GAME OVERLes femmes restent insuffisamment représentées dans les jeux vidéo

Les femmes restent insuffisamment représentées dans les jeux vidéo

GAME OVERMalgré des progrès en surface, les héroïnes restent minoritaires dans les jeux vidéo, et les femmes qui les écrivent aussi
Lara Croft fait partie des personnages féminins iconiques du jeu vidéo.
Lara Croft fait partie des personnages féminins iconiques du jeu vidéo. - Square Enix / Square Enix
Quentin Meunier

Quentin Meunier

L'essentiel

  • Parmi les 100 jeux les plus populaires entre 2017 et 2022, seuls 27 % des protagonistes étaient des héroïnes. Pourtant, 67 % des joueuses françaises sont des femmes selon une compilation d'études de l'association Women in Games publiées le 8 mars 2022.
  • Si des personnages féminins forts existent (Samus Aran, Lara Croft, Aloy), ils sont souvent idéalisés et ne permettent pas toujours l'identification, notamment par leur physique sexualisé.
  • Cela peut s'expliquer par la sous-représentation des femmes dans les métiers de création de jeux vidéo : 24 % dans l'industrie, 26,7 % dans les écoles.

Les inégalités de genre se cachent aussi dans le monde virtuel. Parmi les 100 jeux vidéo les plus populaires entre 2017 et 2022, seuls 27 % des protagonistes étaient des héroïnes. C’est l’un des constats de l’association Women in Games, qui publie ce vendredi, à l’occasion de la journée internationale du droit des femmes, une série d’infographies fondée sur une compilation d’études.

Pourtant, en France, 67 % des femmes jouent aux jeux vidéo. « Personnellement, je suis fatiguée, j’ai dû jouer des personnages masculins pendant des années, et maintenant le fait de pouvoir jouer une femme est décisif dans l'achat d'un jeu », assure Héloïse, grande fan de la duologie « Horizon ».

Les réponses de lecteurs et lectrices à notre appel à témoignages montrent une diversité d’opinion. « Une femme qui fracasse des golgoths c’est irréaliste », estime un lecteur dont le propos rappelle les réactions misogynes de certains gamers lorsque Rockstar a révélé que GTA VI, le prochain épisode de sa saga à succès, permettrait d’incarner une femme. Une levée de boucliers qui a pu aller jusqu’au cyberharcèlement de joueuses, de développeuses ou de journalistes jeux vidéo.

« Présence ne veut pas dire identification »

Puis, il y a ceux qui soulignent les progrès qui ont déjà été accomplis. Que ce soit Samus Aran de « Metroid », Lara Croft de « Tomb Raider », ou plus récemment Aloy de « Horizon », le jeu vidéo ne manque pas de personnages féminins forts. « Je trouve que les jeux vidéo font beaucoup d’efforts pour s’adapter au monde actuel et je pense que le problème principal est la communauté de joueurs », estime par exemple Elise.

Attention, alerte quand même Anna Bressan, conférencière et secrétaire de Women in Games, ces quelques têtes d’affiche sont aussi « des actions de communication, qui ne correspondent pas à ce qu’on retrouve dans la totalité des jeux ».

De plus, « qui dit présence ne veut pas dire identification », ajoute Anna Bressan. Elle poursuit : « Il y a une question de la diversité des personnages. On a toujours des versions idéalisées de la femme, alors qu’il faudrait plus d’inclusion, différentes voix féminines, et le même temps de parole entre personnages masculins et féminins. »

Cet avis est partagé par certaines joueuses comme Sandy, qui s’est même résolue à incarner des personnages masculins pour être plus à l’aise. « Les personnages féminins ont été durant très longtemps des jeunes femmes en robes ou en tenue trop féminine à mon goût, assure-t-elle. Dans la plupart des jeux les femmes sont soit avec des gros décolletés, soit d’une autre espèce (troll, nain…), soit des petites filles. Pas de personnages simples avec des proportions qui permettent de s’identifier. » Les recherches de Women in Games le soulignent : 70 % des joueuses et des joueurs ressentent un besoin d’identification à leur avatar.

Un manque de femmes créatrices

« Est-ce que le problème ne vient pas du faible pourcentage de joueuses, du faible nombre de studios dirigés par des femmes voire du faible nombre de femmes dans la filière du jeu vidéo, notamment au scénario ? », interroge Gilles. Selon Women in Games, l’industrie du jeu vidéo en France compte en effet 24 % de femmes et 5 % de personnes non-binaires. Et les écoles ne font pas mieux. « Les parents ne recommandent pas les métiers de la tech aux filles, considère Anna Bressan. Il faut arrive à recruter des jeunes femmes, qu’elles intègrent le secteur et aussi qu’elles y restent. » En effet, la part de filles dans les écoles est légèrement plus élevée (26,7 %), ce qui porte à croire que beaucoup de femmes quittent le secteur rapidement. Parmi les joueuses de 18-30 ans, un tiers aimerait travailler dans le jeu vidéo, mais les trois quarts considèrent que l’industrie est stigmatisante envers les femmes.

Il reste peut-être une option, souvent citée, qui sert de lot de consolation : la personnalisation du personnage, une option de plus en plus présente dans les jeux à multijoueurs ou les jeux solos à gros budget. Même si elle limite parfois un peu la narration, elle permet au moins de laisser le choix aux joueuses.

Une autre problématique met mal à l’aise les joueuses : la toxicité dans les jeux en ligne. « J’utilise toujours un avatar féminin en multi et lors de la bêta de Red Dead Online, j’ai remarqué [que je me faisais] beaucoup plus enquiquiner que les gens avec des avatars masculins », témoigne par exemple Héloïse.

Selon les études compilées par Women in Games, quatre joueuses sur dix ont déjà vécu du harcèlement en ligne. « On demande une sensibilisation du jeune public, ainsi qu’une législation plus dure pour dissuader ces comportements, recommande Anna Bressan. Les éditeurs de jeux travaillent ce sujet, mais il faudrait une modération quasi instantanée pour régler tous les problèmes. »