MULTIPLEXEPendant le Congrès, les féministes savourent, les anti-IVG « en deuil »

IVG dans la Constitution : Pendant le Congrès, les féministes savourent, les anti-IVG « en deuil »

MULTIPLEXETout au long de la journée du Congrès de Versailles qui a inscrit l’IVG dans la Constitution, « 20 Minutes » était au côté des pros et des antis
Une femme serre le poing en dansant devant un écran affichant un slogan indiquant « L'avortement est un droit fondamental » place du Trocadéro à Paris, le 4 mars 2024, lors de la retransmission de la convocation des deux chambres du Parlement pour ancrer le droit à l'avortement dans la Constitution.
Une femme serre le poing en dansant devant un écran affichant un slogan indiquant « L'avortement est un droit fondamental » place du Trocadéro à Paris, le 4 mars 2024, lors de la retransmission de la convocation des deux chambres du Parlement pour ancrer le droit à l'avortement dans la Constitution.  - Dimitar DILKOFF / AFP
Rachel Garrat-ValcarcelRomarik Le Dourneuf

Rachel Garrat-Valcarcel, Romarik Le Dourneuf

L'essentiel

  • La France est devenue ce lundi le premier pays à constitutionnaliser l’IVG.
  • Pour suivre l’évènement, les associations féministes avaient organisé une « viewing party » géante au Trocadéro.
  • Les antis, eux, étaient en « deuil », à Versailles.

A Versailles et au Trocadéro,

C’est un jour historique, que deux France ont vécu très différemment. Alors que l’Hexagone devenait le premier pays à inscrire la « liberté garantie » de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans sa Constitution, deux manifestations concurrentes étaient organisées. Celle des féministes, au Trocadéro à Paris, scène et écran géant au programme. Et celle des anti-IVG à Versailles, « glas » de la cathérale de Rennes et liberté d’expression au menu.

14h07, à la manifestation féministe. Les techniciens de la Ville de Paris s’affairent à installer la scène et la sono sous l’écran géant installé au Trocadéro et qui doit retransmettre les débats au Congrès. Loin de nous l’idée que le ciel pourrait prendre position mais le grand bleu orné d’un grand soleil d’hiver met de bonne humeur les membres de la Fondation des femmes qui y voient un signe positif.

Les gens se rassemblent place du Trocadéro à Paris, le 4 mars 2024, lors de la diffusion de la convocation des deux chambres du Parlement pour ancrer le droit à l'avortement dans la Constitution.
Les gens se rassemblent place du Trocadéro à Paris, le 4 mars 2024, lors de la diffusion de la convocation des deux chambres du Parlement pour ancrer le droit à l'avortement dans la Constitution.  - Tom Nicholson//SIPA

14h56, à la manifestation féministe. Josie, 85 ans, danse sur la place du Trocadéro sur l’air de Résiste de France Gall. En complet violet. « Cela fait cinquante ans que je milite. Et je peux vous dire que même en autant de temps, on n’en voit pas tant que ça des victoires. Donc, elles sont précieuses. Celle-ci est pour toutes les femmes du monde. »

15h30, à la manifestation des anti-IVG. La Marche pour la vie, le nom donné à la manifestation annuelle des anti-IVG, se sont donné rendez-vous place Hoche, à Versailles. A dix minutes à pied du lieu du Congrès. Nicolas Tardy-Joubert, le président de l’association, donne le ton : « alors que les ténèbres ont envahi les esprits, nous gardons nos lanternes allumées. (…) L’agenda de l’extrême gauche a été endossé par le gouvernement. » Nous ne sommes pas ici chez les modérés.

15h38, à la manifestation féministe. Il n’y a même pas 300 personnes à l’ouverture du Congrès de Versailles, mais le discours d’entrée de Yaël Braun-Pivet est écouté religieusement. Pour les militants, c’est un jour de fête mais c’est aussi un jour historique. Un discours qui ne dure que quelques minutes et est applaudi lorsque la présidente de l’Assemblée nationale cède le micro.

15h40, à la manifestation des anti-IVG. Une autre ambiance. « On me signale que la présidente de l’Assemblée nationale parle, mais je ne suis pas sûre de vouloir l’écouter ! », ironise Nicolas Tardy-Joubert. « C’est très grave, la France part à vaux l’eau »… Dans la foule, entre les nouvelles des enfants, on parle bien sur de l’actualité du jour. Et on écoute les discours. Celui du président de la Fondation Lejeune, organisation conservatrice d’inspiration chrétienne, commence fort : « on dit souvent aux hommes, pas d’utérus, pas d’avis. Mais est-ce que la conscience se loge dans l’utérus ? »

Les manifestants allument des fusées éclairantes lors d'une manifestation contre l'avortement et l'euthanasie, organisée par l'association « la Marche pour la vie », à Versailles, le 4 mars 2024.
Les manifestants allument des fusées éclairantes lors d'une manifestation contre l'avortement et l'euthanasie, organisée par l'association « la Marche pour la vie », à Versailles, le 4 mars 2024. - GEOFFROY VAN DER HASSELT

15h56, à la manifestation anti-IVG. Pour la première fois on diffuse, en audio uniquement, le Congrès. C’est Gabriel Attal qui parle : « la marche du progrès a fait son office. » Aux applaudissements du Parlement répondent les huées de la foule. « Les Français supportent sans équivoques cette constitutionnalisation » : « NOOOOOOOON », répondent les manifestants versaillais. Une responsable d’une association catholique prend la parole : « restons dans l’espérance. Ma fille de 11 m’a demandé si la Constitution est modifiée, est-ce qu’on pourra la modifier à nouveau ? » Réponse unanime : « OUIIIIII » Les anti n’ont aucune intention de désarmer. Jean-Frédéric Poisson, ancien député, soutien d’Éric Zemmour, parle même de combat pour la liberté d’expression.

16h23, à la manifestation féministe. A Versailles, c’est au tour d’Hélène Laporte, pour le groupe Rassemblement national, de monter sur l’estrade. Au Trocadéro, le son est coupé et plusieurs militantes sont invitées à monter sur scène. Pendant que l’on voit les visages de Clémentine Autain ou d’Aurore Bergé grimacer aux mots de la députée RN, la place se remplit doucement dans une ambiance apaisée. « Ça fait trente ans que je couvre des manifestations, elles sont rares celles qui sont si positives, il faut en profiter », explique le photographe de presse Christian Fournier, dans un grand sourire. Un peu plus loin, Nathalie nous rappelle qu’il s’agit d’un combat. Venue avec ses deux petites filles de 8 et 4 ans, elle veut leur inculquer l’esprit du « on ne lâche rien » : « il y aura toujours des tordus pour nous faire régresser. On tomberait vite dans du The Handmaid’s Tale si on se laisse aller. »

16h30, à la manifestation anti-IVG. On sonne « le glas », car c’est « un jour de deuil » dans une France qui « ne protège plus la vie ». Ce sera répété souvent : « l’avortement, c’est la mort ». Précisons qu’ils ne parlent pas des femmes mortes lors d’avortements illégaux. L’animateur de la manif' annonce que le « glas » diffusé est un enregistrement de la cathédrale de Rennes. A côté de nous, deux femmes lâchent un « ahhhhh » de connaisseuses.

17h10, à la manifestation anti-IVG. « Y’a un petit creux là, mais c’est normal d’aller s’occuper de ses enfants. Nous avons été entre 3.000 et 5.000 », annonce Nicolas Trady-Joubert. En voyant large, ils ont peut-être été 2.000 à un moment. On craque quelques fumis (et pourquoi pas) après le discours de Laurence Trochu. Après avoir souligné que le cofondateur du Planning familial était franc-maçon, la candidate Reconquête aux dernières législatives a attaqué les parlementaires : « ils sont 925 et il y a les pleutres qui ont peur de passer pour des ringards. Si nous ne voulons plus subir leurs décisions, nous devons tout faire pour prendre leur place. »

18h00, à la manifestation féministe. Signataire du Manifeste des 343, Claudine Monteil brandit sur scène un exemplaire original du Nouvel observateur dans lequel il avait été publié. « Nous sommes les filles et les petites filles de Simone de Beauvoir », scande-t-elle. Émue, elle raconte sa fierté en regardant les jeunes féministes qui emplissent la place : « nous n’avions jamais osé imaginer une inscription de l’IVG dans la Constitution. Mais, vous, vous l’avez fait. Vous avez dépassé nos rêves et vous avez sauvé des femmes. » Quelques larmes sur les joues de personnes présentes…

Une femme verse des larmes alors qu'elle tient un drapeau de la Fondation des femmes alors que les gens se rassemblent place du Trocadéro, le 4 mars 2024,
Une femme verse des larmes alors qu'elle tient un drapeau de la Fondation des femmes alors que les gens se rassemblent place du Trocadéro, le 4 mars 2024,  - Dimitar DILKOFF

18h20, à la manifestation féministe. Le public ne tient plus. Il attend le verdict. Pour le faire patienter, rien de tel qu’un extrait du Manifeste des 343 lu par la voix si marquante d’Anna Mouglalis qui ne peut s’empêcher de trahir ses émotions sur les derniers mots.

18h25, à la manifestation anti-IVG. Il ne reste tout au plus que 200 ou 300 personnes place Hoche et de toute évidence on n’avait pas prévu assez d’interventions pour combler l’attente. Ainsi, on ne compte plus les rediffusions du « glas »… même certains intervenants remontent aussi sur scène pour refaire leurs discours. Plus tôt, une intervenante a accusé le Planning familial d’être un « avortoir ». Puis alors qu’il commence à faire nuit, on distribue des petites bougies que les manifestants et les manifestantes allument.

18h47, à la manifestation féministe. Yaël Braun-Pivet dévoile le résultat : « nombre de votants : 902. Exprimés : 852. Majorité requise : 512. Pour l’adoption : 780. » Le résultat ne surprend personne et pourtant l’explosion de joie est digne des plus belles finales de Coupe du monde. Ça saute, crie, pleure… On sort même les fumigènes ! L’émotion est immense. « C’est la plus belle celle-là. C’est une victoire pour notre société et un espoir pour les femmes du monde entier », crie en larmes Nathalie devant ses petites filles qui ne mesurent sans doute pas encore l’importance de ce qui se trame. Peu importe, « un jour, elles comprendront mes larmes. Elles pourront même dire qu’elles étaient là. »

18h54, à la manifestation des anti-IVG. Ce n’est pas la douche froide, personne ici ne s’attendait à un résultat « positif ». « Hélas, trois fois hélas », commence Nicolas Tardy-Joubert avant d’annoncer le résultat. « 780 pour ! », annonce une voix dans la petite foule qui reste rue Hoche. « Ola, pour les 72 parlementaires qui ont voté contre ! Ce sont les héros du jour, ce sont eux qu’il faut célébrer », proclame le président de la Marche pour la vie. La manifestation ayant été déclarée jusqu’à 19 heures, l’organisateur met un point d’honneur à demander aux participants de se disperser à cette heure. Non sans avoir remercié les policiers et gendarmes « qui [les] ont accompagnés ».

19h15, à la manifestation féministe. Des fumigènes sont encore craqués. La sono crache le Viser la lune d’Amel Bent. Certaines personnes commencent à s’éloigner. Pour les autres, l’envie de quitter le Trocadéro ne semble pas près de se pointer.