compte renduAu procès Papacito, le fantasme contrarié de la France d'« au-dessus de la Loire »

Procès Papacito : Du Moyen Âge au Sud-Ouest, cette France « fantasmée » par l’influenceur d’extrême droite

compte renduLe youtubeur Papacito était jugé ce mercredi au tribunal correctionnel de Paris, notamment pour injures et provocation à la haine et au crime envers un maire
Capture d'écran de la vidéo « infestation de fouines à Montjoi » du Youtuber Papacito.
Capture d'écran de la vidéo « infestation de fouines à Montjoi » du Youtuber Papacito. - X. Regnier / 20 Minutes
Cécile De Sèze

Cécile De Sèze

L'essentiel

  • Le youtubeur d’extrême droite Papacito était jugé ce mercredi au tribunal correctionnel de Paris pour injures et provocation à la haine et au crime envers un maire.
  • Des plaintes ont été déposées à son encontre après la publication de deux vidéos véhémentes contre le maire de Montjoi, Christian Eurgal, cible de menaces de mort.
  • A l’audience, Ugo Gil Jimenez de son vrai nom s’est présenté comme le porte-voix du monde rural et a axé sa défense sur l’humour. Le tribunal rendra sa décision le 26 avril.

Au tribunal correctionnel de Paris,

C’est l’histoire du petit paysan face aux trois grands puissants : le maire, l’Anglais fortuné et le directeur de presse. C’est en tout cas l’histoire qu’Ugo Gil Jimenez, plus connu sous son pseudo Papacito, sert au tribunal. Le youtubeur d’extrême droite est passé en jugement en correctionnelle à Paris ce mercredi pour « provocation à la haine », « injures publiques à raison de l’orientation sexuelle » et « provocation non suivie d’effet à une atteinte volontaire à la vie aggravée » dans deux vidéos mises respectivement en ligne en novembre 2022 puis en mai 2023.

Tout est parti d’un contentieux de voisinage entre l’éleveur de porc Pierre-Guillaume Mercadal et Roderick Sinclair, un Anglais qui s’est installé dans la commune de Montjoi (Tarn-et-Garonne). L’éleveur accuse le maire de la ville, Christian Eurgal, de favoriser son voisin « fortuné ». Le prévenu explique alors avoir voulu lui venir en aide pour médiatiser son combat et remplir une cagnotte (qui a récolté à ce jour 276.695 euros) pour l’aider dans ses démarches judiciaires. L’influenceur aux 260.000 abonnés (avant la fermeture de sa chaîne) se félicite du résultat même si en chemin, ses vidéos médiatisées lui coûtent cette convocation devant la justice.

Porte-voix autoproclamé de la ruralité

Dans un costume sobre, pantalon gris foncé et chemise en jean gris clair, ses lunettes imposantes sur le nez, Ugo Gil Jimenez est à l’aise à l’oral. Son accent toulousain est superflu pour rappeler à l’audience qu’il vient d’Occitanie, qu’il fait partie « des gens de la terre ». « Oui je suis catholique, j’aime mon pays, j’aime la ruralité », se présente-t-il à l’audience. Le prévenu se hisse comme porte-drapeau de la ruralité et le défenseur d’une certaine vision de la France, celle « au-dessus de la Loire » et qu’on ne laisse pas s’exprimer, selon lui.

Alors quand il prend connaissance de cette confrontation « entre un éleveur de cochons face à la grande bourgeoisie itinérante », l’occasion est trop belle de venir y mêler ses fantasmes de la tradition et du terroir de défendre la voix du paysan face aux grands puissants, les riches et le capital représenté par le directeur de La Dépêche du midi, Jean-Nicolas Baylet. « C’était tellement symbolique », admet-il lui-même.

Car pour lui, cette France rurale n’a pas assez l’occasion d’être entendue. Il explique alors ses vidéos par le désir de « défendre [ses] valeurs en rendant, au passage, service à son « ami ». « Je n’ai pas découvert les problèmes corrélés à la situation des paysans récemment, ce sont des gens que je fréquente, c’est aussi mon public en partie, ça fait très longtemps que monde paysan est en crise », défend-il. « Ça gêne quand on prend la parole mais on a droit de le faire. « Je suis là pour porter la voix des ruraux », affirme-t-il les deux mains sur le pupitre.

Terroir et Moyen-Âge, même combat

Moyen-Âge et l’Occitanie, qui représente ses origines de « gens de la terre », apparaissent comme deux notions vraisemblablement liées dans son esprit. Car pour Papacito, les « valeurs du terroir sont plus médiévales », « le Moyen Age est plus équitable » que les valeurs modernes qu’il juge par ailleurs « défaillantes » en opposition « avec un passé fantasmé ». Le Moyen Âge est d’ailleurs un thème qu’il reprend régulièrement dans « Le paysan, le maire et le Lord », publiée en 2022 sur sa chaîne YouTube. Le champ lexical est marqué. On y entend des extraits du film Les Visiteurs, des références aux « blasons sur les boucliers » ou encore à la guerre de Cent ans.

« Impossible de passer à côté de ce parallèle sachant que Montjoi était une bastide importante de la guerre de Cent ans avec cet Anglais tout-puissant », justifie-t-il. Il demande même à Google comment « les déviants » étaient punis au Moyen-Âge. Se dégage alors une certaine fascination pour cette époque, pour la violence qui y était exercée mais surtout une image fantasmée de cette ère « où la justice était rendue aussi », rappelle le procureur lors de ses réquisitions.

L’armure de l’humour

Quand il rit devant sa vidéo diffusée dans la salle d’audience, à ses propres propos qui justement intéressent la justice ce jour, Papacito en fait-il trop ? Veut-il physiquement montrer le caractère humoristique de ses images qu’il va défendre à la barre ? Car c’est son autre ligne de défense : c’est de l’humour. C’est même « Google humour », lance-t-il à la barre.

Et même plus, c’est l’humour du sud de la France. Quand il jette des « PD », « Tarlouze », « déviants », c’est de l’humour. Quand il met en scène le viol par sodomie d’un homme déguisé en fouine – selon lui la « personnification allégorique de la corruption républicaine », c’est de l’humour.

Car dans le Sud-Ouest, le terme de « PD » n’a rien d’homophobe soutient Papacito. Pour lui, « les personnes LGBT qui sont rompues au Sud-Ouest font la part des choses ». C’est la culture du rugby. « Dans les années 1990, on a grandi avec ça, "on n’est pas des PD", ça n’a rien d’homophobe », affirme-t-il même si « à froid ça a un côté très violent ». D’ailleurs, « le monde du rugby est beaucoup moins homophobe que celui du foot », compare-t-il. Une « caricature » pour Thierry Deville, avocat de l’édile de Montjoi, au bareau de Montauban.

Celui qui s’imagine en grand défenseur des paysans invoque même les fables de La Fontaine et « la culture française de la caricature » pour expliquer que toute « cette démesure » sert à faire le « buzz » et à remplir l’un des objectifs de ces vidéos : faire exister l’affaire dans les médias. Il insiste, c’est de l’humour – là encore – « médiéval ». « Je comprends qu’au-dessus de la Loire c’est plus complexe à saisir », ose Ugo Gil Jimenez. Et si au passage le maire a reçu des menaces de mort et a été placé sous protection policière, Papacito se défend de toute responsabilité : Si un « substrat minoritaire a décidé d’aller faire des bêtises », c’est « indépendamment de [sa] volonté ». Le tribunal rendra sa décision le 26 avril.

Papacito est jugé pour « provocation à la haine », « injures publiques à raison de l’orientation sexuelle » et « provocation non suivie d’effet à une atteinte volontaire à la vie aggravée » pour deux vidéos publiées sur sa chaîne YouTube « Le paysan, le maire et le Lord » en novembre 2022, et « Infestation de fouines à Montjoi », en mai 2023. Ugo Gil Jimenez de son vrai nom risque jusqu’à sept ans de prison et 45.000 euros d’amende.

Le maire Christian Eurgal, son épouse et l’association des maires de France se sont constitués parties civiles, tout comme quatre associations de lutte contre l’homophobie (Familles LGBT, Stop Homophobie, Mousse et Adheos). Le procureur a requis six mois de prison avec sursis à 3.000 euros d’amende.

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