analyse« Pas une surprise » que le pont de Baltimore se soit effondré brutalement

Baltimore : Le pont qui s’est effondré « n’a pas été conçu pour résister à des chocs avec d’aussi gros bateaux »

analyseInterrogés par « 20 Minutes », deux ingénieurs de l’école des ponts ne se disent « pas surpris » par l’effondrement brutal du pont Francis-Scott-Key à Baltimore
Etats-Unis : Au moins 7 disparus dans l'effondrement d'un pont percuté par un navire à Baltimore
Mickaël Bosredon

Mickaël Bosredon

L'essentiel

  • La catastrophe survenue mardi matin à Baltimore (Etats-Unis), après qu’un porte-conteneurs, le Dali, a frappé une pile du pont Francis-Scott-Key, a entraîné la chute de l’ouvrage métallique en quelques secondes seulement.
  • « A partir du moment où vous coupez le pied du pont, tout tombe, ce qui est d’autant plus vrai au regard de la masse de ce navire et du poids de ce pont », analyse Arthur Lebée, maître de conférences de l’école des ponts de ParisTech.
  • « Les destructions d’ouvrage par chocs de navires ne sont pas rares, il peut y en avoir deux ou trois dans une année », assure Jacques Combault, professeur honoraire de l’École nationale des ponts et chaussées.

Un effondrement en chaîne particulièrement spectaculaire. La catastrophe survenue mardi matin à Baltimore (Etats-Unis), après qu’un porte-conteneurs, le Dali, a frappé une pile du pont Francis-Scott-Key, a entraîné la chute de l’ouvrage métallique dans le fleuve Patapsco en quelques secondes seulement.

« Le fait que le pont s’effondre brutalement et complètement n’est absolument pas surprenant, assure cependant à 20 Minutes Arthur Lebée, ingénieur en chef des ponts des eaux et forêts, chercheur au laboratoire Navier, et maître de conférences de l’école des ponts de ParisTech. A partir du moment où vous coupez le pied du pont, tout tombe, ce qui est d’autant plus vrai au regard de la masse de ce navire et du poids de ce pont. Il n’y a franchement pas besoin d’être un grand ingénieur pour comprendre que la structure allait s’effondrer sous l’impact. »

Jacques Combault, professeur honoraire de l’École nationale des ponts et chaussées, dresse exactement la même analyse. « L’effondrement du pont s’est produit dans un ordre que j’aurais pu imaginer à l’avance… C’est la pile qui doit résister, pas le tablier. »

« Davantage un sujet de contrôle des circulations des navires »

Les deux spécialistes s’étonnent davantage de voir circuler un tel navire, à cet endroit. Construit en 2015 en Corée du Sud par la société de construction navale Hyundai, propriété de Grace Ocean, le Dali était affrété mardi par Maersk (numéro 2 mondial du conteneur) et se trouvait en partance vers Colombo, au Sri Lanka. Long de 300 mètres pour 48 mètres de largeur, 24,8 mètres de hauteur et 15 mètres de tirant d’eau, sa capacité d’emport est de l’ordre de 116.000 tonnes.

Un véritable monstre face au pont métallique Francis-Scott-Key, construit entre 1972 et 1977, et qui reliait le long de ses 2,6 km la ville de Baltimore, dans l’État du Maryland, à la communauté de Dundalk.

« Ce pont a été construit en 1972, le cahier des charges pour réaliser le dimensionnement de cet ouvrage n’était donc pas celui du trafic d’aujourd’hui, analyse Arthur Lebée. Et cela n’est pas du ressort du concepteur de l’ouvrage, qui avait évidemment prévu la possibilité d'un choc avec un bateau, c’est du ressort des personnes qui gèrent le trafic autour de cet ouvrage. Nous sommes donc davantage devant un sujet de contrôle des circulations des navires, que d’ingénierie. »

« La question serait de savoir à partir de quand on a accepté de laisser passer des porte-conteneurs de cette taille et de cette masse sous cet ouvrage, s’interroge également Jacques Combault. Car il est certain que le pont n’a pas été conçu pour résister à des chocs avec d’aussi gros bateaux, voire de bateaux moins gros d’ailleurs. »

« La conception de la pile est discutable »

Cela n’empêche pas les deux spécialistes de s’interroger sur certains aspects de l’ouvrage. « La conception de la pile est discutable : le fait qu’il y ait deux petits poteaux, relativement étroits, par rapport à la massivité du pont, fait qu’avec l’impact d’un tel navire la rupture allait avoir lieu, poursuit Arthur Lebée. Et autour de la pile, en général, vous avez un îlot qui la surprotège, ici il était assez petit, si bien que le navire a touché la pile avec son nez avant même qu’il ne touche le sol. » « La pile ne semble pas très massive, et ne semblait pas pouvoir résister à un porte-conteneurs de cette importance, abonde Jacques Combault. Même un bateau plus léger aurait pu en venir à bout. »

Arthur Lebée ajoute que la structure du pont, en treillis, a beau être complexe, « elle est réputée pour être peu robuste, dans le sens où il y a peu de redondance : si un truc casse, l’ensemble casse ».

« On évite d’implanter des piles dans la passe navigable »

Jacques Combault pointe enfin un autre élément. « D’une manière générale, quand on conçoit des grands ponts sur une rivière, ou au voisinage d’embouchures, on évite d’implanter des piles dans la passe navigable. C’est la raison pour laquelle les trois grands ponts de France, le pont de Brotonne, le pont de Tancarville et le pont de Normandie, sont implantés avec des piles situées en dehors des voies d’eau. Cela suppose en général des portées plus grandes, ce qui représente un coût, mais évite ce problème de chocs avec des bateaux, qui reste tellement aléatoire. »

Aléatoire, et pas si rare. « Les destructions d’ouvrage par chocs de navires sont assez régulières, il peut y en avoir deux ou trois dans une année, mais généralement on n’en parle pas, car ce ne sont pas de grands ouvrages, et qu’il n’y a pas de victimes », assure Jacques Combault.

L’ingénieur rappelle cependant que le 9 mai 1980, un accident similaire s’était soldé par une véritable catastrophe. Le Sunshine Skyway Bridge, en Floride, avait été partiellement détruit à la suite d’une collision avec le cargo Summit Venture, après une tempête. Le drame avait fait 35 morts. L’ouvrage a depuis été entièrement reconstruit.

Déjà un accident avec le MV Dali

Cette fois-ci, le MV Dali aurait eu le temps de lancer un SOS pour informer les autorités d’un problème de perte de puissance, ce qui a permis de réduire le trafic sur le pont avant l’impact.

Le même navire avait déjà été à l’origine d’un accident : le 11 juillet 2016, il était entré en collision avec le poste d’amarrage du terminal à conteneurs du port d’Anvers, en Belgique, lui causant des dommages importants à la poupe et au tableau arrière. Il n’y avait pas eu de victimes.