VIVE LES VACANCESLes « congés illimités » au boulot, ça marche vraiment ?

Entreprise : Les salariés posent des jours quand ils veulent… Les « congés illimités », ça fonctionne vraiment ?

VIVE LES VACANCESSi le concept de prendre des vacances « à volonté » peut séduire, il a aussi « ses limites », selon un psychologue du travail
De manière générale, les salariés qui peuvent bénéficier de congés illimités ne dépassent que très peu les cinq semaines légales.
De manière générale, les salariés qui peuvent bénéficier de congés illimités ne dépassent que très peu les cinq semaines légales. - Montage à partir d'une image de master1305 conçue par Freepik / Freepik
Elise Martin

Elise Martin

L'essentiel

  • Plusieurs entreprises françaises comme Yes We Dev, PopChef ou Anikop ont mis en place le concept de « congés illimités », permettant à leurs employés de prendre autant de vacances qu’ils souhaitent et quand ils le souhaitent.
  • Le psychologue du travail Sébastien Hof pointe certaines limites à ce système, qui dépend de nombreuses conditions et peut générer des inégalités entre salariés selon leur charge de travail.
  • D’après lui, les « congés illimités » relèvent plus d’un marketing que d’une réalité, la plupart des salariés continuant à prendre cinq à six semaines de congés par an.

Poser des jours quand on veut et autant qu’on veut, sans limite… Depuis quelques années, ce concept de « vacances à volonté », développé dans les années 2000 aux Etats-Unis, a séduit de plus en plus d’entreprises à travers le monde. Et la France n’y échappe pas. Yes We Dev à Rennes, Popchef à Paris ou encore Anikop à Lyon… Même si elles sont peu nombreuses, plusieurs entreprises ont tenté l’expérience ces dernières années. Alors, ça marche vraiment, les congés illimités ?

« Tout le monde devrait faire pareil »

Mélanie, cheffe de produit depuis cinq ans chez Anikop, une entreprise d’informatique, affirme être « beaucoup moins stressée » depuis la mise en place des « congés libérés ». « En cas de besoin, je sais que je peux prendre un jour sans devoir compter ce qu’il me reste », détaille-t-elle. Elle apprécie particulièrement ce concept depuis qu’elle est devenue mère : « Ça m’a retiré une énorme charge mentale pour organiser ma vie privée et professionnelle ». Pour l’instant, elle a « beau chercher », elle ne trouve « aucun point négatif ». Même constat pour son collègue Philippe, 56 ans. Selon lui, « tout le monde devrait faire pareil ». « Grâce à cette dynamique collective, on vient au travail pour le plaisir de faire tourner la boîte », souligne-t-il. Ce dernier vient d’ailleurs de poser quelques jours pour souffler. « Je vais partir en évasion à moto », indique-t-il en souriant.

Nicolas Perroud va dans la même direction. « Jamais je ne reviendrai en arrière », assure le dirigeant de cette entreprise. Il a instauré ce principe en 2021. Depuis, il n’existe « plus aucun outil de contrôle », mais une charte morale conçue par la trentaine de collaborateurs pour gérer la prise de congés. « Si une personne souhaite prendre cinq jours, elle prévient cinq jours en avance et c’est validé automatiquement [le délai de prévention est proportionnel au temps d’absence prévu]. C’est super fluide ! », affirme-t-il, répétant qu’il a « une totale confiance » en ses collègues. De son côté, il se retrouve avec « moins de charges administratives » et « une boîte en croissance constante ».

Des congés illimités oui, mais sous conditions

Chez Popchef aussi, le modèle perdure, sept ans après sa mise en place. Pour Clara, employée dans la boîte parisienne, le « plus grand avantage », c’est « la liberté de poser quand [elle veut] ». « En réalité, on est très peu à prendre au-delà des cinq semaines légales », affirme la responsable communication. Selon la direction des ressources humaines, depuis 2017, les salariés prennent en moyenne une semaine supplémentaire de vacances, donc six. Et en 2023, ils n’ont pris qu’un jour en plus du minimum légal. « On était sur une phase de forte croissance », justifie Clara.

Car contrairement à Anikop, l’option des congés illimités a été « conditionnée » en fonction de l’activité et des objectifs atteints dans cette société de services de restauration. « On part une fois que le travail est fait », résume Clara, en précisant que la validation des vacances reste aussi à la charge d’un manageur. Pour elle, il existe « un seul » point négatif : « La mesure peut générer des inégalités entre certains salariés, puisque le travail n’est pas le même en fonction des services. Les personnes en équipe support n’ont pas les mêmes obligations que celles qui sont sur le terrain. »

Les limites des congés illimités

Les congés illimités auraient donc… des limites ? D’après Sébastien Hof, psychologue du travail, le concept dépend de « trop de conditions » à juxtaposer. « La taille de la boîte, le type de job, la manière de s’organiser entre collègues », énumère-t-il. Avant d’enchaîner : « Dans tous les cas, l’employeur attendra toujours de la production de la part de ses collaborateurs. Un salarié peut donc se retrouver à prendre moins de congés que les autres parce qu’il n’a pas réussi à atteindre les objectifs. » C’est ce qu’il s’est passé pour Yes We Dev. Après trois ans d’expérimentation, la PME rennaise a renoncé aux vacances à volonté. « Personne n’en profitait réellement, si ce n’est un ou deux salariés », avait confié en 2020 le président, Charles Dupoiron, interrogé par Pour l’éco.

Sébastien Hof, également membre du réseau national de consultation « souffrance et travail », ne voit donc pas comment « le principe peut fonctionner de manière saine ». « Il incite à bosser à des moments ou des endroits où les employés ne devraient pas le faire, souligne-t-il. Par exemple, on va se retrouver en famille, dans les îles, à travailler trois heures pour boucler une tâche. Et puis, il y a un transfert des responsabilités qui me gêne énormément. Dans les congés illimités, une charge repose sur le travailleur, alors que ça ne devrait pas être le cas. L’organisation du travail et, de ce fait, les absences appartiennent à l’employeur. »

Le psychologue du travail n’y croit donc pas et compare ce « marketing » aux forfaits téléphoniques et leur plafond de gigas. « Au final, il n’y a rien d’illimité », lance-t-il. Avant de rappeler : « Il n’y a rien qui change dans la vie réelle des employés. Dans les entreprises où ça a été mis en place, tout le monde tourne autour de cinq ou six semaines par an. Ce n’est donc qu’un effet d’annonce. » Selon lui, au lieu de vouloir des « vacances illimitées », les patrons devraient plutôt donner « six ou sept semaines » de congés. « Ce serait déjà pas mal, et ça allégerait les employés », conclut-il.