HARCELEMENT SCOLAIREPourquoi la prof d’Evaëlle, qui s’est suicidée à 11 ans, va être jugée

Suicide d’Evaëlle : Humiliations, isolement dans la classe...Pourquoi une enseignante va être jugée pour harcèlement

HARCELEMENT SCOLAIRECette enseignante de français est soupçonnée d’avoir, par son comportement, entretenu un climat délétère ayant conduit au suicide d’Evaëlle, 11 ans.
Evaëlle, 11 ans, s'est suicidée en juin 2019 après plusieurs mois de harcèlement scolaire
Evaëlle, 11 ans, s'est suicidée en juin 2019 après plusieurs mois de harcèlement scolaire - Photo fournie par la famille / Photo fournie par la famille
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Le 21 juin 2019, Evaëlle, une collégienne de 11 ans, victime de harcèlement scolaire, s’est pendue à son domicile d’Herblay, dans le Val-d’Oise.
  • Sa professeure de français est renvoyée devant le tribunal correctionnel pour « harcèlement de mineur de 15 ans » sur Evaëlle et deux autres collégiens. Elle, n’a eu de cesse de nier les faits.
  • Deux collégiens sont également renvoyés dans ce volet du dossier.

C’est un procès inédit qui se profile. Celui d’une professeure de français soupçonnée d’avoir harcelé trois collégiens, à Herblay, dans le Val-d’Oise. Dont la jeune Evaëlle qui s’est suicidée, en juin 2019, en se pendant dans sa chambre. Elle avait 11 ans. Si dans ce volet du dossier, deux collégiens sont également renvoyés pour harcèlement, l’enseignante est soupçonnée d’avoir, si ce n’est créé, tout du moins entretenu, un climat délétère dont la fillette a pâti. « C’est la première fois que le délit harcèlement scolaire est considéré au sens large », s’est félicité l’avocate de la famille d’Evaëlle, Me Delphine Meillet.

Pour comprendre cette affaire, il faut se replonger dans ses prémisses. Dès le CM2, l’institutrice d’Evaëlle constate que la fillette essuie les moqueries régulières mais tout s’accélère à son entrée en 6e, en septembre 2018. Dans les couloirs et dans la cour de récré, les insultes et les humiliations sont quotidiennes. Début février, la violence augmente d’un cran. Evaëlle assure qu’un des collégiens qui sera jugé l’a poussée sur la chaussée au moment où le bus arrivait. Plusieurs élèves l’attestent. Quelques jours plus tard, elle est violemment prise à partie dans la cour.

« Dégradations très importantes des conditions de vie »

Les élèves ont-ils pu être influencés par le comportement de Pascale B., la professeure de français d’Evaëlle ? « Il ressort des témoignages que le comportement de l’enseignante a été perçu comme un passe-droit pour s’en prendre à Evaëlle », estime la juge d’instruction, dans son ordonnance de renvoi, consultée par 20 Minutes. Les parents de la jeune victime affirment que les difficultés ont commencé dès le début de l’année à cause d’un problème de classeur. Plusieurs élèves témoignent de réflexions rabaissantes. Elle était isolée, au fond de la classe, malgré des problèmes de vue. Ce comportement a eu « pour effet une dégradation très importante des conditions de vie de la jeune fille qui s’isolait de plus en plus », insiste la magistrate.

Dix jours après l’histoire du bus, l’enseignante organise une séance de vie de classe, précisément sur le harcèlement dont est victime Evaëlle. Les remarques fusent, la fillette est en larmes. Elle décrira à ses proches cette journée comme « la pire » de sa courte vie. Au cours de l’enquête, plusieurs élèves ont confié aux enquêteurs avoir été mal à l’aise. L’un d’eux parle « d’acharnement ». « La professeur nous a demandé ce qu’il n’allait pas, ce qui nous dérangeait avec Evaëlle, la professeur a fait pleurer Evaëlle (…). Elle n’arrêtait pas de pleurer, après elle s’énervait contre Evaëlle parce qu’elle pleurait », précise une autre.

« Elle n’était pas stigmatisée »

L’enseignante n’a eu de cesse de nier, tout au long de l’instruction, toute malveillance. « Elle n’était pas stigmatisée pendant cette heure de vie de classe », a-t-elle assuré au cours d’une audition. Et d’insister : « Pour moi, cette heure de vie de classe s’est bien passée. Et sur les pleurs, […] quand Evaëlle a une frustration, elle pleure. » La professeure, qui se décrit comme « sévère mais juste », « très à l’écoute des élèves », nie avoir eu, envers Evaëlle ou quelque autre collégien, un comportement pouvant relever du harcèlement.

Cet argumentaire n’a pas convaincu la juge d’instruction. Dans son ordonnance de renvoi, elle estime qu’« il paraît difficilement concevable, particulièrement pour une professeure expérimentée, de ne pas réaliser l’impact social et émotionnel que cela a pu avoir sur Evaëlle ».

Entrée en 1987 dans l’Education nationale, cette enseignante est décrite comme « expérimentée », « sérieuse », « dynamique ». Son dossier administratif était exemplaire. Son ancienne proviseure a toutefois reconnu l’avoir vu s’acharner sur une élève et l’humilier publiquement. L’enseignante est d’ailleurs renvoyée pour deux autres cas de harcèlement d’élèves. Dans une des affaires, révélée par 20 Minutes, un collégien racontait les remarques déplacées et les humiliations quotidiennes. « Il faut retourner en CP », « tu es bête, tu es nul », « tu ne sers à rien » s’exclame-t-elle devant toute la classe… « C’était en boucle, chaque jour », insiste-t-il.

Les parents d’Evaëlle ont porté plainte fin février 2018 contre l’enseignante et trois élèves. La collégienne est changée d’établissement mais le harcèlement n’a pas cessé. Le 21 juin, un garçon lui vide son sac et jette ses affaires en pleine rue. Quelques heures plus tard, Evaëlle se pendra dans sa chambre. Depuis 2021, l’enseignante ne peut plus donner cours à des mineurs et a une obligation de soins psychologiques.

La date du procès n’est pas arrêtée.