interviewLara Fabian s’est découvert « une passion » pour la transmission artistique

« Avec Slimane, on ne se met pas dans la pression de faire un album, on veut raconter une histoire », confie Lara Fabian

interviewCe lundi, le clip de « Ta peine » sera mis en ligne. Cette chanson est le premier extrait du nouvel album que prépare Lara Fabian avec Slimane. L’artiste a accordé un long entretien à « 20 Minutes »
Lara Fabian prépare un nouvel album studio avec Slimane.
Lara Fabian prépare un nouvel album studio avec Slimane. - Geneviève Charbonneau / Elo'Quence
Fabien Randanne

Propos recueillis par Fabien Randanne

L'essentiel

  • Ta peine, la nouvelle chanson de Lara Fabian est sortie fin janvier. Le clip est révélé ce lundi 26 février.
  • Ce morceau est le premier extrait de l’album que prépare l’artiste avec Slimane, dont elle dit : « Je nous pressentais un parcours commun, des blessures communes… »
  • Lara Fabian a toujours en tête son projet d’école. « Je suis vraiment capable de transmettre à quelqu’un cet endroit à partir duquel chanter peut être un envol, une liberté. Ce sera la deuxième partie de ma vie, c’est certain », avance-t-elle à 20 Minutes.

«Ta peine est le fruit d’un regard qu’on pose sur notre faculté à être empathique, en secours de l’autre. C’est une vertu qui vient avec le temps. Quand on patauge nous-mêmes dans nos propres douleurs, on est désemparés. Un jour, on s’aperçoit que dans la connexion à l’autre, il y a une façon de l’aider s’il le veut, mais aussi une façon de se guérir soi. » C’est une Lara Fabian apaisée que l’on rencontre dans un hôtel parisien par une douce journée de février. La chanteuse est en pleine promo de la chanson, sortie fin janvier, qu’elle a cosignée avec Slimane et dont le clip sera révélé ce lundi. Ce premier morceau annonce un nouvel album, qu’elle défendra en tournée pour célébrer ses trente-cinq ans de carrière. L’occasion, pour 20 Minutes, d’évoquer avec elle son actualité mais aussi son parcours musical.

Quel a été le point de départ de « Ta peine » ?

C’est parti d’un désir immense que j’avais de connaître Slimane. Je nous pressentais un parcours commun, des blessures communes… J’ai cherché son numéro, je l’ai appelé. On a dîné un soir, on a partagé beaucoup de choses avec une simplicité qui correspondait à ce que j’imaginais. A la fin de la soirée, il m’a demandé : « Mais qu’est-ce que tu veux, en fait ? » Je lui ai dit que je voulais qu’on écrive un album ensemble. J’ai vu le petit moment « biche dans les phares ». Alors je lui ai proposé de commencer par une chanson, puis deux, puis trois, et de tirer le fil de notre histoire.

Cette chanson annonce la tonalité de l’album à venir ?

Je ne sais pas. On en est à la quatrième chanson, pas mal de choses sont en train de naître de lui à moi, et aussi avec les frères Meir et Yaacov Salah, qui sont très importants dans cette équation. On ne se met pas dans la pression de faire un album, on veut raconter une histoire.

Vous avez représenté le Luxembourg à l’Eurovision en 1988. Vous avez discuté du concours avec Slimane qui représentera la France cette année ?

Pas du tout ! Slimane n’est pas quelqu’un qui se raconte beaucoup. Il est dans l’instant. Je pense qu’il aborde cette opportunité comme un grand cadeau. Je trouve ça magique d’avoir ce garçon qui représente aujourd’hui toute une génération, une culture, la France à l’Eurovision. Symboliquement, c’est hyperfort.

Quel souvenir gardez-vous de votre participation ?

C’était ma première grande télé, devant des centaines de millions de téléspectateurs. J’en garde des souvenirs très mélangés et peu d’un point de vue professionnel. Humainement, c’était très fort. J’avais aussi l’impression d’être tellement inexpérimentée que j’ai réussi à l’aborder avec beaucoup d’innocence.

A quel moment vous êtes-vous dit : « Ça y est, ma carrière commence » ?

Je dirais en 1991, au Québec. Mon premier album, éponyme, est sorti le 13 août de cette année-là. Là-bas, je m’employais uniquement à faire de la chanson. Je me consacrais chaque jour à créer un disque, un espace depuis lequel communiquer avec le public. On a vendu un demi-million d’exemplaires de Carpe Diem [sorti en 1994] au Québec, ce qui pour l’époque et à l’endroit où je me trouvais, avec une si petite densité de population, était un immense succès. C’est là que j’ai gagné mes premiers Felix, les Victoires de la musique canadienne.

Vous vous dites alors « Mon rêve se réalise » ?

Non, parce que je rame substantiellement. J’ai ramé pendant neuf ans, depuis 1988. Entre l’Eurovision et le moment où quelque chose d’énorme se passe pour moi d’un point de vue francophone internationalement, il aura fallu du temps.

Cela coïncide donc avec le succès de l’album « Pure », sorti en France en 1996…

C’est là que je me suis dit que l’expression de ce que je faisais en français traversait les océans. J’ai pris la mesure qu’une chanson pouvait nous précéder et aller très très loin. Le single Tout s’est écoulé à 6 millions de copies… L’album à 3.5 millions d’exemplaires. C’est énorme !

Comment vit-on un tel succès ?

Entre incrédulité, joie et gratitude. La porte s’est ouverte alors que j’y ai travaillé très longtemps. Je suis une enfant de conservatoire. Je lis et j’écris la musique, j’ai souvent été cachée dans mon coin. Je me changeais dans les arrière-cuisines des pianos bars, j’étais payée l’équivalent de 25 euros pour chanter toute une soirée. J’ai vécu tout ça, j’ai mesuré ce que signifiait grandir au travers de ce métier.

Quand le succès arrive, on respire, on se dit que ça a valu la peine de ramer, de se construire au travers de moments difficiles, face à l’incrédulité des autres. « Elle chante trop bien, elle n’y arrivera jamais », « On n’a pas besoin d’une Mireille Matthieu de 20 ans… », « De toute façon, elle est grosse », « Quand on est moche, on ne fait pas ce métier »… J’ai tout vu, tout entendu. Le public se fout de tous ces préceptes-là, il se base sur ce qu’il ressent et il finit par vous pointer du doigt et vous choisir.

Quand est survenu ce moment-là, où le public vous a « choisie » ?

Avec ma première télé chez Jacques Martin. J’ai chanté Tout en direct dans Sous vos applaudissements. Il y a eu un avant et un après.

Qu’est-ce qui a conquis le public, selon vous ?

Je crois que c’est un mélange. Tout d’un coup, le public mettait un visage, un physique, une énergie sur Tout qui passait à la radio. J’avais une personnalité un peu candide. J’arrivais toute nourrie par le Québec, en étant belge d’origine, italienne par ma mère… Il y avait une sorte de bonhomie qui me donnait l’air d’une jeune nana ayant le cœur à la bonne place. Je crois que les gens m’ont aimée à l’époque pour cette intensité, cette intégrité.

Vous avez aussi été visée par des critiques et des moqueries très virulentes…

Au début, non. Mais, comme dit Patrick Bruel : on attend que vous soyez au sommet de l’arbre pour en secouer le tronc afin que vous en tombiez à plat. Ça, je l’ai vécu.

« Les Guignols de l’info », notamment, ne vous ont pas épargnée. Quel impact cela a-t-il eu sur vous ?

Cela dépend à quel moment parce que ça a duré longtemps. J’adore rire, j’aime l’autodérision donc, au début, ça peut paraître rigolo et puis c’est devenu un acharnement rempli de cruauté et d’injustice. Il y a eu une époque où j’ai trouvé difficile de continuer à me tenir debout. C’était ma voix qui était moquée. La voix, c’est l’âme. On peut ne pas aimer mes chansons, je n’ai pas de problème avec ça. On peut ne pas aimer comment je m’habille. Ok. On peut ne pas aimer comment je m’exprime. Pourquoi pas ? Mais toucher à la voix de cette façon-là... C’est difficile de se sentir légitime et de ne pas être contaminée par cette violence. J’ai été très touchée par tout ça.

En 1999, vous sortez un album en anglais. Vous aviez envie de donner à ce moment-là une envergure plus internationale à votre carrière ?

Comme je défrayais la chronique en matière de ventes – j’avais atteint la deuxième place au Billboard international derrière Bryan Adams avec Everything I Do, donc les maisons de disques américaines se demandaient qui était Lara Fabian. Sony, Warner, RCA, Universal m’ont appelée pour m’auditionner dans leurs bureaux. C’est finalement Tommy Mottola [de Sony] qui m’a fait signer le contrat. On a fait un album éponyme sur lequel il y avait I Will Love Again qui a tenu 55 semaines à la tête du Billboard Dance. Adagio a fait le tour du monde. Il s’est écoulé à presque 4 millions d’exemplaires à l’époque, cela a été une incroyable porte sur l’international pour ma carrière. Ma vie a été un voyage pendant cinq ou six ans.

« I Will Love Again » est une chanson que vous aimez ?

Oui, c’est une chanson dance, c’est le up-tempo où on ne m’attend pas. Je l’aime parce que sa musicalité est extrêmement vaste. Il faut pouvoir la chanter. Elle dit quelque chose en quoi je crois profondément. Travailler avec Mark Taylor était très chouette, j’adorais ce qu’il avait fait pour Cher [Believe, Strong Enough…]. Je me sentais très privilégiée de chanter cette chanson-là. Je trouvais qu’elle apportait un petit point de distinction au centre de l’album. Et, sur scène, ça crée un super moment solaire.

En 2001, votre album « Nue » a été un nouveau succès francophone. « Tu es mon autre », le duo avec Maurane est resté dans les mémoires. C’était une évidence de la chanter avec elle ?

Je la connaissais bien avant que je ne sois qui que ce soit du point de vue de la notoriété. On était deux copines belges. J’ai écrit cette chanson avec elle dans la tête. Ce n’était pas gagné parce qu’elle n’avait pas forcément envie à ce moment-là de faire un duo. Et puis elle a entendu la chanson. Je m’en souviendrais toute ma vie. Avec son petit accent belge, elle m’a fait : [elle prend un petit accent belge] « Ah ouais, alors c’est pas pareil » (rires). Je l’aimais depuis toujours et je me suis retrouvée face à quelqu’un que j’estime être une des plus belles voix du monde.

Ce que les Français savent peu, c’est que vous avez aussi rencontré un vif succès dans les pays de l’Est, avec « Mademoiselle Zhivago », paru en 2010…

Le Français est une langue qui est aimée à l’Est. J’entendais Je t’aime chantée avec un petit accent chaque soir que je me produisais à Kiev (Ukraine), Cluj (Roumanie), Sofia (Bulgarie) ou Moscou (Russie)… Partout dans ces pays-là, Je t’aime, J’y crois encore et La Différence aussi, qui est une chanson très importante [sur l’homosexualité], étaient des titres qu’ils entonnaient avec moi.

En 2015, vous avez participé au Festival de la chanson italienne de Sanremo et été éliminée le premier soir. Vous en gardez quel souvenir ?

J’en garde un souvenir mitigé pour ce que la presse en a fait après. Il a été dit que j’avais été « refoulée de l’Eurovision » alors que je n’avais pas l’objectif d’y participer [l’artiste remportant Sanremo se voit proposer de représenter l’Italie à l’Eurovision]. J’ai participé au Festival un peu comme on s’amuse d’entrer à nouveau dans une compétition. J’ai travaillé avec quelques-uns des plus grands artistes italiens de Toto Cutugno à Umberto Tozzi, Beppe Vessicchio… J’ai vécu cela comme une très belle expérience. Simplement, je n’ai pas compris ce que quatre journalistes ont décidé d’en faire par la suite.

Le public italien reste à conquérir ?

Pour les Italiens, je suis la chanteuse de l’Adagio, voilà. Je n’ai pas forcément d’attente. Je suis dans la gratitude de ce qu’est mon parcours. Si Ta peine ou d’autres chansons venaient être traduites, ce serait parfait, ce serait magnifique. J’envisage de chanter l’Adagio en duo car j’ai un projet de grands duos avec quelques Italiens magnifiques…

Avec des artistes pop ou lyriques ?

Les deux.

Vous avez des noms à annoncer ?

Non, pas toute de suite (rires).

Certains étaient au Festival de Sanremo cette année ?

Oui ! (elle éclate de rire)

Récemment, vous avez été directrice de la « Star Académie » et coach dans « La Voix » au Québec, mais aussi dans « The Voice » en France…

J’ai découvert à quel point j’étais à ma place quand je le faisais. Je suis entrée là-dedans un peu comme une enfant en me disant que j’avais la responsabilité d’essayer de transmettre quelque chose à ces jeunes… Je me suis découvert d’un coup une passion réelle et une légitimité. Ce sera la deuxième partie de ma vie, c’est certain.

Vous aviez un projet d’école. Où en est-il ?

Sur le papier, cette école existe. Il faut maintenant que je la fasse exister géographiquement. Il y aura une école racine où, deux ou trois fois par an, les gens pourront venir faire des stages pendant une quinzaine de jours. Nous nous déplacerons aussi dans certaines universités. Tout sera sous l’égide de ce que l’on appelle la médecine de la prévention des arts parce que la chose la plus difficile à comprendre pour un artiste est de comprendre qu’il y a des choses à faire avant d’aller mal, à faire pendant le succès, à faire après. Si personne ne vous l’explique, si personne ne vous dit comment se préserver, comment lire un contrat, vous ne pouvez pas le deviner. Vous entrez donc avec votre candeur, votre gratitude, votre enthousiasme pour ce qui se passe et, derrière, vous êtes confronté à des obstacles d’une telle dimension que, n’étant pas préparé à les affronter, vous tombez malade, ou vous vous faites du tort. Ce qui aurait dû être le goût du succès devient alors une torture.

Il y aura des cours de chant aussi ?

Mon école n’enseignera pas que de la technique car, de cela, tout le monde s’en fout. Je dis toujours que la chose la plus merveilleuse avec la technique c’est de pouvoir la maîtriser suffisamment pour l’oublier.

Vous avez récemment annoncé que vous serez en concert à l’Accor Arena (Bercy) le 7 décembre 2025. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Ce sera la première fois de ma carrière que je ferai Bercy. Je l’attends comme un enfant. Je suis déjà en train de me demander ce que je vais faire, quelle scénographe je vais appeler. La tournée qui suivra s’attachera à l’album et à mes trente-cinq ans de carrière. Il va falloir que je fasse un choix drastique parmi toutes mes chansons. Mais je souhaiterais que mon concert à Bercy ait quelque chose de spécial.

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