InterviewUn an après, les jeunes présents à Sainte-Soline au-delà de la « caricature »

Sainte-Soline : Les manifestants ne « se réduisaient pas à la caricature » qu’on a fait d’eux

InterviewHélène Stevens fait partie d’un collectif de chercheurs auteur d’un recueil de témoignages de jeunes qui étaient présents lors des manifestations contre les mégabassines il y a un an. Elle répond à nos questions
Des militants courent vers le chantier de construction du réservoir d'eau à Sainte-Soline, le 29 octobre 2022.
Des militants courent vers le chantier de construction du réservoir d'eau à Sainte-Soline, le 29 octobre 2022. - UGO AMEZ/SIPA / SIPA
Diane Regny

Propos recueillis par Diane Regny

L'essentiel

  • Un an après la manifestation contre les mégabassines à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, les opposants à ces réserves d’eau organisent un week-end de « commémor’actions ».
  • Un collectif de chercheurs, surnommé le collectif du Loriot, a publié un recueil de témoignages. L’ouvrage, « Avoir 20 ans à Sainte-Soline », aux éditions « La Dispute », est sorti le 8 mars.
  • Hélène Stevens, l’une des coordinatrices du livre, répond aux questions de « 20 Minutes ».

Il y a un an, la France assistait avec stupeur aux affrontements entre forces de l’ordre et militants écologistes à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres. Au milieu des champs et dans la boue, plus de 25.000 personnes (selon les organisateurs) s’étaient rendues sur le site des mégabassines afin de s’opposer à la construction de ces réserves d’eau agricoles. Alors que la répression avait été sanglante, au point de blesser des centaines de manifestants, dont deux ont sombré dans le coma, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait accusé « l’extrême violence de groupuscule fichés ».

Le collectif de chercheurs à l’origine de l’ouvrage Avoir 20 ans à Sainte-Soline, sorti le 8 mars dernier aux éditions La Dispute, a souhaité donner la parole à ces jeunes qui étaient sur place, accusés d’être extrémistes. Hélène Stevens, sociologue à l’université de Poitiers et membre du collectif du Loriot, a accepté de répondre aux questions de 20 Minutes sur cet ouvrage, sur les jeunes qui y témoignent et, plus largement, sur les manifestations de Sainte-Soline, un an après.

Couverture du livre « Avoir 20 ans à Sainte-Soline »
Couverture du livre « Avoir 20 ans à Sainte-Soline » - Club de bridge

Parlez-nous de ce collectif du Loriot. D’où vient-il ? Pourquoi porte-t-il ce nom ?

Il s’agit d’un collectif de collègues, nous sommes tous enseignants-chercheurs au département de sociologie à l’université de Poitiers. Le loriot est un oiseau de notre région, on le trouve notamment dans le Marais poitevin, et il est en voie de disparition. Ce nom nous a semblé en cohérence avec ce qu’on cherchait à faire à travers ce livre : transmettre la parole de jeunes impliqués dans les mobilisations écologistes et sociales et qui poussent désespérément un cri, puisqu’ils ont tous l’impression de ne pas être entendus malgré leur sentiment d’urgence. Enfin, on a repris cet imaginaire poétique et sensible de Sainte-Soline, où les cortèges mettaient aussi en avant des espèces vivantes, comme la loutre ou le castor qui sont, eux aussi, des animaux du Marais poitevin.

Qu’est-ce qui vous a décidé à écrire ce livre ?

Au lendemain de Sainte-Soline, on s’est retrouvés avec 25 étudiants qui y avaient participé et étaient extrêmement choqués. On a beaucoup échangé avec eux, entendu la sidération, la peur, l’effroi et la colère de ne pas être écoutés. Ils avaient le sentiment d’être du côté de la raison et du juste, en terme moral, et, en même temps, d’être écrasés. Ce récit est né de ce souhait collectif de se réapproprier ce qu’il s’était passé, du point de vue des personnes qui étaient sur place. Une vision différente de celle de la préfecture, du ministère de l’Intérieur et des médias dominants. Il a fallu presque une semaine pour que des journalistes rectifient les choses en parlant par exemple du refus de la prise en charge des blessés qui étaient en situation critique.

Pourquoi avez-vous décidé de donner la parole aux jeunes ?

On parle beaucoup des jeunes. On dit d’eux qu’ils sont éco-anxieux, pas assez engagés, qu’ils ne veulent plus travailler ou qu’ils sont trop radicaux. Toutes les générations subissent la discrimination et la stigmatisation lorsqu’elles sont jeunes. Mais on leur donne rarement la parole. Nous, nous les côtoyons tous les jours à l’université. Nous voulions les laisser s’exprimer et nous espérions aussi, en tant que sociologues, mieux saisir ce que Sainte-Soline pouvait avoir de déterminant dans leurs trajectoires de vie. C’est trop tôt pour le dire, mais il est possible qu’elles en soient affectées.

Qu’est-ce qui ressort le plus de ces entretiens ?

Le livre montre l’hétérogénéité des personnes qui étaient présentes à Sainte-Soline, elles ne se réduisent pas à la caricature qu’en avaient faite les médias d’informations en continu. Les jeunes qui sont allés à Sainte-Soline pour défendre l’eau comme bien commun de l’humanité ne se résument pas à des casseurs ultragauchistes, des ultraradicaux ou des écoterroristes. Leur donner la parole permet de casser les lieux communs à la fois sur les jeunes et sur les militants écologistes d’aujourd’hui.

Vous étiez vous-même présente à la manifestation. Quel souvenir en avez-vous ?

D’un contraste énorme. D’abord, des scènes magnifiques visuellement avec des cortèges à perte de vue, des drapeaux, des fanfares, au milieu des champs verts du printemps. L’exaltation collective très forte, accompagnée de chants et de musique. Puis un second tableau, quand les trois cortèges convergent. Là, on se retrouve face à une forteresse [la mégabassine] où sont postés des gendarmes, des camions, des barbelés… Pendant deux heures, ce sont des explosions en permanence, des gens qui crient « médic, médic » et un sentiment de terreur, de sidération et d’impuissance.

Mais c’est surtout la multitude des points de vue qui est intéressante, d’où ce livre. L’enjeu, c’est de montrer pourquoi toutes ces personnes avaient convergé vers ce petit village des Deux-Sèvres, sous la pluie et dans la boue. Pourquoi elles se battent pour que l’eau reste un bien commun et ne soit pas accaparée par une minorité, une cause qui a presque été oubliée dans tout ça.