CERVEAULa technologie va-t-elle anéantir une partie des capacités du cerveau ?

La technologie risque-t-elle d’anéantir une partie des capacités de notre cerveau ?

CERVEAUÀ l’occasion de la semaine du cerveau, regardons comment nos usages numériques détériorent nos capacités cérébrales
Photo illustration intelligence artificielle.
Photo illustration intelligence artificielle. - Mourad ALLILI/SIPA / SIPA
Laure Beaudonnet

Laure Beaudonnet

L'essentiel

  • La 26e édition de la semaine du cerveau se déroule du 11 au 17 mars.
  • L’occasion de se demander comment nos usages de la technologie peuvent dégrader certaines de nos capacités cérébrales.
  • L’humanité va-t-elle perdre sa mémoire, son sens de l’orientation et sa capacité d’apprendre une nouvelle langue ?

Nous sommes devenus des cyborgs : un smartphone dans la poche, des oreillettes vissées aux conduits auditifs, un assistant vocal dopé à l’intelligence artificielle pour lire les informations ou nous rappeler un rendez-vous. Les nouvelles technologies ont fusionné avec nos corps et surtout nos cerveaux. Les travaux de recherche sur les interfaces cerveau-machine (ICM), notamment pour corriger certains symptômes de la maladie de Parkinson, connaissent un coup d’accélération ces dernières années.

Fin février, Neuralink a touché du doigt les imaginaires de la science-fiction avec sa puce cérébrale baptisée Telepathy. Un premier patient ayant reçu le dispositif développé par la start-up cofondée par Elon Musk aurait été capable de contrôler une souris d’ordinateur par la pensée, a annoncé le serial entrepreneur. L’augmentation du cerveau par les nouvelles technologies est une réalité. A l’heure de la 26e édition de la semaine du cerveau cette semaine, une question se pose : et si une partie de nos capacités cérébrales disparaissaient à tout jamais du fait de notre relation à la technologie ?

L’amnésie numérique

Nos smartphones rendent nos cerveaux aussi mous que le personnage du Big Lebowski des frères Coen. « A partir du moment où on se repose sur une technologie, on perd potentiellement la fonction correspondante, admet Raphaël Gaillard, responsable du pôle de psychiatrie de l’hôpital Sainte-Anne et auteur de L’homme augmenté, Futurs de nos cerveaux (Grasset). Nous vivons dans une société sédentaire où nous avons perdu une grande partie des bénéfices des exercices physiques parce qu’on n’en a plus besoin. C’est la même chose pour notre cerveau. A chaque fois qu’on externalise, on risque de perdre une fonction. »

Et la mémoire est l’une des premières compétences à être en péril. Dans son livre L’homme augmenté, Raphaël Gaillard décrit « l’effet google ». Un phénomène d’amnésie numérique mis en lumière par une équipe de psychologues américains dans la revue Science. Une expérience menée sur des étudiants de l’université américaine Harvard a montré que le cerveau oublie plus facilement une information si elle est sauvegardée quelque part. Les élèves devaient répondre à un questionnaire sur un ordinateur et les chercheurs indiquaient à la moitié d’entre eux que le fichier contenant les bonnes réponses serait supprimé, et à l’autre moitié, qu’il serait conservé.

« Ceux pour lesquels on a supprimé le fichier ont de bien meilleures capacités de remémoration », explique le psychiatre passionné par l’intelligence artificielle. Le seul fait de savoir qu’ils ne pourraient plus disposer de l’information a boosté leur mémoire, comme si le cerveau avait opéré une forme de « sauvegarde d’urgence ». « La meilleure restitution mnésique des étudiants [qui pouvaient conserver l’information] était la localisation du fichier informatique. On ne retient plus le contenu, on retient la façon dont on accède à l’information », observe le psychiatre. Les chercheurs avait appelé ce phénomène « l’effet google ».

Pas étonnant. Avec l’émergence des téléphones portables, on ne connaît plus un seul numéro par cœur. Certains sont bien incapables de se souvenir de leurs propres coordonnées téléphoniques. D’autres compétences cérébrales pourraient suivre le triste destin de notre capacité de mémorisation. « Le risque de l’intelligence artificielle concerne la capacité à construire des modèles mathématiques indépendamment de l’observation, s’inquiétait le Général Patrick Perrot, coordinateur pour l’IA de la Gendarmerie nationale, lors d’un échange à l’issue de la quatrième édition du Forum Intelligence artificielle en décembre 2023. Albert Einstein a théorisé les ondes gravitationnelles en 1916, on les a observées en 2016. L’IA fait l’inverse, elle observe et, de l’observation, elle donne non pas une théorie mais un résultat. Si on ne travaille que sur l’IA, on va finir par ne plus être capables de théoriser ».

Des capacités psychiques atrophiées

De même, craignait-il, à force de se laisser guider par des GPS, notre sens de l’orientation n’aura plus de raison d’être. Et d’insister sur l’importance de « perdre les enfants dans les bois », en les supervisant (nous ne sommes pas des monstres), pour les aider à développer leur sens de l’orientation. Sur le même principe, pourquoi apprendre de nouvelles langues si les traducteurs automatiques se chargent de tout ? A terme, « certaines connexions neuronales qui nous permettent l’apprentissage des langues étrangères ne fonctionneront plus », soulignait-il. Le cerveau humain pourrait-il voir disparaître complètement certaines de ses aptitudes ? A l’échelle de l’humanité, probablement pas, rassure Raphaël Gaillard. A l’échelle individuelle, c’est bien possible.

« L’intérêt de l’apprentissage d’une langue étrangère, n’est pas de parler couramment une autre langue. De même, on n’apprend pas un instrument de musique à un enfant pour en faire un musicien prodige. L’intérêt, c’est l’effet de ces apprentissages sur le cerveau. Se priver de cet effet est dangereux, c’est une atrophie d’une partie de nos capacités psychiques », s’alarme le psychiatre pour qui apprendre une langue structure la façon de penser. « La preuve la plus forte de l’effet sur un cerveau de l’apprentissage de la lecture, par exemple, vient de l’intelligence artificielle », insiste-t-il. ChatGPT, dont le fonctionnement s’inspire de celui du cerveau humain, est devenu intelligent, selon le psychiatre, parce qu’il a eu accès à des millions de pages de textes de littérature.

L’intelligence artificielle générative fonctionne à partir de réseaux de neurones artificiels qui lui permettent de générer du contenu inédit. Grâce à des algorithmes ultrasophistiqués, elle apprend à partir de quantités astronomiques de contenus (images, textes, audio) et en crée de nouveaux de façon autonome. « Les connaissances de ChatGPT ne sont pas fiables, mais, cette IA a été traversée par des millions de pages et il en reste de l’intelligence. ChatGPT est la plus belle démonstration des effets de la lecture sur notre cerveau », se réjouit-il. La lecture s’impose comme l’une des seules armes pour rester au niveau d’une technologie, elle-même devenue « intelligente » grâce aux textes.

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