reportageDe la prison au tribunal… On a suivi l’extraction judiciaire d’un détenu

Prison : « On utilise des techniques de gardes du corps »… On a suivi l’extraction judiciaire d’un détenu

reportage« 20 Minutes » a pu suivre l’extraction d’un détenu avec une équipe de l’administration pénitentiaire de la prison de Blois, dans le Loir-et-Cher
Un détenu est extrait de la maison d'arrêt de Blois pour être amené au tribunal.
Un détenu est extrait de la maison d'arrêt de Blois pour être amené au tribunal. - Thibaut Chevillard / 20 Minutes / 20 Minutes
Thibaut Chevillard

Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • Depuis 2019, l’administration pénitentiaire se charge seule des opérations de transferts des détenus entre la prison et le tribunal, qui étaient précédemment assurées par les policiers et les gendarmes. En 2023, les ELSP (équipes locales de sécurité pénitentiaire) ont réalisé 31.426 extractions judiciaires.
  • Cent unités de ce type ont été créées. Elles sont réparties dans les dix directions interrégionales de l’administration pénitentiaire. Elles comprennent 1.354 agents qui ont été formés.
  • 20 Minutes a pu suivre l’une de ces extractions avec une équipe de l’administration pénitentiaire de la prison de Blois, dans le Loir-et-Cher.

Ce mardi 14 mai, trois agents pénitentiaires ont été tués dans l'attaque du fourgon qu'ils convoyaient au péage d'Incarville, dans l'Eure. Le détenu qu'ils tranportaient entre Rouen et Evreux est parvenu à prendre la fuite avec ses complices, et le plan Epervier a été enclenché. En attendant la suite des événements, nous vous proposons de (re)lire ce récent reportage sur les transferts de prisonniers

De notre envoyé spécial à Blois (Loir-et-Cher),

Mickaël Rotureau regarde sa montre, un peu inquiet. « On va arriver à l’heure, mais pour nous, c’est déjà être en retard », souffle ce premier surveillant, responsable de l’ELSP (équipe locale de sécurité pénitentiaire) à la maison d’arrêt de Blois (Loir-et-Cher). Ce mardi après-midi, il doit escorter, avec deux collègues, un détenu au tribunal de la ville, situé à 2 km. L’homme, âgé d’une quarantaine d’années, a rendez-vous avec le juge des libertés et de la détention qui doit examiner sa demande de détention à domicile sous surveillance électronique.

Jusqu’en 2019, les extractions judiciaires étaient assurées par les forces de l’ordre. Policiers et gendarmes ont depuis été remplacés par des personnels de l’administration pénitentiaire. Et leurs missions ne cessent d’augmenter : en 2023, les cent unités de ce type, qui sont réparties dans les dix directions interrégionales de l’administration pénitentiaire, ont réalisé 31.426 extractions judiciaires.

A Blois, une douzaine d’agents se sont portés volontaires pour rejoindre cette unité. Ils ont suivi durant plusieurs semaines une formation, notamment pour apprendre à tirer. Car contrairement aux autres « matons », qui travaillent à l’intérieur de la prison, les membres de l’unité sortent armés et lourdement équipés. Bouclier, gazeuses, gilet pare-balles, menottes, bâton télescopique, téléphone équipé d’un système d’alarme… « On est plutôt bien lotis, l’administration a mis le paquet, sourit Mickaël Rotureau. On manque de personnel. En revanche, on a des moyens et du savoir-faire. »

Tous les jours, avec deux autres collègues, il accompagne certains des 175 prisonniers au tribunal ou à l’hôpital. « Nous ne sommes pas là que pour éviter des évasions, poursuit-il. Nous devons aussi les protéger et éviter qu’ils se fassent agresser. Beaucoup se sont fait des ennemis à l’extérieur. »

Les entrées et sorties, moments clés

Lorsqu’ils ne sont pas en mission, les agents de l’ELSP sont des surveillants comme les autres qui côtoient les détenus sur la coursive. « L’avantage, c’est qu’on les connaît par cœur. Du coup, on a quasiment jamais eu d’incident. On échange beaucoup avec eux, cela permet d’avoir du recul et de voir les problèmes dans leur ensemble. Ici, il y a un public assez fragile qui a besoin d’aide », ajoute Mickaël Rotureau.

Avec leur équipement, lui et ses collègues ressemblent aux membres des ERIS, ces unités d’élite qui interviennent en cas de tensions dans un établissement pénitentiaire. « Alors qu’on fait plutôt assistants sociaux, rigole le 1er surveillant. On s’adapte à eux. On sait les prendre, les cadrer. Certains ont besoin d’aide, d’autres de plus de discipline. Il faut faire preuve d’humanité et de psychologie. »

Bouclier, gilet pare-balles... L'escorte doit s'équiper avant chaque extraction judiciaire.
Bouclier, gilet pare-balles... L'escorte doit s'équiper avant chaque extraction judiciaire. - Thibaut Chevillard / 20 Minutes

Sweat gris, pantalon de jogging noir, le détenu est amené à l’entrée de l’établissement. Vincent*, un grand gaillard, crâne rasé et barbe, sera son agent d’escorte aujourd’hui. « A partir de maintenant, et jusqu’au retour, je ne le lâcherai pas », insiste-t-il. Le prisonnier est d’abord intégralement fouillé dans une petite salle. Puis, les agents pénitentiaires s’assurent de son identité, notamment en comparant ses empreintes digitales. « Mais ici, c’est une petite maison d’arrêt, on connaît tout le monde alors cela va vite », indique Mickaël Rotureau.

Après s’être rhabillé, le quadragénaire est menotté et conduit vers l’un des véhicules banalisés utilisés par l’unité. « On ne veut pas se faire remarquer, ne pas attirer l’attention », ajoute le chef d’escorte. Pendant le trajet, les agents font attention « à tout ce qui serait inhabituel, à ne pas être suivis ». « On travaille beaucoup nos entrées et sorties de voiture. On utilise des techniques de garde du corps. »

« Ils aident les détenus à gérer leur stress »

Dans la voiture, le détenu s’installe à l’arrière, à côté de Vincent. Six minutes plus tard, la voiture entre dans l’enceinte du tribunal. Après un passage par la geôle, le prisonnier est conduit dans la salle d’audience. « Ici, nous sommes dans une zone avec du public, il faut faire un peu plus attention », confie Mickaël Rotureau.

Avant le début de l’audience, l’homme extrait de la maison d’arrêt s’entretient avec son avocat, à quelques mètres seulement des trois agents pénitentiaires. « On se croise souvent, depuis longtemps, il y a une relation de confiance qui s’est créée avec l’ELSP, souligne Me Damien Vinet. Ils ont un rôle fondamental pour aider les détenus à gérer leur stress. Ils les connaissent, ils leur parlent, les apaisent, servent d’intermédiaires. »

Le 1er surveillant Mickaël Rotureau (à droite) et son collègue Vincent accompagnent le détenu jusqu'au véhicule banalisé
Le 1er surveillant Mickaël Rotureau (à droite) et son collègue Vincent accompagnent le détenu jusqu'au véhicule banalisé - Thibaut Chevillard

En attendant d’être reçu par le juge, le détenu échange quelques mots avec Vincent. « Ils sont tous différents. Certains n’ont pas envie de parler, d’autres sont très loquaces », raconte Benoît* qui, au sein du trio de surveillants, fait office de chauffeur ce jeudi. « Ils peuvent nous parler de leur affaire, de leurs problèmes, de leurs activités en détention, de foot. Il y a toujours un peu de stress quand ils viennent au tribunal. Nous, nous sommes là pour que cela se passe bien. »

Explications au détenu et débriefing d’équipe

L’audience devant le JLD dure une trentaine de minutes. Le magistrat a demandé un complément d’information avant de rendre sa décision, d’ici quelques jours. Dans la voiture, Mickaël Rotureau, qui a aussi assisté au rendez-vous, tente d’expliquer au détenu les motivations du magistrat.

Quelques minutes plus tard, la voiture franchit le portail de la maison d’arrêt. Les poignets attachés, le détenu est raccompagné au greffe où l’attendent les surveillants qui vont le raccompagner dans sa cellule. Les trois agents se retrouvent dans leur local, nouvellement installé, pour ranger leur matériel et débriefer la mission. « Le détenu a été correct, il n’y a rien à dire », estime le chef d’escorte.

C’est aussi un moment privilégié pour les agents qui peuvent se confier après certaines opérations plus compliquées. « Lorsqu’on est avec eux dans le bureau des juges, on peut être amené à voir des images choquantes ou à entendre certaines choses. »

*Les prénoms ont été changés à la demande des agents