Droits des femmesLe viol collectif d’une touriste espagnole secoue la société indienne

Inde : « Ternir la réputation du pays n’est pas malin… » Le viol collectif d’une touriste espagnole secoue la société

Droits des femmesLa gestion de cette affaire et les réactions engendrées donne l’impression d’autorités plus soucieuses de leur image à l’international qu’attentives aux violences sexuelles faites aux femmes
Manifestation à Calcutta, le 24 août 2022.
Manifestation à Calcutta, le 24 août 2022. - S.Jana/Hindustan Times/Shutt/SIPA / Sipa
Alexandre Vella

Alexandre Vella

L'essentiel

  • Fernanda et Vicente, deux moto-touristes espagnols, ont été violemment agressés en Inde. La quadragénaire a été violée par plusieurs hommes.
  • Le couple a raconté son histoire sur les réseaux sociaux, où leur agression a trouvé un écho international.
  • Ce fait divers a replacé l’Inde face au débat des violences faites aux femmes, un sujet où le pays fait figure de mauvaise élève.

Une sordide histoire d’agression et de viol collectif, qui secoue l’Inde à l’approche du 8 mars, journée internationale des droits des femmes. Après 170.000 km à moto et 66 pays traversés, Fernanda et Vicente se trouvaient en Inde depuis huit mois. Dans le nord-est du pays, sur la route entre le Bengale et le Népal, le couple s’apprêtait à camper comme tous les soirs ou presque depuis cinq ans, lorsqu’ils ont été attaqués par plusieurs hommes. « Ils nous ont frappés, et nous ont volé nos affaires, mais pas grand-chose car tout ce qu’ils voulaient, c’était me violer », expliquait la jeune femme sur le compte Instagram du couple, suivi par plus de 300.000 personnes.

L’affaire émeut et fait rapidement le tour des réseaux, versant progressivement dans un débat sur la sécurité des voyageuses en Inde, pays réputé peu sûr. Si Fernanda et Vicente ont tenu à dire que le pays compte « beaucoup de gens bons » et « mérite d’être visité », l’Inde figure au second rang des pays les plus dangereux pour les voyageurs, selon un classement de 2020 basé sur les 50 pays les plus visités (la France est 32e, par exemple). Ce fait divers a poussé les voix féministes locales à hausser le ton et de nombreuses voyageuses à raconter leurs peurs. On vous dit tout sur la situation dans ce pays « où le droit des femmes recule », déplore à 20 Minutes Kavita Krishnan, figure militante qui était parvenue à faire émerger médiatiquement le problème des violences contre les femmes après, déjà, un précédent viol collectif.

Bad buzz à Bollywood

Huit hommes ont été arrêtés dans le week-end dans cette affaire. Promptes à rendre justice, les autorités indiennes ont remis ce lundi un chèque de 12.000 dollars aux victimes dans le cadre d’un programme de compensation. Une célérité accompagnée d’une mise en scène filmée, un brin gênante et traduisant « la préoccupation des autorités au sujet de l’image du pays », souligne Virmani Arundhati, historienne spécialiste de l’Inde et enseignante à l’Ehess. « Le gouvernement essaye d’acheter le silence à l’international », complète Kavita Krishnan, qui rappelle que d’ordinaire, la compensation, lorsqu’elle aboutit, est de l’ordre de quelques milliers de roupies (une centaine d’euros).

De même, la réaction de Rekha Sharma, proche de Modi, la présidente de la Commission nationale pour les femmes (NCW), au témoignage d’un journaliste américain ayant vécu en Inde et décrivant « un niveau d’agressions sexuelles incomparable » illustre l’attitude d’une élite politique qui s’inquiète plus de son image que de la cause des femmes. « Ecrire sur les réseaux et ternir la réputation de tout un pays n’est pas malin », a ainsi publié sur X celle qui dirige une instance officielle du droit des femmes.

Pour Kavita Krishnan, il s’agit d’une réaction symptomatique d’un « nationalisme politique qui tend à éteindre toutes critiques. Peu importe ce que nous revendiquons, cela ne doit pas ternir l’image ». Avec cette affaire ce sont deux aspects de la société indienne qui entrent en résonance : celui de renvoyer l’image d’un pays sûr pour les 6 millions de touristes annuels, et celui, finalement ancestral, des violences faites aux femmes.

Des violences bien ancrées

Quelle est la situation des femmes en Inde ? « Very bad », je vous épargne la traduction, a résumé Kavita Krishnan. « Beaucoup des violences faites aux femmes sont aussi enracinées dans le système de castes, pour empêcher des mariages hors de sa caste ou que les parents n’auraient pas choisis. » Un système que Kavita Krishnan considère entretenu par la majorité nationaliste hindoue au pouvoir, « qui fait reculer le droit des femmes » alors que se profilent des élections générales dans trois mois.

« Ces violences sont aussi largement normalisées dans la culture indienne. Il y a de nombreux films indiens où l’image de la femme est problématique, avec des répliques de stars comme : “Une femme seule, c’est comme un coffre-fort” », poursuit Virmani Arundhati, qui rappelle également qu’au-delà de l’Inde, les femmes ne sont pas plus épargnées par ces violences, en témoigne l’affaire Depardieu.

Et tout ne semble pas être qu’une question d’éducation. « Au Kerala (dans le sud du pays), où le taux d’alphabétisation des femmes est très fort, avec 90 %, le patriarcat n’en reste pas moins puissant. L’important, c’est l’autonomie financière des femmes. C’est ce qui leur permet de dire non », conclut l’universitaire.

Des voyageuses indiennes témoignent de leurs inquiétudes

La société indienne ne reste pas pour autant immobile sur ces questions. Kanchan Ugursandi, une célèbre bikeuse indienne originaire de la région où s’est produit le viol, a décliné une proposition du gouvernement, qui lui proposait une collaboration pour promouvoir le tourisme à moto dans l’Etat du Jharkand, rapporte The Times of India. « Je ne me sens pas en sécurité lorsque je voyage seule dans cet Etat, et pourtant j’ai parcouru toute l’Inde à moto », a-t-elle déclaré parmi d’autres témoignages. Mais la bikeuse espère faire entendre la voix des femmes en appelant à une manifestation de soutien des motards indiens à Dehli.

Une journaliste du India Express qui a l’habitude de voyager seule a aussi fait état dans son journal de ses sentiments et mésaventures. « Les touristes n’ont qu’un aperçu de ce que les locaux vivent chaque jour. (…) Comme femme voyageuse, j’ai réalisé qu’il y a peu de liberté sans sentiment de sécurité », écrit-elle dans un texte intitulé : « Le viol de la touriste espagnole a érodé ma confiance de

voyageuse solo. »