CensureSur Instagram, la dure loi de l’invisibilisation pour les drag queens

« J’ai l’impression qu’on est soumis à une dictature »… Sur Instagram, la dure loi de l’invisibilisation pour les drag

CensureSur Instagram, la drag queen La Big Bertha a vu son contenu être rétrogradé et son compte invisibilisé. Un lourd impact sur son quotidien et ses activités
Le Big Bertha, candidate de Drag Race France, saison 1.
Le Big Bertha, candidate de Drag Race France, saison 1. - Nathalie Guyon / FTV
Lina Fourneau

Lina Fourneau

L'essentiel

  • La drag queen La Big Bertha, candidate remarquée de « Drag Race France », a vu son audience chuter sur Instagram après des signalements massifs. Elle n’est même plus référencée sur la plateforme.
  • Cette invisibilisation a des conséquences financières pour l’artiste qui a besoin des réseaux sociaux pour son travail. « Ce sont nos moyens de communication. C’est notre art ».
  • Meta, de son côté, n’a pas encore répondu à nos sollicitations. L’agent de La Big Bertha, lui, cherche toujours à comprendre l’origine des signalements.

Aucune explication, rien. Pas un mot. Sur son Instagram, la désormais très populaire Big Bertha – drag queen et candidate remarquée de la première saison de Drag Race France a vu son audience chuter sur sa page Instagram. « Je pense être à bout de cette dictature de notre visibilité », alertait-elle dans une publication du 17 mars. Un cri du cœur qui s’accompagne de plusieurs « red flag » notifiés de façon très laconiques par la plateforme. Des contenus auraient été supprimés de son profil, d’autres rétrogradés. Son profil, lui, n’est plus visible dans la barre de recherche.

Ce phénomène semble être survenu, selon elle, après son passage sur le plateau de la Star Academy, en décembre dernier. « L’émission m’a offert une visibilité encore plus large. Qui dit une visibilité plus large… dit population qui n’a pas forcément envie de voir de drag-queens. Pire, qui ne comprend pas pourquoi une drag-queen a accès à un tel programme. » Des réactions qui ont pu se traduire par des signalements massifs auprès de Meta. Si la Big Bertha est habituée à ces actes malveillants après chaque passage dans une émission grand public, les signalements sont plus difficiles à gérer. « Ce qui est catastrophique, c’est que ces plateformes, ce sont nos moyens de communication. C’est notre art. »

De lourdes pertes

En effet, outre le mauvais référencement, le phénomène a une incidence sur les revenus des drag-queens déjà invisibilisées pendant des années, puis propulsées par l’émission Drag Race France et la popularité des spectacles comme Madame Arthur. Des marques de maquillage ou de costumes utilisent désormais leurs images… devenant une source de revenu non négligeable, mais avec des contreparties. « Sur Instagram, je dois faire du reporting auprès de mon agence sur mes taux d’engagement », avance la Big Bertha qui remarque ces dernières semaines « d’énormes pertes sur les comptes touchés ».

Face à ce constat, l’artiste a décidé de ne plus envoyer de reporting aux marques. « Elles vont voir que je suis à moins 85 % de comptes touchés, ça ne va plus les intéresser ». Son agence, Pop Model, le déplore également. « Evidemment, ça fausse toutes les statistiques. Ça peut faire très peur aux marques », regrette Maxime Bregerie, son agent.

Le Meilleur pâtissier signalé comme « acte sexuel »

Au téléphone, une certaine émotion s’entend à la voix de La Big Bertha. Elle sait qu’elle joue gros sur cette invisibilisation qu’elle juge « volontaire » de la part d’Instagram. « J’ai l’impression qu’on est soumis à une dictature où Meta nous fait assumer cette position de victime. » Son agent, Maxime Bergerie, est plus mesuré. Selon lui, les plateformes sont victimes de leur propre fonctionnement. Ce n’est pas tant Meta qui décide, mais son Intelligence artificielle qui analyse les photos. « Il y a évidemment une énorme faille dans la façon d’analyser les photos et ce qui peut être jugé comme contenu offensant pornographique. »

Ici, l’agent fait référence à une publication qui a mis le feu aux poudres : un joli portrait de La Big Bertha sur un fauteuil en rotin affichant un peu de nudité. « Mon art tourne autour du corps. Je veux toujours montrer qu’un corps gros peut être un corps beau. C’est certes une photo nue artistique, mais on ne voyait rien, explique La Big Bertha. C’était vraiment dans l’intention de le sublimer encore ». Pourtant, Instagram est inflexible et lui inflige un premier veto. « J’ai plié et effacé le post. » Mais sur la page des signalements, La Big Bertha remarque d’autres publications « flagés ». Neuf au total. Une bande-annonce du Meilleur pâtissier des stars diffusé sur Gulli a même été identifiée comme « des actes sexuels et de la nudité ».

« C’est très compliqué »

A l’agence Pop Model, on cherche à comprendre. Un premier contact a été pris chez Meta, en vain. « C’est très compliqué, on est baladé de droite à gauche ». Les solutions, La Big Bertha et son agent n’en voient pas beaucoup. Ils savent que le problème reste très minoritaire car toutes les drag-queens ne sont pas touchées de la même façon. Pour son agent, cela pourrait être dû aux formes de La Big Bertha qui seraient d’office sexualisée. « Le problème, c’est que cette mécanique donne aussi raison aux discours d’opposition », regrette la reine et son agent, faisant référence ici aux nombreuses accusations de pédophilie visant – à tort – des drag-queens.

Interrogé sur la question des signalements et de l’invisibilisation, le groupe Meta n’a pas répondu à nos sollicitations à ce jour.