On veut du soleilLe passage à l’heure d’été (notre préférée) est-il vraiment notre allié ?

Changement d’heure : Le passage à l’heure d’été (notre préférée) est-il vraiment notre allié santé ?

On veut du soleilCe dimanche, nous passerons à l’heure d’été et à 2 heures, il sera 3 heures
Changement d'heure : les questions qu'on n'ose plus se poser
Anissa Boumediene

Anissa Boumediene

L'essentiel

  • Ce dimanche, comme chaque dernier dimanche de mars, nous passerons à l’heure d’été, et à 2 heures, il sera donc 3 heures.
  • Un changement d’heure qui se traduira par une heure d’ensoleillement supplémentaire à chaque fin de journée durant les sept prochains mois.
  • Mais cette heure d’été, la préférée des Français, est-elle vraiment bonne pour notre santé ?

Une heure de sommeil en moins. Mais une heure de soleil en plus. Comme chaque dernier dimanche de mars, nous allons passer à l’heure d’été. Ainsi ce week-end, dans la nuit de samedi à dimanche, à 2 heures, il sera 3 heures.

Pour beaucoup, cela lance officiellement le printemps, et laisse enfin présager des longues soirées ensoleillées et conviviales (enfin, quand le soleil se décidera à se montrer de nouveau). Mais si le passage à l’heure d’été est pour nombre d’entre nous synonyme de bien-être, est-il vraiment bon pour notre santé ?

« Des effets délétères » sur notre horloge interne

De l’avis des spécialistes, « le passage à l’heure d’été serait plus compliqué à gérer pour l’organisme que le passage à l’heure d’hiver, compte tenu, d’un côté, de la perte d’une heure de sommeil, et de l’autre, du fait que l’horloge biologique devra être avancée d’une heure », estime le neurobiologiste et chercheur Inserm Claude Gronfier, président de la Société française de chronobiologie. Un décalage qui entraîne « des effets physiologiques et sanitaires : il impacte notre horloge biologique interne, appelée système circadien, et peut induire des effets néfastes sur notre santé, tels que troubles du sommeil, de la vigilance, accidents du travail et de la route, des dépressions, des infarctus du myocarde et des accidents vasculaires cérébraux », prévient l’Inserm.

D’ailleurs, « plusieurs études le démontrent : lors du passage à l’heure d’été, qui induit la perte d’une heure de sommeil, les gens qui ont un chronotype tardif, c’est-à-dire les personnes couche-tard et lève-tard, ont de plus de risques de développer des problèmes de santé dans les jours suivant le changement d’heure. Cela va des accidents de la route, du travail ou domestiques – liés à un état de somnolence – aux problèmes cardiovasculaires », explique le Dr Maxime Elbaz, docteur en neurosciences, spécialiste du sommeil et directeur scientifique chez BioSerenity. Et si les AVC et infarctus du myocarde augmentent chaque année au moment du passage à l’heure d’été, « c’est dû à un choc de rythmes, poursuit le Dr Elbaz. Le rythme de la fréquence cardiaque suit le rythme circadien, et si le second est altéré, le premier risque de l’être aussi par ricochet, c’est physiologique ».

Un choc de rythmes qui explique aussi pourquoi « ce sont surtout les personnes âgées et les bébés qui sont plus les plus affectés par ce changement d’heure ». Habituées à des horaires fixes de repas et de sommeil, ce décalage d’une heure est pour ces tranches d’âge plus difficile à surmonter.

Resynchroniser son horloge interne

Le passage à l’heure d’été chamboulant notre horloge interne, il est important de la resynchroniser. « Il est conseillé, la veille et l’avant-veille du changement d’heure, d’avancer l’heure de son coucher de trente minutes chaque soir, indique le Dr Elbaz, afin de rendre ce changement d’heure le plus indolore possible pour l’organisme ». Mais en pratique, ces recommandations scientifiques ne sont pas suivies par le plus grand nombre. Et nombreux sont ceux et celles qui attaquent le lundi matin avec une impression douloureuse de jet-lag. Heureux hasard du calendrier, avec Pâques qui tombe ce week-end, ce lundi sera férié et nous laissera un jour de plus pour nous en remettre.

Toutefois, s’il fallait suivre au moins un conseil pour ne pas avoir la tête embrumée par le changement d’heure, « c’est de prendre des bains de lumière, le plus possible au réveil le matin, préconise le spécialiste du sommeil. Cela permet de resynchroniser efficacement notre rythme circadien, en remettant notre horloge interne à l’heure ».

Comment ? « En se réveillant une heure plus tôt que notre horaire habituel, on va être en manque de sommeil, et avoir un taux de mélatonine encore élevé, caractérisé par cet état d’inertie et de somnolence, explique le Dr Elbaz. De la même manière, notre taux de cortisol, qui est l’hormone du réveil et du stress, va lui aussi être perturbé et décalé, parce que sa production est retardée par le changement d’heure. Or, s’exposer à la lumière naturelle favorise la sécrétion de cortisol, ce qui permet de se sentir en forme ». C’est d’ailleurs pour cela que les personnes couche-tôt et lève-tôt qui, par leur chronotype, sont mieux calées sur le soleil, souffrent moins en ce week-end où il faut avancer sa montre d’une heure.

Autre conseil, valable aussi tous les autres jours de l’année mais à ne pas oublier au moment du passage à l’heure d’été : « ne pas scroller sur son smartphone au moment du coucher, sa lumière perturbe la sécrétion de mélatonine, donc l’endormissement », insiste le spécialiste du sommeil. Enfin, l’adaptation au changement d’heure est « variable d’une personne à l’autre, rassure le Dr Elbaz. Pour certains, cela peut prendre du temps, pour la majorité, tout rentre dans l’ordre dans les deux à trois jours suivants ».

La suppression du changement d’heure en débat

Alors, en 2024, changer d’heure est-il toujours cohérent ? Instauré en France par un décret en 1975 à la suite du choc pétrolier de 1973-1974, le passage à l’heure d’été avait vocation à réaliser des économies d’énergie : l’heure d’ensoleillement supplémentaire en fin de journée devait permettre de réduire le temps – donc les coûts – d’éclairage le soir. Mais selon l’Ademe, ces dernières années, les économies annuelles réalisées sont de l’ordre de 351 GWh, soit à peine 0,07 % de la consommation d’électricité totale.

De quoi alimenter le débat de la suppression définitive du changement d’heure. Une suppression d’ailleurs actée en mars 2019, quand le Parlement européen a voté pour un projet de directive supprimant le changement d’heure saisonnier, censé être effectif dès 2021. Mais la crise du Covid-19 a renvoyé le texte aux calendes grecques. S’il était remis sur la table, les Etats membres de l’UE devraient « choisir quelle heure définitive adopter » entre l’heure d’hiver et celle d’été, rappelle l’Inserm, qui souligne que « la grande majorité de la communauté scientifique recommande que le choix se porte sur le maintien de l’heure d’hiver ».

Un débat « où s’opposent considérations chronobiologiques et intérêts politico-économiques, résume le Dr Elbaz. Ce que l’on sait, c’est que l’heure d’hiver est la plus physiologique, la plus en phase avec notre horloge interne ». Fixée à GMT+1, l’heure d’hiver affiche ainsi déjà une heure de plus que l’heure solaire du méridien de Greenwich. L’heure d’été, elle, a donc deux de retard sur le soleil. « Si on en venait à maintenir l’heure d’été toute l’année, le réveil en hiver et le coucher en été seraient en effet plus difficiles, alerte l’Inserm. Le jour le plus court de l’année, le 21 décembre, le soleil se lèverait à̀ Paris à 9h41, au lieu de 8h41 à l’heure d’hiver, ce qui aurait un impact néfaste sur la santé des Français, le réglage de notre horloge biologique se faisant aussi par l’exposition à la lumière ».

L’argument, scientifique, peine toutefois à convaincre l’opinion : lors d’une consultation française lancée par la Commission des Affaires européennes en 2019, si plus de 80 % des répondants se sont prononcés en faveur d’une suppression définitive du changement d’heure, près de 60 % des répondants ont plébiscité l’adoption définitive de l’heure d’été.