ECOLELe saucisson est déconseillé aux enfants, pourquoi on en sert à la cantine ?

Pourquoi y a-t-il encore du saucisson à la cantine, alors qu’il est fortement déconseillé pour les jeunes enfants ?

ECOLEAlors que les autorités sanitaires recommandent fortement d’éviter aux jeunes enfants de consommer viandes crues et fromages au lait cru, les traditions ont la peau dure jusque dans les menus des cantines
Avant cinq ans au moins, il est fortement déconseillé aux parents de laisser leurs enfants consommer de la viande crue.
Avant cinq ans au moins, il est fortement déconseillé aux parents de laisser leurs enfants consommer de la viande crue.  - Mourad ALLILI / SIPA
Elsa Provenzano

Elsa Provenzano

L'essentiel

  • Les recommandations de Santé publique France déconseillent la consommation de viandes crues et de fromages au lait cru pour les enfants de moins de 5 ans, et recommandent la vigilance jusqu’à 10 ans. Cependant, dans certaines cantines scolaires, des charcuteries crues ou des fromages au lait cru sont encore servis de temps en temps.
  • La consommation de ces produits par les enfants présente un risque, certes très faible mais potentiellement mortel, de développer le syndrome hémolytique et urémique (SHU). Environ 160 enfants par an sont atteints en France.
  • Certaines collectivités ne sont pas bien informées des préconisations sanitaires en ce domaine. Le Dr Sandra Brancato estime que servir des produits crus dans les cantines revient à « jouer avec le feu » et qu’il vaut mieux tout simplement les retirer des menus.

Les recommandations sanitaires n’ont pas toujours le dessus sur les habitudes gastronomiques locales… « A Bordeaux, nous servons des charcuteries en entrées entre deux et quatre fois par mois : il peut y avoir des charcuteries crues comme de la rosette, très appréciée par les enfants, explique Sylvie Schmitt, adjointe à l’éducation à la mairie de Bordeaux. Ce sont des produits sensibles avec une surveillance particulière ». A Clermont-Ferrand ou Montpellier par exemple, le saucisson figurent aussi de temps en temps au menu des écoles maternelles.

Et si la cantine centrale de la capitale girondine et beaucoup d’autres services de restaurations scolaires ont banni les fromages au lait cru, dans certaines petites communes de l’Aveyron, de Lozère ou autre, il y a fort à parier que ces denrées locales n’ont pas complètement disparu.

Pourtant, Santé publique France déconseille fortement la consommation de viande crue et de fromages au lait cru (à l’exception des fromages à pâte cuite pressée, comme le gruyère ou le comté) pour les enfants. Une recommandation qui vaut pour les bambins de moins de 5 ans en particulier, mais l’agence nationale de santé publique recommande la vigilance jusqu’à 10 ans, même si le risque décroît après 5 ans.

Un risque infime mais potentiellement mortel

« Malgré les précautions prises par les professionnels, explique le ministère de l’Agriculture, l’infection des mamelles ou un incident lors de la traite peuvent conduire à une contamination du lait par des bactéries pathogènes, naturellement présentes dans le tube digestif des ruminants (Salmonella, Listeria, Escherichia coli…) »

« Un conseil : enlevez-le des menus car si vous avez un cas de SHU, c’est de votre responsabilité », réagit le docteur Sandra Brancato, gastro pédiatre et vice-présidente de l’AFPA (association française de pédiatrie ambulatoire), à l’adresse des mairies, en charge de l’école élémentaire. « Le risque, c’est d’avoir une infection digestive avec un germe qui fabrique une toxine, et que celle-ci entraîne au niveau du système rénal et hématologique ce qu’on appelle le SHU (syndrome hémolytique et urémique), explique-t-elle. Il y a alors une destruction des globules rouges et une altération de la fonction rénale. »

Les enfants atteints n’ont pas forcément de fragilités préalables et se retrouvent, dans les cas les plus graves, en réanimation avec une anémie aiguë et une insuffisance rénale aiguë. « Et cela peut conduire malheureusement à un décès », ajoute la gastropédiatre.

« Il vaut mieux n’en donner à aucun enfant »

La même exposition à la bactérie Escherichia coli entérotoxique, la principale pourvoyeuse de SHU, peut provoquer peu ou pas de symptômes chez un adulte en bonne santé. Sans aller jusqu’au SHU, les enfants peuvent aussi déclencher de sérieuses gastro-entérites, avec diarrhées sanglantes qui nécessitent une hospitalisation pour cause de déshydratation. « On sait que certains enfants sont plus fragiles que d’autres et on ne peut pas les identifier, c’est la raison pour laquelle il vaut mieux n’en donner à aucun enfant », résume le docteur Sandra Brancato.

Chaque année, environ 160 enfants sont atteints par le SHU en France. « C’est très rare, de la même façon que la méningite à méningocoques, mais la casse est très importante, alerte la pédiatre. Pour pousser la comparaison, 100 % de ceux qui meurent de cette méningite n’ont pas eu le vaccin, et c’est la même logique pour le SHU. »

Une problématique d’informations des collectivités

« On peut légitimement se poser la question (sur la présence de charcuterie crue au menu des cantines) », convient l’adjointe Sylvie Schmitt, qui souligne que des échantillons d’aliments sont prélevés à chaque repas, conformément à la réglementation. Mais ils ne sont analysés en laboratoire (pour une recherche de salmonelle, listeria…) qu’en cas de symptômes chez les enfants.

Si depuis 2020, aucune TIAC (toxi-infection alimentaire collective) ne s’est déclarée dans les cantines bordelaises, on en recense 178 ayant eu lieu dans des cantines scolaires en 2022 en France, confirme à 20 Minutes Santé publique France.

« Je pense que les textes réglementaires pour les collectivités ne sont pas correctement mis à jour et d’après ce que j’ai pu consulter en ligne, certains sont antérieurs au PNNS (programme national nutrition santé) en date de 2021 », réagit le docteur Sandra Brancato. C’est pourtant dans l’intérêt de ces collectivités d’appliquer ce principe de précaution, qu’elle porte auprès de ses patients, qui se montrent plus ou moins réceptifs selon leurs habitudes culturelles.

« Ne pas jouer avec le feu »

« Les familles sont informées et prennent ensuite leurs responsabilités mais, avertit-elle, si la collectivité sert ces produits alors que les parents font attention à la maison, sa responsabilité sera mise en cause si l’enfant tombe malade. »

Bien sûr, ce ne sont que de fortes recommandations et les collectivités proposant des charcuteries crues ou des fromages au lait cru ne sont pas dans l’illégalité. Mais pour cette spécialiste, il convient de ne pas « jouer avec le feu », en arrêtant tout simplement de proposer du cru (hormis pour les fruits et légumes évidemment) dans les menus. Quitte à fâcher les producteurs…