naufrage judiciaireQue devient le juge Burgaud personnage central de l’affaire Outreau ?

« Outreau » sur Netflix : Mais au fait, que devient le juge Fabrice Burgaud ?

naufrage judiciaireDésigné comme le principal responsable du fiasco judiciaire d’Outreau, le magistrat évoque pour la première fois cette affaire devant une caméra dans un documentaire diffusé sur Netflix
Le juge Fabrice Burgaud, lors d'une audience à la cour de cassation, le 29 août 2014.
Le juge Fabrice Burgaud, lors d'une audience à la cour de cassation, le 29 août 2014. - FRED DUFOUR / AFP / AFP
Thibaut Chevillard

Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • la série documentaire Outreau : Un cauchemar français est diffusé depuis vendredi sur Netflix.
  • Pour la première fois, Fabrice Burgaud évoque devant une caméra cette affaire de viols d’enfants dans la petite ville du Pas-de-Calais. Il était juge d’instruction quand l’affaire a éclaté.
  • Depuis l’affaire, le juge Burgaud a poursuivi son parcours dans la magistrature. Depuis 2017, il est avocat général référendaire à la Cour de cassation, affecté à la troisième chambre civile.

«Je m’appelle Fabrice Burgaud, j’étais juge d’instruction à l’époque de l’affaire d’Outreau. » Ainsi commence le premier épisode de la série documentaire Outreau : Un cauchemar français, diffusée sur Netflix depuis vendredi. Aujourd’hui âgé de 52 ans, le magistrat évoque pour la première fois, devant une caméra, cette affaire de viols d’enfants dans une petite ville du Pas-de-Calais, au début des années 2000, qui a abouti à un fiasco judiciaire.

Après deux procès aux assises en 2004 et 2005, treize des dix-sept accusés ont été acquittés. Vingt-quatre ans après le début de cette affaire dont il est au cœur, Fabrice Burgaud semble encore avoir du mal à reconnaître ses torts et à formuler des excuses. « Non, s’il y avait une pensée, c’est la pensée pour les victimes de cette affaire, explique-t-il simplement. C’est tout. Le reste… On les a complètement niées. »

Retour en décembre 2000. Tout commence par les accusations des enfants de Myriam Badaoui et Thierry Delay, un couple habitant le quartier de la Tour du renard à Outreau, près de Boulogne-sur-Mer. Leurs quatre fils, âgés de 2 à 8 ans, ont été placés en famille d’accueil à la demande de leur mère. Les enfants dénoncent alors les sévices que leurs parents leur infligent. Les services sociaux signalent les soupçons d’abus sexuels à la direction de l’enfance du Pas-de-Calais.

Les excuses de Jacques Chirac

En février 2001, une information judiciaire est ouverte, confiée au juge Fabrice Burgaud, 30 ans, fraîchement diplômé. En plus de leurs parents, les enfants accusent plusieurs adultes de les avoir violés et désignent d’autres jeunes victimes. Le couple Delay-Badaoui est placé en détention provisoire. Lui nie les faits tandis qu’elle les reconnaît et accuse d’autres adultes d’avoir commis des faits similaires.

Le procès des 17 suspects s’ouvre à la cour d’assises de Saint-Omer en mai 2004. Ils sont poursuivis pour des viols et agressions sexuelles présumés sur dix-sept mineurs, de 1995 à 2000. Le couple Delay-Badaoui et un couple de voisins, Aurélie Grenon et Thierry Delplanque, reconnaissent les faits et écopent de peines de prison ferme. Sept autres accusés sont acquittés le 2 juillet. « Personne ne comprend le verdict, il n’est pas lisible. Dans la culpabilité de l’un et l’innocence de l’autre, on ne comprend pas du tout ce qui se passe », observe dans le documentaire de Netflix Éric Dupond-Moretti, qui était à l’époque l’avocat de plusieurs accusés.

Six condamnés décident de faire appel. Le 1er décembre 2005, ils sont acquittés par la cour d’assises de Paris. Un naufrage judiciaire qui est devenu une affaire d’État. Les témoignages bouleversants et les vies brisées des acquittés ont provoqué les excuses du président de la République de l’époque, Jacques Chirac.

« Des erreurs d’appréciation »

Le juge Burgaud, lui, poursuit son parcours dans la magistrature. En juillet 2002, avant la fin de l’instruction de l’affaire d’Outreau, il est nommé à la section antiterroriste du parquet de Paris. Deux ans plus tard, alors que le scandale naît et s’amplifie, il est muté à la section de l’exécution des peines.

En février 2006, il est prié de s’expliquer, durant plus de six heures, devant les députés de la commission d’enquête. « Après Outreau, il n’y a plus aucune confiance dans l’institution judiciaire. La commission d’enquête est faite aussi pour restaurer cette confiance qui a été perdue », explique dans le documentaire de Netflix Me Franck Berton, avocats de plusieurs acquittés.

Face aux parlementaires, Fabrice Burgaud assure « avoir effectué honnêtement [son] travail sans aucun parti pris ». « Personne ne m’a dit à l’époque que je faisais fausse route », s’était-il défendu, assumant pleinement ses méthodes. « Je ne suis pas la personne qu’on a décrite et je n’ai pas tenu certains propos qu’on m’a prêtés. Avec le recul et la connaissance que j’ai aujourd’hui de l’affaire, j’aurais pu instruire autrement. J’ai peut-être commis des erreurs d’appréciation mais quel juge d’instruction n’en commet pas ? », avait-il ajouté.

En regardant les images que lui montre la réalisatrice du documentaire diffusée sur Netflix, le juge reste sans mot. « Je ne sais pas trop quoi dire parce que… Il y a des mécanismes de défense. Heureusement, sinon je deviendrais fou, enfin… »

Une simple « réprimande »

En 2009, Fabrice Burgaud comparaît devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Cet organe lui reproche « une accumulation de manquements dont la répétition tout au long de la procédure démontre le caractère systématique voire volontaire ».

Là encore, celui qui incarne l’un des plus grands fiascos de l’histoire judiciaire se défend. « Mon propos n’est pas de vous affirmer que j’ai mené une instruction parfaite mais de vous démontrer que je n’ai commis aucune faute disciplinaire et que je n’ai failli d’aucune sorte à mon serment de magistrat », a-t-il affirmé, dénonçant « l’acharnement de la Chancellerie à fournir à tout prix un coupable à l’opinion publique ». Finalement, il écope d’une « réprimande avec inscription au dossier », la sanction la plus basse possible. La décision du CSM a été saluée par les syndicats de magistrats, qui soutenaient l’ancien juge d’instruction, et critiquée par les avocats de la défense.

« On est bien loin de la "version officielle" »

Le 1er septembre 2011, Fabrice Burgaud est nommé magistrat du premier grade à la Cour de cassation, en qualité d’auditeur. Deux ans plus tard, à l’occasion de la sortie du documentaire de Serge Garde, Outreau, l’autre vérité, le magistrat accorde une interview au Point. Pour lui, le film réalisé par l’ancien journaliste de l’Humanité « était indispensable, car, dans cette affaire, la parole avait été confisquée par quelques-uns ». « Ce que montre le film, c’est ce qui s’est vraiment passé dans cette affaire, comment les choses ont évolué et quel a été le rôle des juges, des avocats, des hommes politiques et des journalistes. Résultat : on est bien loin de la "version officielle" de cette affaire. »

En 2017, il devient avocat général référendaire à la Cour de cassation, il est affecté à la troisième chambre civile.