Science-fictionDerrière « Le problème à trois corps », un sujet scientifique fascinant

« Le problème à trois corps » : Derrière la fiction, un sujet scientifique fascinant

Science-fictionLa nouvelle série Netflix, sortie le 21 mars, met en scène un objet bien connu des astrophysiciens : le fond diffus cosmologique, sorte de bruit de fond de l’univers qui témoigne de ses tout premiers instants
Les personnages observent un phénomène étrange dans le ciel lié au fond diffus cosmologique.
Les personnages observent un phénomène étrange dans le ciel lié au fond diffus cosmologique. - Netflix / Allociné
Manon Minaca

Manon Minaca

L'essentiel

  • La série « Le problème à trois corps » suit des scientifiques qui essayent de percer le mystère d'événements étranges qui se produisent les uns après les autres.
  • Dans le premier épisode, l'une de ces anomalies est due à une perturbation du fond diffus cosmologique, un reliquat du Big Bang qui nous entoure.
  • Origine de l'univers, corps noir, ondes gravitationnelles primordiales... Ne fuyez pas, « 20 Minutes » vous en dit plus sur ce concept très important en cosmologie.

Attachez vos ceintures. Le problème à trois corps, série Netflix de science-fiction très attendue sortie le 21 mars et adaptée du best-seller chinois éponyme de Liu Cixin, suit l’épopée de jeunes et brillants scientifiques qui tentent de sauver le monde qui part en vrille. L’œuvre, pilotée par les créateurs de Game of Thrones, évoque avec pédagogie des notions de physique complexes.

Dans le premier épisode, le monde observe par exemple un phénomène très étrange, décrit comme un clin d’œil de l’univers pour aider les personnages à accomplir leur mission. Si l’origine de ce phénomène n’est pas développée dans la série, elle est détaillée dans le premier livre de Liu Cixin : l’observation étrange faite par le monde entier est provoquée par des variations anormales du fond diffus cosmologique, un rayonnement qui nous en dit beaucoup sur l’origine de notre univers. 20 Minutes vous explique ce qui se cache derrière ce nom un peu barbare.

C’est le bruit de fond de l’univers

Sujet très complexe, le fond diffus cosmologique peut être résumé ainsi : « C’est une lumière qui a comme origine le tout début de l’univers et qui constitue un reliquat du Big Bang, explique Nabila Aghanim, astrophysicienne et cosmologiste spécialiste de l’interprétation du rayonnement fossile, directrice de recherches à l’Institut d’astrophysique spatiale d’Orsay. Cette lumière, qui a une longueur d’onde d’émission dans le micro-ondes et à laquelle nos yeux n’ont pas accès, baigne l’ensemble de l’univers et nous entoure dans toutes directions. »

Aussi appelé rayonnement fossile, « parce que c’est comme un fossile du Big Bang », ou rayonnement à 3K, en référence à sa température de l’ordre de 3 degrés kelvin (environ -270 °C), il est observable depuis le ciel, « mais le meilleur moyen reste d’utiliser des télescopes spatiaux, note Nabila Aghanim. On a des détecteurs hypersensibles refroidis à des températures très basses qui permettent de mesurer les photons [particules de lumière] de très faible énergie qui sont dans ce rayonnement fossile ».

Ces photons ont leur signature, explique notre experte : « Quand on décompose la lumière du rayonnement fossile, on voit que c’est celle d’un corps noir », c’est-à-dire un corps qui absorbe autant d’énergie qu’il en émet, caractéristique de l’univers quand il était très jeune. Tous ces éléments dressent ainsi une sorte de carte d’identité du rayonnement fossile : « Quand on observe ces photons dans toutes les directions, avec à peu près la même intensité et que leur décomposition spectrale est celle d’un corps noir, on sait que c’est le fond diffus cosmologique », résume l’astrophysicienne.

C’est la lumière la plus jeune de l’univers

Le fond diffus cosmologique a la particularité d’être l’image de la lumière la plus vieille qu’on puisse obtenir, qui correspond à 380.000 ans après le Big Bang. On ne peut pas remonter plus loin car entre le Big Bang et cette « date », « la matière de l’univers, qui est très chaud, est opaque » parce qu’ionisée, c’est-à-dire constituée d’électrons et de protons, chargés respectivement négativement et positivement, explique Nabila Aghanim. Or, les photons, donc la lumière, ont une caractéristique : ils interagissent avec la matière ionisée et, « un peu comme des boules de billard, ils se cognent contre cette matière, ils sont un peu coincés et ne peuvent pas se déplacer en ligne droite à travers l’univers », poursuit l’astrophysicienne.

Mais l’univers s’expand, se refroidit, et « quand on atteint cette époque de 380.000 ans après le Big Bang, sa température est assez faible pour que les électrons et les protons s’assemblent entre eux pour former l’atome d’hydrogène, qui est neutre. La matière dans l’univers devient ainsi essentiellement neutre, et à partir de ce moment-là, les photons peuvent se déplacer dans l’univers en ligne droite et nous parvenir », décrit la cosmologiste. Cette première lumière que l’on capte, c’est le fond diffus cosmologique, qui « porte les traces de l’univers quand il était très très jeune », conclut-elle.

Il valide la théorie du Big Bang

Théorisé en 1948 et observé pour la première fois en 1964, le fond diffus cosmologique est une découverte majeure qui permet d’aller dans le sens de la théorie du Big Bang, la plus plausible pour expliquer l’origine de notre univers. Et pour comprendre pourquoi, il faut remonter aux prémices de cette théorie : « On sait, depuis les années 1930, que l’univers s’expand, c’est-à-dire que les distances en son sein augmentent, développe Nabila Aghanim. Les grands théoriciens de la cosmologie en ont déduit que, si on remonte dans le temps, les distances vont être de plus en plus petites, et donc le volume dans lequel est contenu l’univers aussi. Il arrive ainsi une période où le volume est très très petit et où la densité, la pression et la température sont très grandes. C’est ce qui les conduit à postuler ce scénario de Big Bang », défini comme l’état de l’univers quand il était hyperdense et se caractérisait par une grande pression et une grande température.

Et à partir de cette hypothèse que l’univers était très dense, très chaud et avec énormément de pression, « les physiciens ont prédit [dans les années 1940] que la lumière qui devait exister, ce fameux fond diffus cosmologique, devait avoir un spectre de corps noir », poursuit Nabila Aghanim. Les astrophysiciens et physiciens ont donc essayé de mesurer cette lumière et de confirmer qu’elle présentait bien les caractéristiques d’un corps noir. C’est ce qu’a fait le satellite Cobe, qui a donné ses premières données en 1992, marquant ainsi une avancée « importante en cosmologie, car c’est une preuve que le scénario du Big Bang tient la route, confirme l’astrophysicienne. Si la décomposition n’avait pas été celle d’un corps noir, alors l’hypothèse selon laquelle le scénario du Big Bang est la plus favorable aurait été totalement invalidée ».

On continue à l’observer car il peut encore nous en apprendre beaucoup

Si on ne peut observer la lumière de l’univers qu’à partir de 380.000 ans après le Big Bang, il est en revanche possible d’obtenir des informations sur les tout débuts de l’univers en observant la polarisation de cette lumière, qui correspond à l’orientation de ses champs électriques et magnétiques.

En en observant cette donnée, on a en effet « accès aux traces des ondes gravitationnelles primordiales », des ondes gravitationnelles générées par la déformation de l’espace-temps par la forte densité de la matière au moment du Big Bang, explique Nabila Aghanim. « Ces ondes gravitationnelles primordiales perturbent la polarisation de la lumière, résume notre experte, et ces traces laissées nous apprennent des choses sur le processus du début de l’univers », ajoute-t-elle. LiteBird, un nouveau télescope mené par les Japonais et auquel participent des Français, est ainsi en cours de développement pour mesurer la polarisation de la lumière du rayonnement fossile.

Il a été découvert par hasard

Alors que de nombreux astrophysiciens cherchaient à le détecter, le fond diffus cosmologique a été observé pour la première fois en 1964, par hasard, par Robert Wilson et Allan Pendiaz, ingénieurs chez Bell Telecom. « C’est une histoire complètement dingue, s’amuse Nabila Aghanim. Leur labo était sur le campus de Princeton et en travaillant à la mise au point d’une grande antenne radio, ils ont détecté un bruit de fond, dont ils n’arrivaient pas à se débarrasser. Ils ont nettoyé, essayé plein de choses, mais ils avaient toujours cette nuisance à une même amplitude », qui équivalait en température à quelques degrés kelvin.

Hasard dans le hasard, il y avait sur le même campus des astrophysiciens au MIT qui essayaient justement de détecter le fond diffus cosmologique. Ces chercheurs ont entendu parler du « problème » de Pendiaz et Wilson, et « quand ils ont réalisé que ce bruit de fond pouvait correspondre au rayonnement fossile, ils ont regardé les données de plus près et fait cette interprétation disant qu’il s’agissait bien du fond diffus cosmologique », raconte notre experte. Les deux ingénieurs à l’origine de cette première détection ont d’ailleurs obtenu le prix Nobel de physique en 1978 pour leur découverte.