ANTI-JEUNISME« J’ai été beaucoup stigmatisée en tant que jeune », raconte Salomé Saqué

« Je mettais des tailleurs pour avoir l’air plus âgée », confie Salomé Saqué, déplorant les clichés sur les jeunes

ANTI-JEUNISMEAlors que la version poche de son livre « Sois jeune et tais-toi » sort en librairie ce mercredi, Salomé Saqué a accepté de recevoir « 20 Minutes » chez elle pour parler des vieux, des jeunes, de sa jeunesse à elle et de ses engagements
Ce moment où Salomé Saqué en a eu assez de ces clichés ressassés sur les jeunes
Emilie Petit

Emilie Petit

L'essentiel

  • Le livre de Salomé Saqué, Sois jeune et tais-toi, publié en novembre 2022, est réédité au format poche et sort ce mercredi en librairie.
  • Quelques jours plus tôt, la journaliste de Blast a accepté de recevoir 20 Minutes et sa caméra dans son appartement parisien, pour parler de son livre, mais aussi et surtout d’elle.
  • Elle reconnaît avoir mis beaucoup de ses tripes dans son ouvrage, « parce qu’on n’écrit pas sur des sujets qui nous laissent de marbre ».

«Tu me parles pas d’âge », disait Kylian Mbappé dans une interview en 2018. Six ans plus tard, Salomé Saqué pourrait aisément lui emprunter ces mots. C’est pourtant bien d’âge dont il est question dans ce livre qu’elle porte depuis presque un an, symboliquement baptisé Sois jeune et tais-toi (Ed. Payot) – nom tiré d’une célèbre affiche de Mai-68. De cet âge, même, par lequel on passe sans s’arrêter. « La jeunesse, ce n’est pas un groupe social comme les autres puisque c’est un temps de la vie par lequel on passe tous, et dont on sort tous », aime-t-elle à rappeler.

Rendez-vous était donné chez elle, quelques jours avant la sortie au format poche (ce 6 mars) de son premier ouvrage, véritable succès de librairie. « Je suis désolée, c’est un peu le bazar », nous prévient d’emblée la journaliste lorsqu’elle nous ouvre les portes de son petit appartement parisien (elle avoue avoir longtemps refusé d’accueillir les médias chez elle). Au milieu de la pièce principale mansardée, trône une table remplie de plantes vertes en tous genres, entourée de plusieurs petites bibliothèques aux étagères pleines à craquer de livres.

« Je mettais des tailleurs pour avoir l’air plus âgée, pensant que comme ça, on me prendrait un peu plus au sérieux. » »

A cheval entre la génération des « millennials » et de la Gen Z, elle a, ces dernières années, largement gagné en popularité. Sans jamais se départir d’une rigueur journalistique qu’elle juge indispensable, et d’une répartie implacable face à des interlocuteurs parfois peu délicats. Quitte à se faire qualifier par certains de « journaliste militante ». « On m’a aussi souvent renvoyée à mon âge pour tenter de me décrédibiliser », s’amuse celle qui est, depuis 2021, à la tête du service économie du média en ligne Blast.

A ses débuts comme pigiste à France 24, il y a de ça quelques années, la journaliste développe ses premiers subterfuges pour paraître plus qu’elle n’a. « Je mettais des tailleurs pour avoir l’air plus âgée, pensant que comme ça, on me prendrait un peu plus au sérieux », se souvient-elle. Une habitude dont elle essaye, aujourd’hui, de se départir. Pour, enfin, assumer son style vestimentaire à elle, salopette, veste en jean ou petite jupe noire et pull rouge. « J’ose un peu plus être moi-même », assure-t-elle. Elle évite toujours, en revanche, de donner son âge, de peur d’être réduite à un nombre à deux chiffres qui change tous les ans.

Salomé Saqué dans son appartement à Paris, le 1er mars 2024, en interview pour 20 Minutes.
Salomé Saqué dans son appartement à Paris, le 1er mars 2024, en interview pour 20 Minutes.  - Emilie Petit / 20 Minutes

Témoin de sa génération, pas porte-drapeau

« Bien sûr, j’ai été beaucoup stigmatisée en tant que jeune. C’est ça aussi qui m’a donné envie d’écrire ce livre », se souvient-elle. Véritable travail de fourmi qui oscille entre données chiffrées solides et témoignages poignants, son enquête, dont elle a commencé l’écriture au moment de la pandémie de Covid-19 en 2020, dresse le portrait d’une France en mal de sa jeunesse. Dans ce livre, elle a évidemment mis, aussi, beaucoup de ses tripes, « parce qu’on n’écrit pas sur des sujets qui nous laissent de marbre ».

« Quand j’ai commencé l’écriture de Sois jeune et tais-toi, j’avais 25 ans. C’était donc forcément quelque chose de très personnel, avec certains biais. Je n’aurais pas écrit pareil si j’avais eu dix ans de plus », raconte-t-elle.

Loin de se cacher derrière une neutralité qui, selon elle, n’est « pas atteignable », Salomé Saqué va même jusqu’à revendiquer cette absence, parfois, d’objectivité. Notamment lorsqu’elle aborde des sujets qui la touchent personnellement, comme la crise climatique et l’indifférence systémique à l’encontre des jeunes hommes et des jeunes femmes de sa génération.

Elle explique néanmoins être consciente de ne pas représenter tous les jeunes : « L’embrasement des banlieues de 2005, je ne l’ai pas connu. Je n’ai pas non plus été victime de violences policières ou de racisme lorsque j’étais plus jeune. Je n’ai donc jamais eu la prétention de devenir porte-parole de la jeunesse. » Car Salomé Saqué, malgré ses multiples interventions sur les plateaux télé et sa notoriété grandissante, reste modeste. Comme le milieu d’où elle vient. « Je ne viens pas d’une famille pauvre, mais pas non plus aisée », juge cette fille de parents fonctionnaires, ayant grandi dans un village de quelques centaines d’habitants en Ardèche.

« Je n’ai jamais voulu opposer les générations »

Cette année de promotion pour porter son premier ouvrage, « plutôt destiné aux plus âgés et pas forcément aux plus jeunes », précise-t-elle, n’a pas forcément été un long fleuve tranquille. Malgré une bonne réception de son livre, le fait même d’oser placer au centre de son enquête la jeunesse française d’hier et d’aujourd’hui a suscité de vives réactions. Parfois surprenantes et inconfortables.

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« Pour une partie des plus âgés, documenter ce que vivent les jeunes et expliquer que la situation est difficile, c’est déjà quelque chose d’insupportable. Lors de certaines conférences que j’ai données, des personnes de plus de 70 ans venaient me voir à la fin pour m’insulter ! D’autres venaient me dire, de manière un peu vive, qu’à leur époque aussi, ça avait été difficile. Or, je n’ai jamais voulu opposer les générations », rappelle celle qui dit avoir, aujourd’hui, plus de mal à se situer. « Selon l’Insee, je suis en train de sortir de la jeunesse*. Et en même temps, j’ai déjà l’impression d’être dans cet entre-deux, entre jeunes et vieux. »

« Les jeunes sont de plus en plus précaires, et ceux qui le sont le plus sont en minorité démographique. » »

Quand on lui oppose une certaine forme d’âgisme des plus jeunes à l’encontre de leurs aînés, elle assure qu’il ne s’agit pas d’une attaque mais plutôt d’un mécanisme de défense : « Qu’on le veuille ou non, il existe, aujourd’hui, un rapport de force en défaveur des jeunes générations. » Et de brandir la réalité implacable des chiffres : si, à la dernière élection présidentielle, tous les jeunes âgés de 18 à 29 ans s’étaient rendus dans les urnes, leur vote n’aurait que très peu compté, leur nombre étant de loin inférieur – deux fois moins – au plus de 60 ans. Et leurs intérêts électoraux sont souvent à l’opposé de ceux des plus âgés.

« Aujourd’hui, les jeunes sont de plus en plus précaires, et ceux qui le sont le plus sont en minorité démographique. C’est tout nouveau dans l’histoire française ! Jusque-là, les jeunes avaient toujours été plus nombreux », martèle-t-elle.

Alors, pour tenter de mobiliser une classe politique qu’elle estime déconnectée des problématiques qui touchent la jeune génération, elle continue de porter son enquête, et tous ces témoignages recueillis, pour « rendre compte de la diversité de la jeunesse ». Rappelant, au passage, que pour comprendre « les jeunes », il n’est nul besoin d’en faire partie. « La preuve, notre Premier ministre, Gabriel Attal (34 ans), est, selon les derniers sondages, bien plus populaire auprès des plus âgés que des plus jeunes ! », conclut-elle, le sourire aux lèvres.

Pour voir et écouter Salomé Saqué face à la caméra de 20 Minutes, rafraîchissez cette page et rendez-vous dans la vidéo, tout en haut de cet article !

(*) entre 18 et 29 ans, selon l’Insee