocier avec Vladimir Poutine. A tel point que le chef d’Etat a passé un décret interdisant toute négociation tant que le dirigeant russe sera au pouvoir, dès octobre 2022. « Le scénario le plus probable est donc celui d’un cessez-le-feu qui gèlerait le conflit. Mais ce serait un véritable foyer d’instabilité permanente au cœur de l’Europe, car un conflit gelé peut repartir à tout moment, comme au Haut-Karabakh en 2020 », prévient Arnaud Dubien.