STUPÉFIANTSCes méthodes extrêmes contre le trafic de drogue auxquelles on a échappé

Opérations « place nette » : Ces méthodes extrêmes contre le trafic de drogue auxquelles on a échappé (pour l’instant)

STUPÉFIANTSGérald Darmanin est engagé dans une guerre contre la drogue. Et s’il musclait encore son jeu, comme l’on fait d’autres dirigeants à l’étranger ou dans la fiction ? Voyons ce que ça a donné
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, à Chassieu (Rhône) le 22 mars 2024
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, à Chassieu (Rhône) le 22 mars 2024 - ALLILI MOURAD / SIPA
Thibaut Chevillard

Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • Marseille, Dijon, Sevran, Colombes, Lille… Ces derniers jours, le ministre de l’Intérieur a multiplié les opérations « place nette » afin de lutter contre les trafics de stupéfiants, son obsession du moment.
  • Gérald Darmanin, persuadé que la répression est la clé du succès, a récemment eu une nouvelle idée pour attraper davantage de fumeurs de pétards : il envisage d’étendre les dépistages salivaires sur la voie publique, sur le modèle des contrôles d’alcoolémie.
  • L’hôte de Beauvau pourrait être tenté de muscler encore son jeu, comme l’on fait d’autres dirigeants à l’étranger… ou dans la fiction. Petit tour d’horizon des méthodes auxquelles la France a échappé (pour l’instant).

«La drogue, c’est de la merde. » Depuis son arrivée place Beauvau, Richard Nix… Gérald Darmanin, pardon, n’a jamais caché son aversion pour les stupéfiants. Et depuis quelques semaines, le premier flic de France a décidé de passer la vitesse supérieure en lançant ses opérations « place nette XXL ». Des dizaines de milliers de policiers et gendarmes sont mobilisés pour « démanteler des points de deal en intégralité », jusqu’aux « têtes de réseau ». Avec des résultats très mitigés : 2,5 kg de cannabis et d’héroïne saisis dans le Nord, 22 kg de stupéfiants saisis à Marseille, 496 interpellations dans tout le pays…

Le ministre de l’intérieur, qui a renoncé à écouter les parlementaires ayant travaillé sur le sujet, a récemment eu une nouvelle idée pour s’attaquer aux consommateurs. « Je vais demander au Parlement, et je demande aux Français de comprendre, qu’on puisse faire des tests sur la voie publique de gens qui consomment de la drogue ». Objectif : obliger les consommateurs « à changer de comportement » car, croit-il savoir, « ce sont eux qui créent ce trafic de drogue ».

Comme la répression ne marche pas pour éradiquer le trafic de drogue, Gérald Darmanin prône davantage de répression. Et s’il musclait encore son jeu, comme l’on fait d’autres dirigeants à l’étranger… ou dans la fiction. Avec quels résultats ? Des Philippines à Mega-City One, petit tour d’horizon des méthodes auxquelles la France a échappé (pour l’instant).

Tolérance zéro au Japon

Le 2 février dernier, Gérald Darmanin s’est entretenu avec l’ambassadeur du Japon en France, Makita Shimokawa. « Nous avons évoqué ensemble la coopération policière internationale, les enjeux propres à la zone Indo-Pacifique ainsi que les Jeux de Paris 2024 », a ensuite tweeté le ministre de l’Intérieur. Son hôte lui aurait-il glissé, à cette occasion, quelques tuyaux pour chasser les fumeurs de pétards ? Car au pays du Soleil levant, on ne plaisante pas avec le cannabis. C’est tolérance zéro. La possession de ce produit, « même en très faible quantité, peut être à l’origine d’une condamnation lourde : plusieurs mois de détention pour quelques grammes de cannabis, plusieurs années pour des quantités plus importantes », prévient le quai d’Orsay sur son site.

La sévérité du Japon à l’égard du cannabis remonte à la période de l’occupation américaine du pays après la Seconde Guerre mondiale. En juillet 1948, le « Cannabis Control Act », interdisant la possession ou la culture de chanvre, est adopté. Depuis, les sanctions ont encore été renforcées, les consommateurs ou détenteurs de ce produit risquant désormais jusqu’à sept ans d’emprisonnement. « La personne condamnée est transférée dans une prison et soumise pendant toute la durée de sa peine à des règles disciplinaires très strictes au regard des standards occidentaux », prévient le ministère des Affaires étrangères français. Personne n’est épargné, pas même les célébrités. L’ancienne actrice Saya Takagi a été condamnée, en 2017, à trois ans de prison, dont un ferme, après avoir été interpellée en possession de 55 grammes d’herbe chez elle.

Est-ce que ça marche ?

Oui… et non. On ne va pas se mentir, la perspective de jouer à Carlos Ghosn dans une prison nippone à de quoi dissuader la plupart des consommateurs de ganja. Seulement 1,4 % des Japonais disent avoir déjà essayé le cannabis, selon le ministère nippon de la Santé, contre plus de 40 % des Français et environ 50 % des Américains. Pourtant, les interpellations liées au cannabis sont en hausse depuis près de dix ans. Un record a même été atteint en 2023 : 6.482 personnes ont été soupçonnées par la police d’avoir possédé ou de cultiver du cannabis, rapporte la NHK. La télévision nationale précise qu’il s’agit du chiffre le plus élevé depuis que les autorités ont commencé à compiler des données en 1958. Les autorités nippones constatent une hausse de la consommation de cannabis partout dans le pays, notamment parmi les jeunes.

La guerre sans pitié des Philippines

Éradiquer le trafic de drogue en faisant abattre des dizaines de milliers de dealers et de consommateurs. L’ancien président philippin Rodrigo Duterte, qui a été élu en 2016, en avait fait une promesse de campagne. « Hitler a massacré trois millions de juifs. Bon, ici, il y a trois millions de drogués. Je serais heureux de les massacrer » a-t-il affirmé sans filtre quatre mois après son arrivée au pouvoir, lors d’une conférence de presse. A plusieurs reprises, cet avocat populiste a même publiquement incité les citoyens à s’en prendre aux trafiquants ou toxicomanes. « Faites-le vous-mêmes si vous trouvez un revolver, vous avez mon soutien », « oubliez les lois sur les droits de l’Homme ! » Ce père de quatre enfants a même assuré qu’il n’hésiterait pas à tuer ses fils et sa fille s’il apprenait qu’ils se droguaient.

Dans les jours qui ont suivi son élection, des milliers de personnes ont été abattues par la police. En 2018, Rodrigo Duterte a aussi admis avoir recouru à des exécutions extrajudiciaires dans sa lutte contre la drogue. Selon les données officielles, au moins 6.181 personnes ont été tuées lors de plus de 200.000 opérations antidrogue menées. Un chiffre largement sous-évalué selon la Cour pénale internationale, qui a ouvert une enquête en 2021 pour crimes contre l’humanité. Les procureurs de la CPI évaluent, eux, le nombre de morts entre 12.000 et 30.000. Et comme le souligne l’ONG Human Right Watch, « les exécutions par la police dans le cadre de la guerre contre la drogue n’ont pas cessé depuis l’arrivée au pouvoir du (nouveau) président, Ferdinand Marcos Jr. ».

Est-ce que ça marche ?

Selon les statistiques officielles, en 2015, les Philippines comptaient 1,8 million de consommateurs de drogue. Quatre ans plus tard, ils n’étaient plus que 1,67 million. Et en 2021, 1.225.683, soit environ 500.000 de moins depuis le début de cette guerre. Une baisse qui a le goût du sang.

Judge Dredd (locks)

En France, fumer un joint peut coûter cher. Au moins 200 euros. Depuis 2020, les forces de l’ordre qui contrôlent une personne en possession d’une petite quantité de cannabis peuvent la sanctionner en lui remettant une amende forfaitaire délictuelle (AFD). Particularité du dispositif : il n’y a pas de procès, mais l’infraction est inscrite au casier judiciaire. La procédure a été vivement critiquée, notamment par la Défenseure des droits. Dans une décision publiée en mai 2023, elle estimait que « la forfaitisation des délits prive l’usager d’accès à la justice ». Claire Hédon rappelle que « l’AFD déroge à plusieurs principes fondamentaux du droit pénal et de la procédure pénale », comme « le droit d’accès au juge », « les droits de la défense » ou « le principe de l’individualisation des peines ».

Mais Gérald Darmanin pourrait aller plus loin et confier d’avantage de pouvoirs aux forces de l’ordre. Il pourrait pour cela s’inspirer de la bande dessinée et (surtout) du film Judge Dredd. Dans ce chef-d’œuvre du cinéma des années 1990, le personnage joué par Sylvester Stallone est à la fois policier, juge et bourreau. Concentrant tous les pouvoirs, il est chargé, avec ses collègues juges, de ramener l’ordre à Mega-City One, une ville de 65 millions d’habitants gangrenée par la criminalité. Dans ce monde futuriste postapocalyptique, les contrevenants sont jugés sur place et, souvent, condamnés à mort et exécutés immédiatement.

Pourrait-on alors voir, un jour, un policier surarmé débarquer sur une moto volante sur un point de deal et lancer aux clients qui patientent : « Je suis la loi et je vous arrête, jetez vos pétards et préparez-vous à être jugé » ? Pour l’instant, le Conseil constitutionnel veille encore au respect du principe de la séparation des trois pouvoirs – exécutif, législatif et judiciaire. Et le conseil de l’Europe ne serait probablement pas d’accord.

Est-ce que ça marche ?

Au regard de l’agitation régnant à Mega-City One, on peut affirmer que non. D’ailleurs, dans le film, les juges qui composent le Haut-Conseil – l’instance qui gouverne la ville – sont presque unanimes. « La violence dans notre ville progresse à un rythme trimestriel de 15 % », s’alarme l’une d’entre eux. Marseille, à côté, c’est Neuilly-sur-Seine.

« Cette ville est un cloaque d’anarchie. Pour rétablir l’ordre, il faut la mener à coups de trique. L’emprisonnement n’a plus d’effet dissuasif. Etendons le champ de la peine capitale à tous les délits qui étaient considérés comme mineurs », propose l’un de ses collègues. Refus catégorique du juge suprême.

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