AMOUR VACHELa télévision a-t-elle un problème avec les jeux vidéo ?

Invisibilité, moqueries, approximations… La télévision a-t-elle un problème avec les jeux vidéo ?

AMOUR VACHEA l’occasion de la diffusion des Pégases sur la chaîne Twitch de France TV Slash ce jeudi (20 heures), « 20 Minutes » s’interroge sur les relations conflictuelles entre le gaming et le petit écran
La communauté des joueurs n'est jamais tendre, avec les chaînes de télévision qui traitent l'actualité des jeux vidéo avec approximation.
La communauté des joueurs n'est jamais tendre, avec les chaînes de télévision qui traitent l'actualité des jeux vidéo avec approximation. - N. Bonzom / Maxele Presse / Maxele Presse
Nicolas Bonzom

Nicolas Bonzom

L'essentiel

  • Ce jeudi, les Pégases, cérémonie qui récompense les acteurs de l’industrie du jeu vidéo, sont diffusés sur la chaîne Twitch de France TV Slash. A cette occasion, 20 Minutes s’interroge sur les relations conflictuelles entre les jeux vidéo et le petit écran.
  • A la télévision, il y a souvent « de la condescendance » à propos des jeux vidéo, déplore Yoan Fanise, le fondateur du studio DigixArt. « La télé n’a sans doute pas encore compris le phénomène que cela représente », déplore-t-il.
  • « Dans la majorité des rédactions, cette culture-là n’existe pas », ajoute Patrick Sarréa, ex-directeur des programmes de la chaîne Game One. Ce qui entraîne parfois, des « commentaires d’un autre âge » sur les plateaux, regrette Morgane Falaize, la présidente de l’association Women in games.

«C’est toujours un grand moment, une chaîne info qui parle de jeux vidéo ! » Le 29 février, LCI s’est attiré les foudres du monde des jeux vidéo après la publication, sur X, d’une chronique sur Final Fantasy VII Rebirth. Une horde de gamers à fleur de peau, lessivés que leur passion ne soit jamais prise au sérieux à la télé, a pointé du doigt les railleries et les approximations des journalistes à propos du hit de Square Enix.

Ce n'est pas la première fois qu’une chaîne est ainsi brocardée par des joueurs. En janvier, c’est M6 qui en a fait les frais, après la diffusion d’un reportage sur le « coming-out » d’un comptable de 47 ans fan de jeux vidéo, « comme un adolescent ». À l’occasion des Pégases, diffusés ce jeudi (20 heures) sur la chaîne Twitch de France TV Slash, 20 Minutes s’est donc demandé si la télé avait un problème avec les jeux vidéo.

Squeezie chez Ardisson ? « Un vrai traumatisme »

Sur le petit écran, il y a souvent « de la condescendance » à propos des jeux vidéo, déplore Yoan Fanise, le fondateur de DigixArt, récompensé cinq fois aux Pégases 2022 pour Road 96. « La télé n’a sans doute pas encore compris le phénomène que cela représente. Elle ne se rend pas compte de la diversité des jeux, ni de leur intérêt artistique. » Yoan Fanise se souvient à quel point il avait bondi, en 2017, devant l’interview lunaire de Squeezie par Thierry Ardisson dans « Salut les terriens », sur C8. « C’était violent. Un vrai traumatisme ! », confie-t-il.

« Les jeux vidéo, c’est un peu un "cousin gênant", pour la télé », ironise Patrick Sarréa, qui fut de 1999 à 2002 le directeur des programmes de Game One, la première chaîne consacrée aux jeux vidéo. « Dans la majorité des rédactions, cette culture-là n’existe pas, malheureusement. Il y a des journalistes sportifs, des journalistes dédiés aux nouvelles technologies depuis récemment… Mais des experts en jeux vidéo, très, très peu », regrette ce producteur et conseiller audiovisuel.

Il y en a eu, pourtant, il y a quelques années, confie Morgane Falaize, directrice de l’agence de communication Minuit Douze et présidente de l’association Women in games, qui œuvre pour la mixité dans l’industrie des jeux vidéo. « Il y avait des spécialistes à TF1, France 2 ou Canal+. Plusieurs chaînes en parlaient régulièrement, se souvient-elle. Mais petit à petit, ça s’est étiolé. Aujourd’hui, il y en a beaucoup moins. » Ce qui peut parfois entraîner, sur les plateaux, des « commentaires d’un autre âge, parfois très dégradants », regrette Morgane Falaize. « C’est dommage, parce que ce sont des médias de masse, qui ont un impact sur l’image que le public peut avoir de cette industrie. » Il y a quelques exceptions, convient-elle. Notamment Guillaume Delalande, sur M6, qui connaît « très bien son sujet », Melinda Davan-Soulas et Jean-Marie Marchaut sur BFM TV, ou Arte, qui soutient activement la filière.

Les jeux vidéo, « c’est l’objet culturel le plus complexe »

Si les journalistes ont tant de mal à parler de jeux, c’est peut-être aussi parce que Grand Theft Auto (GTA), Animal crossing et Call of duty ne sont pas tout à fait des œuvres comme les autres. « C’est l’objet culturel le plus complexe, et le moins accessible, reconnaît Fred Moulin, journaliste et ex-animateur du "Journal des jeux vidéo", de 2006 à 2017, sur Canal+. On n’a pas tous les mêmes compétences d’analyse, bien sûr, mais tout le monde peut parler d’un livre, d’un album ou d’un film. Un jeu, il faut savoir jouer, tenir une manette… Et il faut du temps, pour apprécier un titre dans sa globalité. » Et ça, regrette Fred Moulin, ce n’est pas dans la culture des chaînes. Et par ailleurs, « dans "jeux vidéo", on entend "jeux", "jouer", ajoute le journaliste. On a l’impression qu’il n’y a que les enfants qui jouent aux jeux vidéo ! », confie-t-il.

A la télé, « l’approche culturelle des jeux vidéo n’est pas intégrée, assure Patrick Sarréa. Quand elle aborde ce thème, c’est parce qu’il y a un événement mondial autour d’une licence forte, ou alors c’est "Voici ce qu’il faut offrir à Noël" ». Et il n’y a pas de place pour les créateurs, qu’ils soient issus de mastodontes du secteur, ou de studios indépendants.

« Les chaînes ne savent pas qui inviter »

« On nous a déjà dit que les jeux étaient considérés par les directions télé comme un média concurrent ! », ajoute Morgane Falaize. Parce que lorsqu’on allume la PlayStation, on zappe ? Sans doute, s’étonne la présidente de Women in games. « C’est un non-sens ! Combien d’émissions regarde-t-on alors que l’on joue sur son téléphone ? »

C’est sans doute aussi, poursuit Fred Moulin, la faute à l’industrie elle-même, « qui s’est un peu tiré une balle dans le pied, en ne voulant pas "starifier" les créateurs de jeux vidéo, pour qu’ils ne demandent pas trop de royalties. Et ça se paie, aujourd’hui, parce que les chaînes ne savent pas qui inviter. Personne n’est vraiment identifié pour prendre la parole. » Contrairement aux romanciers, aux chanteurs ou aux comédiens, qu’on invite spontanément sur les plateaux, pour promouvoir une œuvre. Pourtant, « il y a toujours des personnes disponibles pour répondre à des interviews ! », assure Morgane Falaize.

Un « amour vache » qui ne date pas d’hier

Mais les relations conflictuelles entre la télé et les jeux vidéo sont anciennes. Si « Télévisator 2 » (France 2) ou « Micro Kid’s » (France 3) ont marqué les années 1990, peu d’émissions, sur les chaînes historiques, ont parlé de Mario, Sonic ou Lara Croft. Et quand les JT l’ont fait, il y a 20, 30 ou 40 ans, c’était souvent avec un ton dubitatif, voire carrément sceptique. On se souvient du reportage qu’Antenne 2 a diffusé, le 29 avril 1983, qui ressort des archives régulièrement quand il s’agit d’évoquer l'« amour vache » entre la télé et les jeux vidéo.

Pour présenter les nouvelles consoles qui obnubilent les gamins de l’époque, le journaliste emploie… une métaphore médicale : « La mâchoire est crispée, le regard fixe, les gestes saccadés. Les symptômes sont clairs, le diagnostic sans appel. Ces enfants sont atteints d’un mal très contemporain, la passion des jeux vidéo », « une épidémie », « un mal qui répand la terreur ». Flippant.

Dans les années 1990 et 2000, seules des chaînes payantes (Canal J, MCM, Game One ou feu Nolife) ont sauvé l’honneur de la télé aux yeux des hardcore gamers, en accordant au gaming une place de choix.

France Télévisions et les Pégases, « un pas en avant »

Alors pour s’informer, dans les années 2000, les joueurs ont déserté le petit écran, et sont allés sur Internet, YouTube, puis les réseaux sociaux, et Twitch. C’est là, aujourd’hui, que se fait et se défait l’actualité des jeux vidéo. Et pas ailleurs. Malheureusement, déplore Patrick Sarréa. Car la télé peut, et doit parler de jeux vidéo, assure-t-il. « On parle de cinéma, de littérature et même de peinture, et ça ne fait pas fuir tout le monde ! », confie l’ex-directeur des programmes de Game One.

NOTRE DOSSIER JEUX VIDEO

Alors quand les Pégases sont soutenues par France Télévisions, même si ce n’est diffusé « que » sur la chaîne Twitch de France TV Slash, c’est « une bonne nouvelle », assure Patrick Sarréa. « C’est un véritable pas en avant. Cela signifie que France Télévisions paie des droits de diffusion, et donc qu’ils croient en cette cérémonie, et en ce public. » Mais c’est encore timide, renchérit Yoan Fanise. « A mon avis, si France Télévisions diffusait les Pégases à la télé, l’audience serait énorme ! » Et peut-être même que cela réconcilierait les joueurs avec le petit écran.