VIOLENCES envers les femmesAprès Ersilia Soudais, la mise en lumière du viol conjugal

Après Ersilia Soudais, la mise en lumière du viol conjugal

VIOLENCES envers les femmesLa députée Ersilia Soudais a déposé une plainte contre son conjoint pour des faits de viol. Une enquête préliminaire a été ouverte
Ersilia Soudais a porté plainte contre son mari pour « viol ». Si celui-ci reste présumé innocent, cette procédure éclaire sur une violence sexuelle méconnue mais pourtant répandue.
Ersilia Soudais a porté plainte contre son mari pour « viol ». Si celui-ci reste présumé innocent, cette procédure éclaire sur une violence sexuelle méconnue mais pourtant répandue. - ISA HARSIN / SIPA
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • La députée LFI, Ersilia Soudais a porté plainte contre son compagnon pour « viol ». Une enquête préliminaire a été ouverte.
  • Si celui-ci reste présumé innocent, cette procédure éclaire sur une violence sexuelle méconnue mais pourtant répandue.
  • 45% des viols commis sur des femmes majeures seraient le fait de leur compagnon ou ex. Les chiffres sont cependant loin de refléter l'ampleur de ces violences encore taboues.

De l’affaire qui oppose la députée LFI, Ersilia Soudais, à son compagnon, on ne sait, pour l’heure que peu de choses. Le 2 mars, l’élue a déposé une plainte contre Damien Cassé, militant dans le même parti et conseiller municipal d’opposition à Noisiel (Seine-et-Marne), l’accusant de l’avoir violée la nuit précédente.

L’affaire a immédiatement été prise au sérieux par le parquet de Meaux qui a ouvert une enquête préliminaire des chefs de « viol par conjoint, harcèlement moral, appels téléphoniques malveillants et violences psychologiques ». Damien Cassé a été placé en garde à vue mardi. Celle-ci a finalement été levée mercredi après-midi. « Les investigations se poursuivent », a précisé le magistrat dans un bref communiqué.

« C’est lorsqu’on creuse qu’elles se mettent à parler »

Si le mis en cause reste évidemment présumé innocent, l’affaire lève le voile sur une forme de violences sexuelles aussi taboue que répandue. La dernière grande étude en la matière* remonte à 2017 : 45 % des viols dont sont victimes les femmes majeures seraient commis par leur conjoint ou ex. Un chiffre qui ne surprend guère l’avocate Anne Bouillon, spécialiste des violences sexuelles et sexistes. Dans son cabinet, elle ne compte plus le nombre de clientes qui, au détour d’une procédure, lui ont confié s’être vues imposer des rapports ou des pratiques par leur partenaire. « Les femmes qui poussent la porte du cabinet pour porter plainte pour viol contre leur mari sont rares. Généralement, elles viennent pour divorcer ou pour des violences conjugales et c’est lorsqu’on creuse qu’elles se mettent à parler. »

Longtemps ignoré à cause de la notion de « devoir conjugal », le viol par conjoint est reconnu par la jurisprudence depuis 1990 et constitue une circonstance aggravante passible de vingt ans de prison depuis 2006. Selon les chiffres du ministère de la Justice datant du mois du novembre dernier, le volume de procédures pour agression sexuelle ou viol sur conjoint a plus que doublé depuis l’émergence du mouvement #MeToo : entre 2017 et 2022, le nombre de mis en cause a augmenté de 164 %, passant de 1.377 personnes à 3.641 cinq ans plus tard. Une hausse bien loin de refléter l’ampleur de ces violences sexuelles. A titre de comparaison, chaque année, près de 20.000 personnes sont soupçonnées dans ce genre d'affaires, hors du cadre familial.

Les violences souvent minimisées par les victimes

« Les études ont montré qu’une femme adulte et en couple a bien plus de risque d’être abusé sexuellement par son conjoint que par n’importe quelle autre personne, comme un voisin, un collègue ou même un inconnu », abonde Véronique Le Goaziou, sociologue et autrice de Viol, que fait la justice ? (Ed. Presses de Sciences Po. Paris). Pour autant, les plaintes sont rares. « Il faut d’abord avoir conscience de ce qu’on a subi. Or, ce n’est pas toujours évident », note la chercheuse.

Les violences sont souvent minimisées. « Il a abusé », « exagéré », « il est allé un peu trop loin » reviennent régulièrement dans la bouche des victimes. Cette difficulté à poser des mots, Anne Bouillon la constate également au quotidien : « le mot "viol" est rarement employé, parfois il est même repoussé. Les faits sont racontés sur le registre d’une femme qui cède ou abdique à force de pression et d’insistance, de chantage aux enfants : "si tu cries, ça va les réveiller". »

Dans certains cas, les faits s’inscrivent dans un continuum de violence, les viols en étant une déclinaison. Dans d’autres affaires, ces agressions sont cependant dissociées de toute autre forme d’agressions. Et l’avocate de citer le cas de cette femme qui, alors qu’elle allait divorcer, a découvert dans le téléphone de son mari des photos de lui la violant pendant qu'elle dormait profondément, sous l’effet des antidépresseurs.

En se plongeant dans des centaines de plaintes, la sociologue Véronique Le Goaziou a isolé plusieurs scénarios récurrents de passage à l’acte. « Si on écarte les viols commis dans un cadre de violences conjugales répétées, on remarque que la perspective d’une séparation et les soupçons d’infidélité sont des moments de passage à l’acte, comme une volonté de marquer son territoire. »

Porter plainte contre le père de ses enfants

Pour autant, au-delà de la prise de conscience, beaucoup de femmes craignent de se lancer dans une procédure comme celle-ci. Parce qu’il y a parfois des enfants dans l’équation et que porter plainte contre leur père n’est pas la même démarche que contre un « ami », collègue ou voisin. Parce que se pose également la question de la protection des victimes, notamment celles qui sont dépendantes financièrement.

Les hésitations sont d’autant plus importantes que ces enquêtes sont souvent compliquées. Depuis 2019 et le Grenelle des violences conjugales, policiers et magistrats sont de mieux en mieux formés à recueillir cette parole, mais dans ces affaires, c’est souvent parole contre parole. « Le viol conjugal a généralement lieu dans un espace où les relations sexuelles sont considérées comme normales et voulues. C'est toute la difficulté de cette question : comment établir que, cette fois, on n’était pas consentante ? », insiste Véronique Le Goaziou.

+ d'infos sur les violences conjugales

Selon la sociologue de nombreuses affaires sont classées sans suite ou juger devant un tribunal correctionnel pour « violences ». « Les assises sont rares, reconnaît Anne Bouillon. Mais lorsqu’il y en a les peines peuvent être très importantes. » Récemment, l'avocate a assisté une femme dont le mari, avant de l’agresser, lui envoyait systématiquement un texto, sorte de mise en garde cynique : « je vais te violer ce soir. » Il a été condamné à douze ans de réclusion criminelle.

* Enquête de victimation Virage, menée par téléphone en 2015.