StratégieLa Russie peut-elle l’emporter avant la fin de l’été ?

Guerre en Ukraine : La Russie peut-elle l’emporter avant la fin de l’été ?

StratégieLes hauts dirigeants ukrainiens s’attendent à une offensive russe d’ampleur à la fin du printemps, alors que les forces du Kremlin poursuivent leur grignotage
Un char russe fait feu sur la ligne de front en avril en Ukraine.
Un char russe fait feu sur la ligne de front en avril en Ukraine. - /AP/SIPA / SIPA
Guillaume Novello

Guillaume Novello

L'essentiel

  • Le 28 mars, Volodymyr Zelensky a affirmé qu’une offensive russe d’ampleur pourrait avoir lieu entre la fin du printemps et le début de l’été.
  • Pour le général Vincent Desportes, on ne peut exclure que « les Russes soient à Kiev en septembre », même si le colonel Michel Goya ne voit pas le rapport de force fondamentalement changer.
  • Mais Kiev, privée de munitions, la situation est très difficile, entre grignotage russe et quasi-impossibilité de reprendre l’initiative sur le champ de bataille.

«La situation est assez difficile et tendue », a reconnu dimanche à la télévision ukrainienne Oleg Kalachnikov, le porte-parole d’une brigade engagée à Tchassiv Iar, non loin de Bakhmout. Et elle pourrait empirer tant les dirigeants ukrainiens redoutent une offensive majeure de Moscou entre la fin du mois de mai et le début du mois de juillet. Volodymyr Zelensky l’a affirmé lors d’une interview à CBS le 28 mars et le patron des renseignements militaires ukrainiens l’a répété ce week-end auprès de la télévision allemande ARD.

Cette menace est prise au sérieux par le général Vincent Desportes pour lequel on ne peut exclure que « les Russes soient à Kiev en septembre et à Lviv [ouest du pays] en octobre ». « Nous sommes dans une situation critique », met-il en garde. Le colonel et historien Michel Goya se montre plus mesuré : « Les Ukrainiens dramatisent forcément ce genre de situations [pour accélérer l’arrivée de l’aide occidentale] mais ils n’ont pas forcément d’éléments concrets pour savoir s’il y aura une offensive majeure ou pas. »

Un très long grignotage

Toute la question est de savoir si les Russes ont les moyens de mener une telle offensive. Pour le général Desportes, « les dynamiques se sont inversées en faveur de la Russie, qui a rétabli sa capacité de combattre lors de la deuxième année de guerre ». « Aujourd’hui l’industrie russe produit plus d’armements qu’avant la guerre, note le militaire. Par exemple, elle produit deux fois plus de drones que l’Ukraine. » Et d’insister également sur « l’épaisseur démographique de la Russie qui lui permet de tenir le front et de former de nouvelles troupes » quand l’Ukraine les consacre entièrement à résister aux assauts russes.

Si Michel Goya relève la mobilisation en avril de 150.000 conscrits, il précise qu’il faut d’abord les former et que cela prend du temps. « Il peut y avoir un accroissement du potentiel russe à partir de l’été, à condition qu’on puisse équiper tout le monde correctement, estime-t-il. Mais d’ici là, le rapport de force ne va pas beaucoup changer. » En quatre mois, « les Russes ont conquis l’équivalent des deux tiers de la principauté d’Andorre, rappelle-t-il. Pour l’instant, on ne voit pas comment ils auraient les moyens de faire beaucoup mieux. »

Une percée peu probable mais possible

Néanmoins, la météo va assécher les sols et rendre les manoeuvres plus aisées et « si les Ukrainiens continuent à être rationnés en termes de munitions, petit à petit, le rapport de force va un peu augmenter en faveur des Russes ». Le colonel prévoit notamment une poursuite voire une accélération des attaques dans le Donbass, comme à Tchassiv Iar : « cela use et met les Ukrainiens sous grande pression mais il y a peu de chances qu’on voit quelque chose de décisif comme une grande percée ou un effondrement soudain du front. »

« Cette percée n’est pas probable mais elle est tout à fait possible et si elle avait lieu les Ukrainiens ne pourraient vraisemblablement l’arrêter », s’inquiète de son côté le général Desportes, pointant la faiblesse des réserves du côté de Kiev. C’est pourquoi il appelle à soutenir l’Ukraine le plus rapidement possible pour « fermer le front ». « De quoi a-t-elle besoin ? Elle a besoin de moyens pour renforcer la ligne, ça s’appelle du béton, des mines, des obus, des armes antichars, antiaériennes et anti-réseaux pour casser les capacités russes de commandement. » « Si le Congrès n’aide pas l’Ukraine, l’Ukraine perdra la guerre », a d’ailleurs averti dimanche Volodymyr Zelensky pour inciter les élus américains à débloquer l’aide de 60 milliards de dollars promise par Joe Biden.

Notre dossier sur la guerre en Ukraine

Sur la défensive, l’Ukraine peut-elle renverser la tendance. Pour le général Desportes, c’est se tromper dans les priorités : « il ne s’agit pas aujourd’hui d’envisager une contre-attaque ukrainienne qui, d’ailleurs, ne probablement pourra jamais avoir lieu. » Michel Goya lie une éventuelle initiative de Kiev à un afflux massif de munitions : « dans une guerre de positions comme celle-ci, si vous voulez attaquer une position retranchée avec de bonnes chances de la conquérir, il faut neutraliser la défense, et ça passe par une pluie d’obus. » Malheureusement pour les Ukrainiens, ces obus, ils ne les ont pas. « Pour l’instant, les Ukrainiens ne peuvent pas monter d’opération offensive de grande ampleur, constate l’historien. Il faut qu’ils reconstituent leur puissance de feu mais on ne sait même pas quand ce sera possible en réalité. »

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