L’esprit et l’êtreDans l’Aveyron, impossible d’avorter passée la 12e semaine de grossesse

IVG : Trajet, confidentialité… Dans l’Aveyron, les femmes ne sont pas égales devant l’avortement

L’esprit et l’êtreL’IVG a beau être désormais gravée dans le marbre de la Constitution, des inégalités d’accès, sociales et géographiques, persistent. Dans l’Aveyron, impossible d’avorter passée la douzième semaine de grossesse
En France, le délai légal pour pouvoir avorter est passé de 12 à 14 semaines il y a maintenant deux ans. Mais dans l'Aveyron, il n'y a toujours pas de prise en charge au-delà de la douzième semaine. Illustration.
En France, le délai légal pour pouvoir avorter est passé de 12 à 14 semaines il y a maintenant deux ans. Mais dans l'Aveyron, il n'y a toujours pas de prise en charge au-delà de la douzième semaine. Illustration. - DURAND FLORENCE/SIPA / Sipa
Hélène Ménal

Hélène Ménal

L'essentiel

  • Cette Journée des droits des femmes a été choisie symboliquement pour le scellement de la Constitution amendée de la garantie d’accès à l’IVG.
  • Mais sur le terrain, des inégalités d’accès à l’avortement persistent.
  • Dans l’Aveyron, malgré l’allongement du délai à 14 semaines il y a deux ans, les femmes qui sont entre 12 et 14 semaines sont dirigées vers Toulouse ou Montpellier, ce qui complique considérablement le parcours des plus isolées ou précaires.

L’IVG inscrite dans la Constitution, c’est « historique ». Mais pouvoir y accéder sans « frein », où que l’on habite dans l’Hexagone, ce n’est pas encore gagné cinq décennies après la Loi Veil. Selon un rapport de la Sécurité sociale, 17,2 % des femmes qui ont recouru à l’IVG en 2021, l’ont fait en dehors de leur département de résidence. « Certains imaginent que ce n’est rien de changer de département pour faire une IVG, mais pour certaines femmes, c’est beaucoup ! », tempête Marie-France Taurinya, la présidente de fédération du planning familial en Occitanie.

Deux ans après le décret allongeant le délai de 12 à 14 semaines de grossesse pour recourir à l’avortement, elle constate que dans deux départements de la région – « Les Hautes-Pyrénées et l’Aveyron » – aucun centre hospitalier ne couvre la période « 12-14 semaines » ou « 14-16 semaines d’aménorrhée ».

Des équipes pas encore formées à l’hôpital

Selon Marie Da Costa, la présidente du planning familial de l’Aveyron, l’impossibilité de se faire avorter passées 12 semaines dans les hôpitaux de Rodez ou Millau tient au fait que les équipes médicales n’ont pas encore été formées à cette prise en charge plus technique. « Quand on fait le choix d’élargir des durées, il faut faire en sorte que la formation suive. C’est problème systémique », regrette la responsable.

Dans ce vaste département, parfois montagnard, les femmes concernées par le « 14-16 », comme disent les militantes, doivent donc aller à Toulouse ou Montpellier. Une heure à une heure et demie de route dans le meilleur des cas, et de l’essence ou des billets de train à payer pour plusieurs rendez-vous à honorer. « Quand on habite dans une zone rurale mal desservie par les transports en commun et qu’on n’a pas de voiture, ça coûte, résume Marie Da Costa. Ça coûte en temps, en argent, parfois en RTT mais aussi en confidentialité si l’on est obligé de demander de l’aide pour le trajet. Les inégalités sont à la fois géographiques et sociales ».

De longs trajets à accompagner

La responsable ne veut pas non plus laisser penser que, dans l’Aveyron, des femmes sont laissées au bord du chemin. « Notre réseau fonctionne bien, nous y arrivons toujours. » Même si ce sont les bénévoles ou les salariés de l’association qui en paient parfois le prix. Car, bien sûr, quand elles sentent la personne en fragilité, ou qu’il s’agit d’une mineure qui veut cacher son IVG, elles font le trajet avec elle vers la capitale régionale. « Pour assurer le soutien psychologique ».

Dans le département, où la démographie médicale est très vieillissante, seules deux généralistes pratiquent l’IVG médicamenteuse autorisée jusqu’à la fin de la septième semaine de grossesse. C’est pourquoi le réseau aveyronnais s’appuie aussi sur des sages-femmes libérales, agréées pour prescrire les pilules abortives depuis 2016. Mais le problème, c’est qu’elles se comptent sur les doigts des deux mains.

Un recours aux sages-femmes pas vraiment facilité

Marie-Pierre Tessier a été la première sage-femme aveyronnaise à demander son conventionnement et à l’obtenir en 2020. « Ça a pris neuf mois, raconte-t-elle. Je pense que mon dossier s’est même perdu ». La professionnelle prescrit depuis une quarantaine d’IVG par an et concède que ce n’est pas la part la plus épanouissante de son métier. « Il faut beaucoup de disponibilité, alors qu’on en a peu. Car il ne suffit pas simplement de donner des comprimés, il faut assurer le suivi et surveiller la deuxième prise. Mais c’est un droit et je le dois à mes patientes », dit celle qui prend évidemment le temps de s’assurer que la demande est faite sans pression extérieure.

La sage-femme observe aussi que certaines de ses patientes IVG étaient tout simplement en attente d’un stérilet. Mais l’Aveyron étant aussi un désert gynécologique, les délais s’allongent et c’est la double peine.

Pour les militantes féministes, la réduction des inégalités territoriales face à l’IVG passe aussi par l’habilitation des sages-femmes pour l’IVG instrumentale. Théoriquement, c’est possible. Un décret de décembre 2023 le permet. Mais il est considéré « inapplicable » par les intéressées. Même si Frédéric Valletoux, le nouveau ministre de la Santé, a promis de « réviser », ce décret impose en effet la présence proximité de pas moins de trois médecins (anesthésiste réanimateur, obstétricien et radiologue) au moment la chirurgie.

+ d'infos sur le droit à l'IVG

« Il n’y a que dans un CHU qu’on peut mobiliser un tel plateau technique sur des créneaux fixes, pas dans nos petits hôpitaux », souligne Marie-Pierre Tessier. « Alors, les sages-femmes seraient compétentes pour les accouchements mais pas pour les IVG ? s’énerve Marie-France Taurinya. On voit très bien que l’IVG instrumentale est encore montrée du doigt comme un acte compliqué et mettant en danger la vie des femmes ». Elle l’assure, ce n’est pas le scellement de la Constitution en grande pompe qui va endormir la vigilance des féministes sur le terrain.