Drone de guerreEn attaquant le territoire russe, « Kiev veut influencer » la présidentielle

Présidentielle en Russie : A coups de drones et de combattants, Kiev veut imposer la guerre dans le débat

Drone de guerreLes attaques sur le territoire russe se multiplient ces derniers jours à l’approche de la présidentielle dont l’issue ne fait aucun doute
L'épave d'une voiture, touchée par un drone ukrainien, le 14 mars 2024 en Russie, à Belgorod.
L'épave d'une voiture, touchée par un drone ukrainien, le 14 mars 2024 en Russie, à Belgorod.  - Yelizaveta Demidova/TASS/Sipa US / SIPA
Diane Regny

Diane Regny

L'essentiel

  • Les attaques ukrainiennes sur le territoire russe se multiplient alors que les élections présidentielles commencent ce vendredi.
  • Près d’une quinzaine de drones ukrainiens ont été lancés sur la Russie dans la nuit de mercredi à jeudi, d’après le ministère russe de la Défense.
  • Kiev espère montrer ainsi aux Russes les conséquences de l’invasion décidée en février 2022 par Vladimir Poutine, assuré d’être réélu président.

Entre drones et combats, la Russie a essuyé de nombreuses attaques sur son territoire, jeudi, à quelques heures de l’ouverture des bureaux de vote pour la présidentielle. Des combats étaient en cours dans la région de Koursk entre des forces russes et des ennemis venus d’Ukraine, qui s’identifient comme des Russes anti-Kremlin. Des affrontements similaires à ceux qui avaient déjà secoué le territoire russe mardi.

Dans cette région et celle de Belgorod, la pluie de drones s’est muée en averse à l’approche de la présidentielle. Près d’une quinzaine de drones ukrainiens ont été lancés sur la Russie dans la nuit de mercredi à jeudi, selon le ministère russe de la Défense. « Les régions frontalières sont déjà, depuis des mois, beaucoup plus concernées que les autres par la guerre en Ukraine », rappelle Jean Radvanyi, géographe, spécialiste de la Russie et auteur de Russie : un vertige de puissance, analyse géopolitique et cartographique.

Du « front » de Belgorod à l’intérieur des terres

Des centaines d’habitants ont d’ailleurs été évacués de la ville de Belgorod début janvier. La région entière a fermé ses centres commerciaux ce jeudi alors qu’au moins deux personnes sont mortes dans ces attaques. « Belgorod est quasiment une ville du front », commente Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Mercredi, des dizaines de drones ukrainiens ont visé plusieurs régions russes. S’enfonçant beaucoup plus profondément dans le territoire russe, ces frappes ont notamment ciblé des sites d’infrastructure énergétique.

La raffinerie de pétrole Riazan, à environ 200 kilomètres au sud-est de Moscou, est l’un des sites qui a été touché par un drone. « C’est l’une des raffineries les plus modernes et importantes de tout le pays, ce n’est pas pour rien qu’elle a été choisie. Après l’attaque et l’incendie, elle aurait perdu un quart de sa capacité et cela pourrait avoir un effet sur le prix des produits distillés en Russie », note le géographe, Jean Radvanyi. Pour Kiev, c’est donc une « victoire militaire », estime pour sa part Jean de Gliniasty.

« Kiev veut influencer le scrutin »

L’attaque de cette raffinerie fait figure d’exception dans des attaques à la portée plus symbolique que militaire. En multipliant les attaques sur le territoire russe, « Kiev veut influencer le scrutin », assure Jean de Gliniasty, ancien diplomate et auteur de La Russie, un nouvel échiquier. « Le gouvernement russe est pris dans une contradiction : il refuse d’évoquer la guerre pendant la campagne mais espère une légitimation de sa guerre à travers le scrutin. C’est paradoxal », note-t-il.

« Pour de nombreux Russes abreuvés de propagande, la guerre est une notion abstraite, le conflit semble très lointain », abonde Jean Radvanyi. Dans ce contexte, « les Ukrainiens ont intérêt à faire valoir que c’est la guerre » et non pas une « opération militaire spéciale » comme le martèle le Kremlin depuis 2022, que c’est « une catastrophe et que les Russes en souffrent », décrypte Jean de Gliniasty. Kiev espère ainsi mobiliser les Russes, silencieux et (surtout) silenciés depuis le début de l’invasion en Ukraine.

La future victoire triomphale de Poutine

Le résultat pourrait toutefois être en deçà des espérances des autorités ukrainiennes. Non seulement le scrutin ne fait aucun doute et Vladimir Poutine sera réélu à la tête du pays mais, en plus, « ces attaques risquent de resserrer les liens autour de lui », avertit Jean Radvanyi. « La propagande se nourrit de ces attaques pour dire : "Regardez, l’Ukraine nous attaque, l’Occident nous attaque" », ajoute-t-il.

« Au mieux, ça peut faire réfléchir l’opinion publique mais Vladimir Poutine obtiendra entre 70 et 80 % des voix parce que le ménage a été fait bien avant », renchérit l’ex-diplomate, Jean de Gliniasty. Consciente de l’issue à venir du scrutin, la diplomatie ukrainienne a enjoint la communauté internationale à rejeter les résultats de ce qu’elle qualifie de « farce ». L’Union européenne et l’Alliance atlantique, qui considèrent que l’élection n’est « ni libre, ni juste », pourraient se laisser tenter. Sans toutefois faire trembler Vladimir Poutine et son opinion publique cadenassés à l’intérieur des frontières de la propagande du Kremlin.