FOOTBALLLa position de la FFF sur le ramadan, un risque de perdre des binationaux ?

La position de la FFF sur le ramadan peut-elle inciter les binationaux musulmans à quitter l’équipe de France ?

FOOTBALLA l’image du récent refus du milieu franco-malien de l’OL Mahamadou Diawara de rejoindre l’équipe de France U19, le « cadre de neutralité » porté par Philippe Diallo pourrait marquer une étape clé dans la gestion des joueurs binationaux en France
Si aucun joueur de l'équipe de France A, ici à Clairefontaine la semaine passée, ne s'est jusque-là exprimé sur le sujet, la position de la FFF au sujet du ramadan soulève de nombreuses réactions à l'occasion de cette trêve internationale.
Si aucun joueur de l'équipe de France A, ici à Clairefontaine la semaine passée, ne s'est jusque-là exprimé sur le sujet, la position de la FFF au sujet du ramadan soulève de nombreuses réactions à l'occasion de cette trêve internationale. - J.E.E/SIPA / SIPA
Jérémy Laugier

Jérémy Laugier

L'essentiel

  • Les joueurs de l’équipe de France A de football, qui vont affronter le Chili, mardi (21 heures) à Marseille, ne se sont jusque-là pas encore exprimés sur la position de la FFF quant au ramadan.
  • Le « cadre de neutralité » porté par le président de la FFF Philippe Diallo a incité la semaine passée le milieu franco-malien de l’OL Mahamadou Diawara (19 ans), musulman, à décliner sa convocation avec l’équipe de France U19.
  • Alors qu’actuellement de nombreux joueurs binationaux formés en France rejoignent, de plus en plus jeunes, des sélections A africaines, la position de la FFF vis-à-vis de la pratique du jeûne, et plus globalement de la religion musulmane, constitue-t-elle « un réel danger » pour l’avenir des Bleus ?

«Je n’ai rien à ordonner. On respecte la religion de tout le monde. Les joueurs ont l’habitude, ce n’est pas aujourd’hui que l’on découvre la situation. Je n’ai aucune inquiétude, chacun s’adaptera. » A en croire Didier Deschamps, la question de la gestion du ramadan au sein de l’équipe de France de football semblait être un non-sujet, en pleine Coupe du monde 2014 au Brésil. L’un des joueurs musulmans du groupe tricolore cet été-là, Bacary Sagna, complétait : « Pour être honnête, on n’en a jamais parlé avec le staff ».

Dix ans plus tard, les temps ont sérieusement changé au sein de la Fédération française de football (FFF), puisque son président Philippe Diallo vient de lancer un « cadre de neutralité » en équipe de France. Concrètement, les internationaux de confession musulmane sont priés de reporter leurs jours de jeûne en dehors des stages avec les Bleus, de la sélection U16 aux A. La FFF ne modifie pas les horaires de séances, des rencontres et des collations, donc c’est aux joueurs musulmans de s’adapter à ces règles de rassemblements internationaux.

« Compliqué de choisir entre football et religion »

Conséquence directe : le milieu franco-malien de l’OL Mahamadou Diawara (19 ans, 10 matchs de Ligue 1 et 3 capes avec les U19 français), convoqué dans le groupe U19 des Bleuets, a décliné la semaine passée la sélection dans ces conditions. Le jeune joueur de confession musulmane ne souhaitant pas « décaler sa pratique du jeûne », comme le réclame la FFF, il ne s’est pas rendu à Clairefontaine et s’entraîne actuellement avec son club, tandis que d’autres ont obtempéré à contrecœur. Pour Mahamadou Diawara, que le Mali aimerait inclure dans son équipe nationale pour les JO de Paris 2024, comme pour d’autres jeunes binationaux musulmans, ces nouvelles règles fixées par le football français peuvent-elles les inciter à changer de nationalité sportive ?

Le jeune milieu de terrain de l'OL Mahamadou Diawara (19 ans) a fait le choix de décliner l'équipe de France U19 la semaine passée, en raison des règles dictées par la FFF concernant le ramadan.
Le jeune milieu de terrain de l'OL Mahamadou Diawara (19 ans) a fait le choix de décliner l'équipe de France U19 la semaine passée, en raison des règles dictées par la FFF concernant le ramadan. - Mourad ALLILI/SIPA

« C’est bien possible car c’est compliqué de demander à un joueur de choisir entre le football et la religion, indique un agent sportif en off. Je n’ai jamais eu écho du moindre problème concernant la pratique du ramadan de mes joueurs hors de France. Pour les entraîneurs et les clubs, si le jeûne n’impacte pas négativement les performances du joueur, ils n’en ont rien à faire. On voit qu’avec ce nouvel épisode, la gestion de la religion musulmane est particulière en France. »

A ce titre, on se souvient qu’une grève des joueurs de la sélection Espoirs était carrément dans l’air en mars 2023, en raison du souhait de plusieurs joueurs de pratiquer le jeûne en plein rassemblement, ce qui n’était alors déjà pas permis en Espoirs. A l’époque, Kylian Mbappé avait publié un message pour démentir toute implication dans cette brouille entre certains Espoirs et la Fédé. Depuis le début de cette trêve internationale, les joueurs de l’équipe de France A, qui affrontent le Chili en amical, mardi (21 heures) à Marseille, n’ont pas pris position sur le sujet sensible de ce début de printemps.

Ben Seghir et Diarra renoncent aux Bleus, à 19 et 20 ans

Un footballeur professionnel binational et musulman, né en France, et préférant rester anonyme, confie : « Dans mes expériences de clubs à l’étranger, le coach me demande juste si je pratique le ramadan, et le débat est clos. Par contre lors d’une sélection U16 avec l’équipe de France, on était plusieurs joueurs à se cacher pour prier et pour jeûner. On sentait que notre pratique serait mal perçue, c’était pesant. Ça se passait il y a une dizaine d’années et on voit que les dirigeants du foot français ne sont toujours pas plus ouverts là-dessus ».

Pour lui, « c’est sûr à 100 % que cette position de la FFF va inciter de plus en plus de jeunes à privilégier une sélection africaine ». « L’équipe de France peut évidemment te propulser plus haut, mais le plus important pour un joueur, c’est sa tranquillité d’esprit », poursuit-il. Avant même l’épisode Mahamadou Diawara, les prometteurs Eliesse Ben Seghir (Monaco) et Habib Diarra (Strasbourg) ont récemment fait le choix de renoncer à la sélection Espoirs, malgré la perspective de disputer les JO de Paris 2024, et ce afin de rejoindre le Maroc et le Sénégal, à seulement 19 et 20 ans. Bien avant que leur horizon bleu soit donc à coup sûr sportivement bouché.

Le prometteur milieu offensif de l'AS Monaco Eliesse Ben Seghir (19 ans) vient de choisir de rejoindre la sélection A marocaine, après avoir connu plusieurs 16 sélections dans les catégories jeunes en équipe de France.
Le prometteur milieu offensif de l'AS Monaco Eliesse Ben Seghir (19 ans) vient de choisir de rejoindre la sélection A marocaine, après avoir connu plusieurs 16 sélections dans les catégories jeunes en équipe de France. - Valery HACHE / AFP

« Pas du tout de pédagogie avec les jeunes joueurs »

Quelques mois plus tôt, Amine Gouiri (24 ans, Stade Rennais) et Yasser Larrouci (23 ans, Sheffield United) en avaient fait de même en rejoignant l’Algérie, tandis que le Niçois Sofiane Diop (23 ans) et l’ancien Toulousain Amine Adli (23 ans), étaient passés des Espoirs français au Maroc A. De tels exemples se multiplient ces derniers mois, sans que la question de la pratique de la religion musulmane ne soit évoquée dans leur choix de renoncer au maillot bleu. L’ancien milieu des Espoirs tricolore Ricardo Faty (37 ans), devenu international A sénégalais en 2012, et musulman, refuse de faire le lien, mais ne comprend pas la rigidité de ce « cadre de neutralité » de l’instance française.

« Ce qui me dérange le plus, c’est de voir la FFF interdire de manière arbitraire la pratique du ramadan, indique l’ancien de l’AS Rome. Il y a de plus en plus de joueurs de confession musulmane et on voit que de nombreux clubs français ont intégré cela. Mais au niveau des équipes de France, il n’y a pas du tout de pédagogie avec les jeunes joueurs, et c’est selon moi contre-productif. » Son grand frère Jacques Faty (40 ans), qui a connu le maillot bleu des U14 aux Espoirs, avant lui aussi d’opter pour la sélection sénégalaise, revient sur le quotidien d’un musulman pratiquant à Clairefontaine dans les années 2000.

« A partir de la catégorie U19, j’ai senti que la FFF commençait à serrer la vis, alors qu’on était peu de pratiquants. Je comprenais parfaitement le coach René Girard, qui estimait que c’était sa responsabilité, en tant qu’éducateur, de me dire qu’il préférait que je ne jeûne pas quand il y avait match. Il y avait du dialogue entre nous. Perso, durant les rassemblements, je m’isolais dans la douche pour prier et je sentais que ça parlait derrière mon dos. On ne nous disait jamais rien frontalement, à nous les musulmans, mais certains n’étaient ensuite pas rappelés en sélection, sans réelle raison fournie. Perso, on m’a enlevé mon brassard de capitaine en Espoirs et j’y ai vu un lien avec ma pratique de la religion qui dérangeait du monde à la FFF. » »

Les binationaux ciblés de plus en plus tôt

Comme quoi les difficultés du football français à bien accompagner ses joueurs musulmans ne sont pas récentes. Ancien directeur technique national (DTN) du Maroc, avant d’occuper ce poste depuis 2022 en Arabie saoudite, Nasser Larguet ne croit cependant pas en une fuite accrue des jeunes talents binationaux en raison de leur souhait de jeûne contrarié lors des rassemblements.

« La question du ramadan n’a jamais été un argument de choix pour convaincre un binational de privilégier une autre sélection que la France, et je ne pense pas que ça le devienne, estime l’ex-entraîneur de l’OM. Déjà parce que les dates de ramadan changent d’une année civile sur l’autre, donc ça peut ne pas tomber du tout dans des rendez-vous internationaux. Et puis beaucoup de joueurs ont pris l’habitude de décaler des jours de ramadan lorsqu’il y a une compétition de haut niveau, comme ça a été le cas pour notre sélection saoudienne au dernier tournoi U17 de Montaigu. »

Pour Nasser Larguet, la principale raison d’un exil sportif anticipé vers des sélections africaines est ailleurs : « Les équipes nationales africaines se structurent bien et elles ont compris l’importance de se rajeunir, et donc de convaincre de plus en plus tôt des binationaux de les rejoindre. Plus ces joueurs sont jeunes et plus ils vont s’inscrire dans le temps. Ben Seghir a par exemple dû être séduit par le fait de pouvoir jouer en A bien plus vite avec le Maroc qu’avec la France ».

De la « discrimination religieuse » selon Habib Beye

Portée par son exploit de rejoindre le dernier carré de la Coupe du monde 2022 au Qatar, la sélection des Lions de l’Atlas symbolise ainsi les nouvelles ambitions du football africain. « Oui, il y a le plan sportif avec l’énorme progression des sélections africaines, approuve Jacques Faty. Si on associe à ça la dimension religieuse, qui n’est pas encadrée de manière respectueuse et tolérante en France, ça peut pousser nos jeunes joueurs à imaginer leur avenir international ailleurs. Je vois là un réel danger pour l’équipe de France. Alors que la force de notre pays a toujours été la diversité, nous sommes en 2024 et la FFF est dans la radicalité, en retard par rapport à ce qui se passe dans d’autres pays. » C’est aussi le propos d’Habib Beye, qui a délivré un discours d’ouverture inspirant, vendredi après le match de National entre le Red Star et Nancy (1-1).

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« On ne voit que les inconvénients mais moi, je ne vois que des avantages, annonce l’entraîneur franco-sénégalais du Red Star, qui explique ne pas être musulman. Ça crée de la cohésion et une solidarité dans mon équipe. C’est très dur de voir tout ce qui se passe en France, j’appelle ça de la discrimination religieuse. Ça me dérange qu’on puisse penser que des joueurs ne sont pas performants parce qu’ils font le ramadan. Ils se retrouvent avec eux-mêmes et c’est une force supplémentaire pour eux. »

Dans son groupe leader de National, 14 joueurs pratiquent depuis le 11 mars le ramadan, tandis que cinq autres font le carême. « Je déteste ce débat autour de la religion qui ne devrait pas exister », conclut Habib Beye. Philippe Diallo, conscient du caractère inflammable du dossier, s’est défendu dimanche sur France Info d’interdire à quiconque de jeûner en sélection, mais sans rien changer sur le fond de sa position : « C’est un mauvais procès qui est fait à la fédération. Mon devoir c’est de fixer un cadre dans la pratique sportive, comme à l’école. Quand des joueurs vont en sélection, je ne leur demande pas leur religion ».