SpatialPourquoi la mission Soyouz MS-25 est importante pour Minsk et Moscou ?

Pourquoi personne ne parle de la mission Soyouz MS-25 à part les Russes et les Biélorusses ?

SpatialCette mission habitée va permettre l’envol de trois astronautes : la Biélorusse Marina Vassilievskaïa, le Russe Oleg Novitski et… L’Américaine Tracy Caldwell Dyson
Le vaisseau spatial Soyouz MS-25 destiné au nouvel équipage de la Station spatiale internationale (ISS) est levé sur la rampe de lancement avant son prochain lancement au cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan, le 18 mars 2024.
Le vaisseau spatial Soyouz MS-25 destiné au nouvel équipage de la Station spatiale internationale (ISS) est levé sur la rampe de lancement avant son prochain lancement au cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan, le 18 mars 2024.  - Sergei Savostyanov/SPUTNI/SIPA / SIPA
Diane Regny

Diane Regny

L'essentiel

  • Le vaisseau Soyouz MS-25 devait être lancé vers l’ISS depuis Baïkonour, au Kazakhstan, ce jeudi.
  • En moyenne, quatre vols habités s’élancent chaque année direction l’ISS, à plus de 400 kilomètres d’altitude.
  • Si les médias occidentaux n’en parlent pas, les médias russes et (surtout) biélorusses, eux, se passionnent pour ce vol habité. Mais pourquoi une telle différence de traitement médiatique ?

EDIT du jeudi 21 mars 2024 : Le décollage du vaisseau russe Soyouz a été annulé au dernier moment. D’après l’agence spatiale russe Roscomos, la cause de ce report est « une chute de tension de la source de courant chimique ». En conséquence, le vol a été reporté à samedi.

Ce jeudi, le vaisseau Soyouz-25 devait s’élancer du cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan. Cette mission habitée va permettre l’envol de trois astronautes : la Biélorusse Marina Vassilievskaïa, le Russe Oleg Novitski et… l’Américaine Tracy Caldwell Dyson. Dans les médias francophones, c’est le silence. A l’exception du site Kosmonews, spécialisé dans l’actualité spatiale russe, pas un article n’en parle. Même silence des journaux anglophones.

« Ces vols de relève de la Station spatiale internationale [ISS] sont considérés comme routiniers, ils intéressent assez peu les médias », explique Olivier Sanguy, responsable de l’actualité spatiale à la cité de l’espace de Toulouse. En moyenne, quatre vols habités s’élancent chaque année direction l’ISS, à plus de 400 kilomètres d’altitude.

La Biélorussie au septième ciel

En Russie et en Biélorussie, en revanche, ce vol habité est présenté comme un événement. Au point où BelTA, l’agence d’information officielle de Biélorussie, en faisait la une de son site, mercredi en milieu de journée. « Marina Vassilievskaïa est la première femme biélorusse à voler dans l’espace, c’est essentiel pour le soft power du pays », analyse Florence Gaillard-Sborowsky, chercheuse à la Fondation pour la Recherche Stratégique et autrice de Géopolitique de l’espace, à la recherche d’une sécurité spatiale.

L'équipage de la mission Soyouz MS-25 avec de gauche à droite, l'Américaine Tracy C. Dyson, le Russe Oleg Novitskiy, et la Biélorusse Marina Vassilievskaïa.
L'équipage de la mission Soyouz MS-25 avec de gauche à droite, l'Américaine Tracy C. Dyson, le Russe Oleg Novitskiy, et la Biélorusse Marina Vassilievskaïa. - NASA

« Les Biélorusses ont déjà volé mais c’était au temps de l’Union soviétique c’est-à-dire au sein de l’URSS », rappelle Olivier Sanguy. Minsk est donc ravi de cette victoire spatiale. Et le président, Alexandre Loukachenko, n’hésite pas à capitaliser dessus, comme le montre par exemple un article de BeITA titré « Au mépris des sceptiques, comment Loukachenko a lancé la Biélorussie dans l’espace ».

La géopolitique du spationaute

Alors que le pays a soutenu la Russie dans son invasion de l’Ukraine, l’envoi d’une femme biélorusse dans la Station spatiale internationale fait partie d’un « jeu classique de la diplomatie spatiale russe », note Florence Gaillard-Sborowsky qui ajoute : « on coopère avec les pays amis et on les met en avant ». « Quand un pays invite un spationaute, il y a toujours une raison géopolitique. Ce n’est pas un hasard qu’il s’agisse d’une Biélorusse, un pays totalement aligné sur la position russe vis-à-vis de l’invasion en Ukraine », analyse Olivier Sanguy.

Mais en plus de consolider leur relation avec Minsk, les Russes s’appuient sur ces vols habités pour rappeler l’ampleur de leur puissance spatiale. « Il ne faut jamais négliger le pouvoir symbolique de l’espace, avertit Florence Gaillard-Sborowsky. Tous les pays capitalisent sur cette image, l’espace reste un outil de reconnaissance régional, national et international. »

Car, « le spatial étant l’un des domaines d’expression d’ingénierie et de technique les plus exigeants, montrez que vous le maîtrisez revient à faire la démonstration de la compétence de votre Etat », simplifie Olivier Sanguy selon qui la Russie a besoin de cet étalage. L’occasion, donc, de vanter les compétences nationales comme le fait le journal russe La Pravda, en saluant le « système ultrarapide » mis au point par des « ingénieurs soviétiques » pour rejoindre l’ISS.

Une Station au-dessus des tensions

Or, ces dernières années, « le programme spatial russe a beaucoup souffert ». « Les Russes n’ont pas réussi à faire vendre un seul vol touristique depuis la guerre en Ukraine alors qu’à un moment donné, ils étaient les seuls à faire du tourisme spatial », rappelle le responsable de l’actualité spatiale à la cité de l’espace de Toulouse. Ce vol est donc l’occasion pour Moscou de rappeler sa place dans la course spatiale.

De plus, il est « intéressant pour la Russie d’évoquer ce vol et de montrer qu’un Américain est avec eux, là où les Américains préfèrent rester plus discrets », souligne Florence Gaillard-Sborowsky.

Alors que Washington ne cesse de durcir ses sanctions à l’égard de Moscou, un Russe, une Biélorusse et une Américaine s’envolent ensemble pour l’ISS à bord d’un vaisseau Soyouz. De quoi rappeler, sourit Olivier Sanguy, que « malgré de graves difficultés géopolitiques, l’ISS reste au-dessus » des tensions planétaires. Au sens propre comme au sens figuré.