chômeursCinq ans de « durcissement » de l’assurance-chômage, mais pour quel bilan ?

Précarité : Cinq ans de « durcissement » de l’assurance-chômage, mais pour quel bilan sur la courbe des chômeurs ?

chômeursPour la troisième fois en cinq ans, le gouvernement penche pour un durcissement de l’assurance-chômage. Le tout sans pouvoir se reposer sur le moindre bilan de l’efficacité des réformes précédentes
Comme Emmanuel Macron, Elisabeth Borne, Muriel Pénicaud ou Olivier Dussopt avant lui, Gabriel Attal veut encore réduire le droits des chomeurs.
Comme Emmanuel Macron, Elisabeth Borne, Muriel Pénicaud ou Olivier Dussopt avant lui, Gabriel Attal veut encore réduire le droits des chomeurs. - JEANNE ACCORSINI/SIPA / SIPA
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Après Muriel Pénicaud en 2019, Olivier Dussopt en 2023, voici Gabriel Attal 2024. Comme les deux anciens membres du gouvernement, l’actuel Premier ministre souhaite une énième réforme de l’assurance-chômage, avec toujours le même mantra : en durcir les conditions.
  • Durée d’indemnisation plus courte, montant moindre, ou condition pour y accéder plus exigeantes, l’homme de Matignon ne ferme aucune de ces trois pistes. Des idées déjà mises en place soit en 2019-2021 soit en 2023, avec les réformes précédentes.
  • Une idée fixe du gouvernement alors qu’aucun bilan ne montre l’efficacité de ses réformes sur l’emploi.

Dans le milieu médical, on pourrait presque parler d’acharnement thérapeutique. Ce mercredi, le Premier ministre Gabriel Attal a indiqué se pencher sur un durcissement de l’assurance-chômage, ce qui en ferait la troisième réforme en cinq ans. 2019, 2023, 2024, cette trinité repose sur un même argumentaire. Les indemnisations chômage seraient encore beaucoup trop généreuses, expliquant certaines difficultés de recrutement. Insoutenable aux yeux du gouvernement qui a fait du plein-emploi un de ses objectifs.

Une idée fixe, durcir les conditions des chômeurs pour favoriser les emplois, quitte à dire tout et son contraire dans les réformes. Celle de 2019, effective en 2021, a notamment baissé le montant des allocations-chômage mais présentait « en contrepartie » un prolongement de temps – la durée théorique d’indemnisation passant de onze à quatorze mois en moyenne. Durée d’indemnisation qui sera finalement réduite de 25 % par la réforme de 2023, en cas de conjoncture « favorable » (un chômage à moins de 8 %, comme c’est le cas actuellement, et qui ne remonte pas trop vite).

Manque flagrant de diagnostic

L’occasion d’un autre contresens. La réforme de 2023 fonctionne selon le principe suivant : plus la conjoncture économique est bonne, plus le chômage est bas, plus les conditions d’allocations sont rudes. Ainsi, la durée d’indemnisation baisserait de 40 % en cas de chômage à moins de 6 %. Un an plus tard, Gabriel Attal justifie le prochain durcissement par une… mauvaise conjoncture économique.

En plus de justifier tout et son inverse, ce postulat de chômeurs trop couvés et qui iront travailler en cas de conditions plus rudes ne repose sur aucune donnée sérieuse. « Faute d’un diagnostic digne de ce nom, les nouvelles coupes dans les droits s’appuient sur des arguments d’autorité », tance Bruno Coquet, docteur en économie et président de Uno Etudes & Conseil, un cabinet de conseil et d’expertise sur l’emploi et les politiques publiques. Le bilan des deux dernières réformes est difficile à établir, ce qui n’empêche pas le gouvernement de vouloir en faire une troisième à la même sauce. Premièrement, les réformes sont trop récentes pour connaître leur impact. Ensuite, l’effet sur l’emploi est difficilement mesurable.

« L’assurance n’est qu’un déterminant parmi beaucoup d’autres de l’évolution du chômage », rappelle Yannick L’Horty, chercheur associé au Centre d’études de l’emploi (CEE) et professeur d’économie. « Le chômage dépend surtout de l’activité macroéconomique, du coût du travail, des coûts d’embauche et de licenciement, de la formation, etc. » Après une baisse continue de plusieurs années, le nombre de chômeurs augmente d’ailleurs depuis l’été 2023, mais « cela dit peu de choses sur l’efficacité des réformes », indique le professeur.

Une solution contre les emplois vacants, vraiment ?

Quant aux fameux emplois vacants, leur taux est passé de 2,5 % à 2,2 % entre le dernier trimestre 2022 et 2023, selon la Dares. « Les premiers éléments de la Dares laissent entrevoir que le retour à l’emploi serait plus rapide avec la réglementation 2019-2021, mais sur des emplois plus courts et de moindre qualité, avec un enfermement dans les contrats courts », nuance Claire Vives, sociologue au Centre d’études de l’emploi et du travail. « Contrairement à l’idée qu’un mauvais emploi serait un tremplin vers un bon emploi, les résultats montrent plutôt que les personnes qui ont un emploi court et mal rémunéré ne parviennent pas à trouver un meilleur emploi ».

La sociologue enfonce le clou. La rhétorique d’un chômage à durcir car actuellement trop rémunérateur pour inciter au travail ne tient pas quand « la moitié des chômeurs ne sont pas indemnisés par l’Unedic et ne pourvoient pas non plus ces emplois disponibles. Il n’est donc pas cohérent d’attribuer ces difficultés de recrutement à la générosité supposée des règles d’indemnisation ». Enfin, rappelons que la Dares estime à 350.000 le nombre d’emplois vacants en 2023, contre environ 3 millions de chômeurs tout au long de l’année.

Un appauvrissement bien chiffré

« Le seul effet certain pour la réforme de 2019-2021, c’est que cela a appauvri les personnes au chômage, soit en diminuant leurs indemnités, soit en les en excluant », rajoute Michaël Zemmour, maître de conférences en économie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, déjà très vocal contre le gouvernement au moment de la reforme des retraites. La réforme 2019-2021 aura entraîné une diminution des allocations-chômage de 16 % selon un premier rapport de l’Unedic ainsi qu’une diminution des allocataires indemnisés.

Bruno Coquet reconnaît bien une efficacité à ces textes : « Profiter au maximum des opportunités budgétaires offertes par les effets de la bonne conjoncture sur les finances de l’Unédic. Plus de recettes, moins de dépenses. L’Etat s’est ainsi attribué 12 milliards d’euros de prélèvements sur les excédents prévus par l’Unedic pour les années 2023 à 2026. En réalité, une taxe sur les chômeurs. » Mais face à une population favorable à de telles réformes, pourquoi se priver ? « En l’absence d’obstacle, et aussi déraisonnable que cela puisse être, il est difficile de renoncer à cette manne alors que les finances publiques se dégradent. »

Un impact négatif pour les travailleurs en poste ?

Yannick L’Horty vante au moins une concordance idéologique : « On peut toujours discuter l’inspiration néolibérale des réformes, mais on peut reconnaître aussi une certaine cohérence dans les choix de politiques publiques du gouvernement, dont l’assurance chômage n’est qu’un des aspects. »

Dernière potentielle conséquence de ces réformes, un impact négatif pour les travailleurs en poste, selon Michaël Zemmour : « En durcissant les conditions d’indemnisation du chômage, on diminue la capacité de négociation à l’embauche, et des emplois qui auraient nécessité de meilleures rémunérations ou conditions pour trouver preneurs n’ont pas besoin de se remettre en question. Cela entraîne une stagnation des salaires ». La « désmicardisation » de la France est justement l’autre grand chantier présenté par Gabriel Attal ce mercredi.