INTERVIEW« L’art sert à faire évoluer les consciences » pour Ludivine Sagnier

« Il est important de parler d’une agression mais on a aussi le droit de ne pas parler» estime Ludivine Sagnier

INTERVIEWLudivine Sagnier s’est confiée à « 20 Minutes » à l’occasion de sa performance dans l’adaptation théâtrale du « Consentement » de Vanessa Springora
Jusqu'au 6 avril, Ludivine Sagnier interprète le roman autobiographie de Vanessa Spingora, « Le consentement » sur la scène du théâtre du Rond-Point.
Jusqu'au 6 avril, Ludivine Sagnier interprète le roman autobiographie de Vanessa Spingora, « Le consentement » sur la scène du théâtre du Rond-Point. -  Christophe Raynaud -Delage / Théâtre du Rond-Point
Caroline Vié

Caroline Vié

L'essentiel

  • Ludivine Sagnier incarne tous les personnages du récit autobiographique de Vanessa Springora « Le Consentement » sur la scène du théâtre du Rond-Point à Paris.
  • Du 7 mars au 6 avril, elle fait partager le cauchemar d’une adolescente séduite puis brisée par le romancier de Gabriel Matzneff.
  • Sa performance brillante lui permet d’évoquer des sujets qui lui tiennent à cœur comme la protection des enfants.

On avait récemment vu Ludivine Sagnier sur le petit écran dans Lupin, la série Netflix. Avant qu’on la retrouve sur Apple TV+ dans Franklin face à Michael Douglas et Leurs enfants après eux, adaptation du prix Goncourt 2018 de Nicolas Mathieu par les frères Boukherma, c’est sur la scène du théâtre du Rond-Point à Paris qu’elle se produit du 7 mars au 6 avril.

Une partition crée par Dan Levy du groupe The Dø, interprétée par le batteur Pierre Belleville, l’accompagne quand elle incarne tour à tour tous les personnages du Consentement de Vanessa Springora. Sa performance est si intense qu’on ressort courbaturé de la salle, emporté par l’histoire vraie et cauchemardesque d’une adolescente de 13 ans séduite puis brisée par le romancier Gabriel Matzneff. Pour 20 Minutes, la comédienne s’est confiée à l’occasion de la Journée des droits des femmes.

Pourquoi adapter « Le Consentement » sur scène ?

Les questions que posent le roman et la pièce sont très simples et très importantes. Sommes-nous suffisamment armés pour protéger nos enfants face à ce type de prédateurs ? Nos enfants sont-ils assez alertés pour les éviter ? C’est important d’aborder ces sujets à travers différents médias, même si je n’ai volontairement pas vu le film, car je ne souhaitais pas être influencée. L’art sert à faire évoluer les consciences.

Vanessa Springora a-t-elle participé au projet ?

Elle nous a soutenus et a approuvé l’adaptation bien qu’elle n’ait pas travaillé avec nous. C’était très émouvant de la voir dans la salle, quand nous avons joué les premières représentations de la pièce l’an dernier à l’Espace Pierre-Cardin. Je le respecte infiniment non seulement pour son intelligence mais aussi pour sa résilience. Le livre est le résultat d’années de travail sur elle-même. C’est un acte réfléchi et contrôlé que je dois restituer sur scène. Il s’agit de son adolescence brisée par un prédateur et de sa compréhension de ce qu’elle a vécu, et de comment elle a été manipulée.

Est-ce une pièce difficile à jouer ?

Je dirais que c’est sportif… Il m’a fallu un bon moment pour trouver la distance nécessaire, dépasser la révolte, la colère et le dégoût que m’inspire « M », car comme Vanessa Springora, je me refuse à prononcer le nom de son agresseur. Le metteur en scène Sébastien Davis souhaitait que je ne me complaise pas dans ce type de réactions.

Trouvez-vous que la libération de la parole est une bonne chose ?

Bien sûr, bien que je sois surprise quand on me demande frontalement si j’ai déjà été agressée. Cela me choque pour plusieurs raisons. Déjà, c’est une question très intime. Si cela était le cas et que je n’ai pas décidé d’en parler, je n’y suis pas obligée. Il est important de parler d’une agression mais on a aussi le droit de ne pas en parler. M’aborder ainsi ne me semble pas respectueux de la part de certains médias. Imaginez ce que peut ressentir une victime qui n’a pas le désir de se confier d’être régulièrement confrontée au souvenir de son agression. Je n’aime pas non plus l’idée de mettre les gens dans des cases : les victimes et les autres. Même si je ne suis pas directement concernée, j’estime être légitime pour m’exprimer sur ces sujets comme citoyenne et comme femme.

Pensez-vous que ce genre de comportements peut encore arriver aujourd’hui ?

J’espère bien que non ! Mais la parole de Judith Godrèche a prouvé que Vanessa Springora n’était pas la seule à avoir subi de genre de prédations. Quand j’étais adolescente, le mot « consentement » n’avait pas vraiment de connotation sexuelle, mais les mentalités évoluent. Il ne s’agit pas de s’en prendre au passé mais de travailler pour l’avenir. La Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles) était un pas dans cette voie. Ce projet du gouvernement n’a, malheureusement, été qu’un feu de paille quand on s’est rendu compte du travail et l’investissement qu’il demandait, peut-être aussi du fait qu’il impliquait de couper quelques têtes.

Pourquoi les choses avancent-elles si lentement ?

La société est un écosystème. Et comme tous les écosystèmes, il lui faut du temps pour évoluer. Cela encourage à rester déterminés et mobilisés : rien n’est jamais acquis mais avec de la patience, on arrive à des changements durables comme l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Et les plus jeunes sont très informés et militants que ce soit pour ces causes ou pour l’écologie.

Que peut-on faire concrètement ?

De tas de petites choses. Ma belle-sœur Mai Lan Chapiron travaille par exemple sur l’information des plus jeunes enfants avec son site Le Loup et son livre C’est mon corps (éd. de la Martinière) qui explique aux gamins que leurs zones intimes n’appartiennent qu’à eux. Du côté des tournages, ça bouge aussi. Il existe maintenant des référents « harcèlement » qu’on peut consulter en cas de souci. Et dans les cours d’acteurs de l’école Kourtrajmé, que je dirige, il est entendu que deux personnes doivent toujours être présentes pour parler à un élève. C’est ainsi qu’on avance doucement.

Le harcèlement sexuel est-il la seule discrimination que subissent les actrices ?

Je me souviens d’avoir voulu venir assister au montage d’un film et de m’être entendu répondre « Tu t’inquiètes de ton profil ? » comme si je ne m’intéressais qu’à ma représentation physique. On pense encore trop souvent que les actrices ne songent qu’à être belles. Je suis devenue productrice pour avoir plus de pouvoir et prouver que c’est faux. Et ça fonctionne. Bien qu’il y ait des abus dans tous les milieux où se développent des relations de pouvoir, je n’ai pas honte de celui du cinéma. Je suis même fière qu’il tente de donner l’exemple d’un profond changement.

Que pensez-vous de la Journée des droits des femmes ?

Qu’ils existent aussi les trois cent soixante-quatre autres jours ! Mais c’est mieux que rien ! Si la Journée des droits des femmes n’existait pas, on ne pourrait pas la critiquer et on n’ouvrirait pas le dialogue. Même si c’est réducteur, elle fait parler de sujets importants. Je suis quelqu’un de résolument optimiste.