pouvoir d’achatMais au fait, ça donnerait quoi la France sans TVA ?

La TVA a 70 ans : Mais au fait, ça donnerait quoi la France sans la taxe sur la valeur ajoutée ?

pouvoir d’achatOn rigole, Bruno Le Maire ne met pas vraiment cette option sur la table
Et si on prive la France de son plus gros impôt, ça donne quoi ?
Et si on prive la France de son plus gros impôt, ça donne quoi ?  - Getty Image Canva / Getty Image Canva
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Ce mercredi, c’est jour de fête pour les finances de l’Etat : la TVA célèbre ses 70 ans.
  • A force de la croiser à chaque coin de rue (et chaque dépense), vous ne vous en rendez peut-être plus compte, mais elle pèse de tout son poids dans l’économie, que ce soit sur votre porte-monnaie ou sur vos services publics.
  • Par curiosité, on a demandé à trois économistes d’imaginer la France sans TVA. Et autant dire que leurs réactions sont unanimes.

Joyeux anniversaire, la TVA ! Oui, la taxe sur la valeur ajoutée fête ses 70 piges ce mercredi. Et malgré cet âge avancé, la vieille dame garde toute son importance dans l’économie française. Vous l’oubliez parfois, mais non.

Elle est bien là au moment de faire vos courses, à 5,5 % sur votre côte de bœuf, votre paquet de pâtes, la bouteille de Coca ou tout achat alimentaire. Elle surgit encore, à 10 % cette fois, lorsque vous prenez un café au comptoir avant le boulot. Vous êtes plutôt pack de bière à la maison entre amis devant PSG-Barcelone ? Ça fera 20 %, comme l’ensemble des produits et services considérés comme non-essentiels. Tous ces calculs vous donnent mal la tête et il vous faut un petit doliprane ? 2,1 % de TVA sur les médicaments, oui, même ça, c’est taxé.

La vie sans TVA, ça donne quoi ?

Ça en fait, des prélèvements. A tel point qu’on a imaginé un scénario que même Oncle Picsou, Bruno Le Maire et le PDG-à-droite-toute-de-votre-entreprise trouveraient peut-être un poil trop libéral. Et si, en cette période d’inflation et de crise du pouvoir d’achat, on supprimait purement et simplement la TVA, en un coup de baguette magique ?

Abracadabra ! Voilà 370 euros économisés en moyenne par mois pour les Français, selon les calculs des économistes Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez dans le livre Pour une révolution fiscale, Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle (2010, Edition Seuil). Pas mal non ? Non. « C’est clairement une fausse bonne idée, prévient Dominique Plihon, économiste membre d’Attac France. Les conséquences négatives seraient beaucoup plus importantes que les relatifs bénéfices ».

« Une catastrophe »

Philippe Légé, professeur en sciences économiques à l’ISST de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et coauteur de Penser l’alternative (2024, Fayard) va jusqu’à décrire une « catastrophe ». C’est que la TVA, dont les recettes sont estimées en 2023 à 202 milliards d’euros, pèse 37,5 % des recettes fiscales brutes du pays. De loin le premier impôt national, devant l’impôt sur le revenu (17 %) et l’impôt sur les sociétés (12 %).

L’occasion pour le professeur de sortir la calculette. Les dépenses de personnel de l’Etat, soit 2,5 millions d’agents ? 138,8 milliards d’euros en 2022. Ajoutez la fonction publique territoriale, 1,9 million d’agents, et la fonction publique hospitalière, 1,2 million, et vous obtenez une masse salariale « de l’ordre de 325 milliards ». Autant dire que sans la TVA, ça devient complexe d’imaginer des services publics un tant soit peu fonctionnels.

Un impôt « très efficace pour redistribuer l’argent »

Sans TVA, difficile même d’imaginer des services publics tout court. « Il faudrait payer pour mettre son enfant à l’école ou pour déposer une plainte au commissariat. Il faudrait régler des milliers d’euros pour une journée en soins intensifs, plutôt que les 20 euros du forfait hospitalier », illustre Philippe Léger, pas vraiment fan de cette option.

« La TVA est très utilisée et très efficace pour redistribuer l’argent », estime Pierre Boyer, professeur à l’Ecole Polytechnique et auteur de Peut-on être heureux de payer des impôts ?, s’appuyant notamment sur une note de la Cour de Compte en 2023. « L’analyse montrait par exemple que le chèque énergie avait été plus efficace pour soutenir les foyers précaires qu’une variation de la TVA pour ces ménages. Il vaut mieux prélever de l’argent à tous et le redistribuer ensuite ». Le spécialiste ajoute que les pays ayant les plus grandes dépenses de protections sociales, comme les nations scandinaves, sont également ceux ayant la TVA la plus élevée.

La TVA, une « success-story »

« Alors que les 10 % les plus riches disposent de 12,7 fois plus de revenus primaires – salaires et revenus du capital, en moyenne, par rapport aux 10 % les plus pauvres, cet écart passe à 3,2 une fois pris en compte non seulement les prestations sociales, mais aussi les services publics dont ils bénéficient, rappelle quant à lui Philippe Légé. Il est essentiel de maintenir un service public universel, gratuit et de bonne qualité. »

Pierre Boyer évoque même une « success-story » à la Française. Invention tricolore, la TVA est désormais utilisée « par l’ensemble des Etats modernes, à l’exception notable des Etats-Unis » (pas forcément connus pour la qualité de leurs services publics). Une TVA d’au moins 15 % est même fixée dans l’UE, hors exceptions.

Le temps des adaptations ?

C’est compris, la TVA restera là. Faut-il ne pas y toucher du tout pour autant ? Si Dominique Plihon reconnaît « un impôt indispensable et qui ne peut être supprimé », il n’empêche qu’à 70 ans, la TVA pourrait au moins se permettre un petit lifting. C’est que la taxe « demeure particulièrement injuste », note l’économiste. « Que vous soyez chômeur, au Smic, CSP + ou Bernard Arnaut, vous payez le même taux. » Or, plus votre revenu est modeste, plus la TVA prend de la place dans votre budget.

« On pourrait aménager la TVA en la mettant à 0 % pour les produits de première nécessité, et au contraire surtaxer certains produits qui ne sont pas indispensables, comme l’alcool ou les voitures de luxe », poursuit Dominique Plihon. Sans s’en passer, on pourrait aussi selon lui « diminuer l’importance de la part de la TVA dans les finances publiques, au profit d’impôt plus égalitaire comme l’impôt sur le revenu. » Ce dernier a, en France, un poids parmi les plus faibles en Europe comparé au PIB. Il est peut-être là, le coup de baguette magique.

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