CrôasadePourquoi nous devrions arrêter de manger des grenouilles

Pourquoi nous, incorrigibles « froggies », devrions arrêter de manger des grenouilles

CrôasadeLes Français « mangeurs de grenouilles », une réputation loin d’être usurpée. Selon des centaines de scientifiques et de vétérinaires, nos importations font peser une grave menace sur la biodiversité
Sur les 4.070 tonnes de cuisses de grenouilles congelées importées chaque année dans l'UE, plus de 3.000 le sont à destination de la France.
Sur les 4.070 tonnes de cuisses de grenouilles congelées importées chaque année dans l'UE, plus de 3.000 le sont à destination de la France.  - Eka Novianto Nugroho / /REX/SIPA / Sipa
Hélène Ménal

Hélène Ménal

L'essentiel

  • Le cliché se vérifie : la France est le plus gros importateur de cuisses de grenouilles de l’Union européenne.
  • Chez nous, ces batraciens sauvages sont protégés. On les importe donc par millions de pays où l’espèce décline.
  • Dans un courrier adressé à Emmanuel Macron, des centaines de chercheurs et vétérinaires tirent la sonnette d’alarme sur les effets de ce business sur la biodiversité, avec notamment la prolifération de moustiques et des maladies.

Les Anglo-Saxons peuvent continuer à se moquer tranquillement des « froggies » et les gourmets à échanger des recettes persillées : notre réputation de « mangeurs de grenouilles » n’est pas usurpée. Sur les 4.070 tonnes de cuisses de grenouilles congelées – soit 80 à 200 millions de batraciens selon les tailles et les espèces – importées chaque année dans l’Union européenne, « plus de 3.000 tonnes » le sont à destination des assiettes françaises. Ce chiffre provient de l’appel lancé le 6 mars dans un courrier adressé à Emmanuel Macron – dont la chaîne américaine CNN et le Washington Post se sont d’ailleurs fait l’écho avec délectation – par 556 scientifiques et vétérinaires, qui l’appellent « à freiner » le commerce des cuisses de grenouille.

Mais au nom de quoi s’en prend-on ainsi à une tradition culinaire séculaire ? D’abord parce qu’elle est un brin hypocrite et finalement très « exotique ». Dans l’UE et a fortiori en France, en dehors de quelques dérogations spécifiques, les grenouilles sauvages sont des espèces protégées. Celles qu’on fait frire proviennent majoritairement d’Indonésie, de Turquie, d’Albanie ou du Vietnam. « Au prix de méthodes souvent très cruelles, car elles sont dépecées vivantes au hachoir », souligne Alain Moussu, le président de Vétérinaires pour la Biodiversité, qui avec les ONG Pro Wildlife et Robins des Bois tire la sonnette d’alarme sur ce « plat mortel ».

Moins de grenouilles, plus de dengue et de malarias

Au-delà des méthodes discutables et pas très encadrées de chasse à la grenouille, ce business menacerait tout simplement l’espèce. Des travaux récents montrent en effet qu’en Indonésie par exemple, des espèces communes de grenouilles sont « en déclin significatif ». « Les chasseurs ne trouvent par exemple quasiment plus de grenouilles géantes de Java et la remplacent par d’autres espèces », assure Charlotte Nithart de Robins des Bois.

Or les grenouilles sont inestimables pour la biodiversité, car elles sont de grandes gobeuses de moustiques. « Des études scientifiques argumentées ont montré que quand les grenouilles disparaissent, les maladies vectorielles transmises par les moustiques, comme la dengue ou la malaria, augmentent », explique Allain Moussu. Un phénomène aggravé par le réchauffement climatique.

« Les grenouilles mangent aussi les insectes ravageurs des cultures de riz, ajoute Charlotte Nithart. C’est d’ailleurs pour cela que l’Inde et le Bangladesh ont arrêté d’en exporter à la fin des années 1980. Elles disparaissaient et l’utilisation des pesticides explosait ». C’est à cette époque que les « froggies » se sont rabattus sur l’Indonésie.

Si les amis des grenouilles se mettent pas à faire des bonds aujourd’hui, ce n’est pas par hasard. En alertant les autorités, notamment françaises, ils visent la fenêtre de tir de 2025, date où la Convention sur le commerce international des espèces menacées (la CITES) doit être renégociée. L’idée est d’obliger l’Europe à combler « l’énorme vide juridique qui existe encore sur les grenouilles et les amphibiens ». « Il faut également qu’on arrive à sensibiliser les consommateurs sur les conséquences de leurs actes », espère Alain Moussu, qui veut convaincre les mangeurs de grenouilles de « diminuer la pression ».