terrorismeUn nouveau califat au Sahel ? L’Etat islamique en est « encore très loin »

Attentat à Moscou : Au Sahel, l’Etat islamique « encore loin » d’instaurer un califat comme à Raqqa

terrorismeCinq ans après la fin « officielle » de l’Etat islamique en Syrie, le groupe djihadiste tente d’administrer la région de Ménaka au Mali et d’y faire régner la loi islamique. Mais cela reste incomparable à Raqqa
Vue aérienne de Menaka le 22 novembre 2020
Vue aérienne de Menaka le 22 novembre 2020  - SOULEYMANE AG ANARA / AFP / AFP
Cécile De Sèze

Cécile De Sèze

L'essentiel

  • L’Etat islamique (EI) a revendiqué vendredi soir l’attentat perpétré dans une salle concert de la banlieue de Moscou. Cette attaque est survenue à la veille du cinquième anniversaire de la chute de Baghouz, le dernier fief territorial de l’Etat islamique en Syrie.
  • Depuis, le groupe djihadiste a rebondi au-delà des frontières et se dispute avec Al-Qaida la domination au Sahel.
  • Installé dans la région de Ménaka, au Mali, où il tente d’instaurer la charia, il n’a pas encore les moyens de rebâtir un califat.

Avec la chute de Baghouz, c’était la fin territoriale de l’Etat islamique (EI) en Syrie. Il y a cinq ans, cette élimination à coups de bombes du califat, responsable de dizaines d’attentats en Europe, a marqué une victoire de la coalition internationale contre le groupe terroriste, mais pas l’anéantissement de ce dernier. Car l’Etat islamique a survécu, de même que son idéologie. Et prospère aujourd’hui, notamment au Sahel. Le Burkina Faso, le Niger et le Mali, théâtres de coups d’Etat et d’instabilité politique, sont de nouveaux terrains fertiles pour asseoir sa domination.

La branche régionale du groupe djihadiste, l’Etat islamique – Sahel, est entrée à Ménaka, petite ville du nord-est du Mali, proche de la frontière avec le Niger, en 2023. L’intention de l’EI est alors bien claire : prospérer dans la région et recréer un califat comme en Syrie et en Irak.

Vieilles méthodes

Pour y arriver, il emploie des méthodes similaires à ce qui a été vu aux prémices de son installation à Raqqa. « Ils essayent d’administrer le territoire, de gagner le cœur et l’esprit de la population en appliquant le même schéma et en distribuant les mêmes prospectus qu’en Syrie en 2013 », rapporte Wassim Nasr, spécialiste des mouvements djihadistes et auteur de L’Etat islamique, le fait accompli (Plon). Une communication « très agressive qui passe par leur propre agence de presse », abonde Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Secteur Network (ASSN).

L’EI-Sahel ou Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) a également instauré « une police islamique qui essaye de combattre le banditisme, le trafic de drogue, l’espionnage présumé, ceux qu’ils accusent d’être des "sorciers" », ajoute Wassim Nasr. Ils appliquent des taxes sur le commerce et la charia. Des jugements sont alors rendus en public avec les mêmes sentences brutales qui ont pu être diffusées à l’époque de son rayonnement irako-syrien : mains et pieds coupés, décapitation en place publique.

Mais l’EI est « encore très loin » d’avoir les moyens d’instaurer un califat comme c’était le cas à Raqqa, nuance Niagalé Bagayoko. « On est dans des prémices de ce qu’ils ont pu faire en Syrie et en Irak au début, mais tant qu’ils ne contrôlent pas une zone urbanisée, on ne peut pas comparer les deux », souligne pour sa part le spécialiste des mouvements djihadistes.

Des différences de taille

Le groupe djihadiste contrôle en effet la région de Ménaka, mais pas la ville. Il a tout de même réussi à instaurer un siège sur la commune en janvier dernier. Depuis, presque plus aucun vivre n’entre. De fait, s’il a « un rayonnement incontesté dans la zone qu’il tente d’administrer, on n’est toutefois pas du tout dans les proportions du califat instauré en Syrie et en Irak », insiste Wassim Nasr. Les proportions sont incomparables. Quand Raqqa comptait quelque 200.000 habitants en 2013, Ménaka n’en abrite que 30.000, dont 20.000 réfugiés des alentours. La localité n’a donc « pas du tout le même potentiel d’armement ou humain, c’est une zone très pauvre, pas du tout urbanisée, on ne peut pas comparer les deux », explique Wassim Nasr. Avant de trancher : « Non, Ménaka n’est pas le nouveau Raqqa ».

De plus, il n’a pas les mains complètement libres. Pour le moment, il parvient à repousser les offensives des autorités maliennes, des milices comme le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) ou le groupe Wagner. Mais la concurrence avec l’autre grand groupe djihadiste de la région, le JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), la branche officielle d’Al-Qaida au Mali, est « le principal élément qui s’oppose à la présence établie de l’Etat islamique », argumente Niagalé Bagayoko. « L’EI est bien présent mais ils sont contestés, ce n’est pas un territoire totalement acquis, poursuit-elle ».

Une menace extérieure limitée

La menace pour l’Europe est une autre grande différence entre l’Etat islamique de l’époque syrienne et celui d’aujourd’hui au Sahel. Alors que les attentats qui ont touché la France le 13 novembre 2015 ont été projetés depuis la Syrie, il paraît bien plus compliqué pour l’EI de programmer de nouvelles attaques de cette ampleur depuis le Sahel. D’abord en termes logistiques. « C’est plus compliqué parce que c’est beaucoup plus loin. Il ne suffit pas de traverser la frontière avec la Turquie pour se retrouver sur le continent européen », note Wassim Nasr. « Le seul moment où l’Etat islamique a constitué une réelle menace depuis l’Afrique était quand ils avaient un contrôle en Libye, avec de grandes villes qu’ils administraient sur le littoral méditerranéen. C’est à cette époque que deux frères libyens ont fomenté et commis l’attentat à Manchester au concert d’Ariana Grande le 22 mai 2017, l’attaque avait été préparée depuis la Libye », précise-t-il.

Le paramètre des recrutements joue aussi. Quand l’EI parvenait à faire venir des milliers de combattants djihadistes enrôlés à l’international (5.000 Européens dont plus d’un quart de Français, selon la DGSI), il ne recrute aujourd’hui plus d’étrangers. Les rangs de l’Etat islamique au Grand Sahara sont composés en majorité de Peuls, des populations locales séduites par un discours protecteur vendu par le groupe djihadiste.

L’Etat islamique, comme les autres groupes djihadistes, a « capitalisé sur les griefs locaux, instrumentalisant les frustrations liées au manque d’opportunités économiques et d’accès aux services publics, les tensions intercommunautaires liées à l’accès aux ressources naturelles, le sentiment général d’abandon par l’État et les griefs à l’encontre des élites locales, pour établir et renforcer son emprise dans la région », développe Meryl Demuynck, chargé de recherche au centre international de lutte contre le terrorisme. Alors certes, Ménaqua n’est pas Raqqa. Mais selon elle, le Sahel est devenu « l’épicentre du terrorisme au niveau mondial » concentrant « près de la moitié des décès dus au terrorisme et plus d’un quart des attaques enregistrées au niveau mondial en 2023 ».