Intelligence artificielleComment l’IA a permis de localiser une fugitive au bout de trente ans

Intelligence artificielle : Une fugitive retrouvée en Allemagne au bout de 30 ans… L’IA au service des enquêtes

Intelligence artificielleEn Allemagne, une criminelle en fuite depuis trente ans a été retrouvée par des journalistes en moins de 30 minutes grâce à un logiciel de reconnaissance faciale. Mais la police affirme l’avoir identifiée grâce à un renseignement
Daniela Klette, soupçonnée d'avoir été une membre active de la « Fraction armée rouge », a été interpellée fin février. Des journalistes étaient parvenus à retrouver sa trace grâce à un logiciel d'IA.
Daniela Klette, soupçonnée d'avoir été une membre active de la « Fraction armée rouge », a été interpellée fin février. Des journalistes étaient parvenus à retrouver sa trace grâce à un logiciel d'IA.  - Uli Deck/AP/SIPA / SIPA
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • En Allemagne, une femme soupçonnée d’avoir appartenu à un groupe terroriste a été interpellée après trente ans de clandestinité.
  • Si les enquêtes affirment avoir travaillé grâce à un « tuyau », des journalistes étaient parvenus à remonter sa trace grâce à un logiciel d’intelligence artificielle.
  • Une technologie amenée à se développer dans les enquêtes.

Les policiers allemands l’ont longtemps pensé en fuite à l’étranger. Peut-être même décédée. Mais jamais ils n’auraient imaginé que Daniela Klette, l’une des fugitives les plus recherchées du pays, vivait une existence paisible en plein Berlin. Figure emblématique du groupe terroriste de la « Fraction armée rouge », elle résidait depuis près de vingt ans, en sous-location, dans un studio au cinquième étage d’un immeuble de Kreuzberg, un quartier calme de la capitale. Et si elle se dissimulait sous un faux nom – Claudia Ivone –, son quotidien était loin de celui d’une ermite. Malgré les multiples avis de recherche émis par la police fédérale, cette femme de 65 ans était connue de ses voisins, notamment ceux qui partageaient son amour des chiens, était inscrite dans plusieurs associations et avait même un compte Facebook. Son apparence n’a changé que sous le poids des années.

Ces trente années de clandestinité ont pris fin le 26 février, aux premières lueurs du jour, lorsqu’elle a été interpellée chez elle. La police criminelle de Basse-Saxe assure avoir reçu un « renseignement » en novembre. « Cette arrestation est un coup de maître, un événement à marquer d’une pierre blanche », s’est félicitée la ministre de l’Intérieur de la région, Daniela Behrens. Mais ce satisfecit peine à convaincre. Non seulement parce que la perquisition a permis d’établir qu’elle avait des contacts récurrents avec au moins un autre fugitif de ce groupe armé, vivant lui aussi au cœur de Berlin, mais surtout parce que des journalistes ont retrouvé la trace de Daniela Klette en seulement… 30 minutes, à l’automne 2023.

Un logiciel d’intelligence artificielle en ligne

Cette prouesse a été réalisée grâce à un logiciel d’intelligence artificielle en ligne – PimEyes – accessible pour une trentaine de dollars par mois. Le principe est simple : on télécharge la photo d’un visage et, en quelques secondes, on obtient une liste de photos accompagnée de liens vers les sites où elles apparaissent. Réseaux sociaux, sites internet, images de presse… tout est passé à la moulinette. Ce service aurait notamment été utilisé pour identifier des participants de l’attaque du Capitole à Washington en janvier 2021. Particulièrement efficace, il est également décrié pour les risques en matière de harcèlement qu’il représente.

En Allemagne, la police criminelle a affirmé qu’elle n’était pas autorisée à utiliser ce type d’IA, protection des données oblige. En France, selon plusieurs sources, rien ne l’interdit, même si cela reste extrêmement marginal. « Je n’ai jamais entendu d’affaire contestée pour cette raison devant un tribunal », confie une fonctionnaire haut placée. « On peut utiliser un outil disponible sur Internet à condition que cela se fasse dans le cadre d’une procédure judiciaire, avec l’autorisation d’un magistrat », abonde le général Patrick Perrot, coordinateur IA au sein de la gendarmerie et conseiller sur le sujet au ministère de l’Intérieur. Et de préciser : « Généralement, on préfère développer les outils en interne parce que cela permet de maîtriser les paramètres, mais l’IA avance très vite et on peut parfois être amenés à se servir de logiciels en ligne. »

Une clandestinité à la vue de tous

Dans l’affaire Daniela Klette, tout commence à l’été 2023… par une erreur. Un auditeur du podcast « Legion », diffusé sur la radio publique allemande RBB, contacte la rédaction pour leur faire part d’un souvenir. Onze ans auparavant, alors qu’il participait à une réunion des hackers Anonymous à Cologne, il a croisé une femme affirmant être une ancienne terroriste de la Fraction armée rouge. Intriguée, la rédaction se tourne alors vers Michel Colborne, un journaliste canadien spécialisé dans la reconnaissance d’images. Mais un premier logiciel de reconnaissance faciale conclut à l’erreur : la femme croisée par l’auditeur n’est pas la terroriste recherchée. Loin de se désintéresser de l’affaire, le journaliste persévère : il vieillit une photo de Daniela Klette puis la passe dans PimEyes.

Trois membres de la fraction armée rouge - parmi lesquels Daniela Klette - sur un avis de recherche datant de 2016.
Trois membres de la fraction armée rouge - parmi lesquels Daniela Klette - sur un avis de recherche datant de 2016. - AFP

Et cette fois, l’image « matche ». Le logiciel fait notamment ressortir des photos d’une femme lui ressemblant particulièrement sur la page Facebook d’une association culturelle brésilienne à Berlin. On la voit danser la capoeira lors d’un carnaval. Le podcast racontant cette enquête journalistique est diffusé en décembre 2023, soit deux mois avant son interpellation. Si la police criminelle assure que l’interpellation n’a rien à voir avec l’émission, cette affaire a ouvert un débat outre-Rhin. Comment des journalistes sont parvenus à retrouver sa piste en quelques minutes alors que la police travaillait sur ce dossier depuis trente ans ? Une telle technologie pourrait-elle permettre de faciliter la traque des fugitifs, de résoudre des enquêtes en suspens ?

Un gain de temps mais des risques d’erreurs

En France, les logiciels de reconnaissance faciale travaillent à partir de bases de données. Aucun d’entre eux n’a donc le spectre de recherche de PimEyes. « Ce n’est pas parce que cela a marché dans une enquête que cela sera efficace dans d’autres. L’IA reste un outil, elle peut aider à faire des rapprochements mais elle peut aussi se tromper. C’est pour ça qu’elle ne remplacera jamais le travail des enquêteurs », analyse le général Perrot. Et le militaire de prendre l’exemple des logiciels de vieillissement : la simulation est dans certains cas troublante de ressemblance, et parfois extrêmement loin de la réalité.

En revanche, l’IA peut constituer un gain de temps non négligeable. La gendarmerie a, par exemple, développé des outils pour analyser les réseaux criminels, croiser les données ou passer au crible des vidéos. « Aujourd’hui, on est par exemple capable de retrouver un véhicule ou détecter une arme à feu sur des milliers d’images », détaille Patrick Perrot. D’autres domaines sont en cours d’expérimentation, comme la transcription des écoutes téléphoniques ou l’authentification des images, notamment celles générées justement par une intelligence artificielle. « On en est au début mais cela va forcément se développer, ne serait-ce parce que les réseaux criminels s’en servent de plus en plus. Si on veut les contrer, il faut travailler dessus. »

Quant à Daniela Klette, elle a été placée en détention dans l’attente de son futur procès. Selon le parquet, la sexagénaire aurait notamment appartenu au commando qui a attaqué un bâtiment de la Deutsche Bank à Eschborn, en 1990, a participé à l’attaque à l’arme à feu de l’ambassade des Etats-Unis à Bonn, en 1991, et fait exploser plusieurs bombes sur un centre de détention en construction en 1993.