double tapQuand la Russie utilise une tactique interdite pour faire plus de victimes

Guerre en Ukraine : La « double frappe », une tactique interdite utilisée par les Russes pour faire plus de victimes

double tapDepuis le début du conflit entre la Russie et l’Ukraine, l’armée de Moscou a plusieurs fois fait usage de la « double frappe » aérienne, une stratégie visant à éliminer une cible, les survivants et les secours
Des secouristes interviennent sur un site bombardé par un missile russe qui a causé la mort de 49 personnes à Kharkiv.
Des secouristes interviennent sur un site bombardé par un missile russe qui a causé la mort de 49 personnes à Kharkiv. - Andriy Yermak/Cover Images/SIPA / Sipa
Mikaël Libert

Mikaël Libert

L'essentiel

  • Plusieurs personnes, dont des secouristes, sont mortes à Kharkiv dans ce que les observateurs appellent une « double frappe » de l’armée russe.
  • Cette technique, utilisée en Ukraine et en Syrie, consiste à frapper une même cible deux fois afin de maximiser le nombre de victimes, notamment parmi les secours.
  • La volonté de toucher des civils en utilisant ce genre de stratégie est considérée comme un crime de guerre par les conventions internationales.

Dans la nuit de vendredi à samedi, la ville ukrainienne de Kharkiv était la cible d’une « double frappe » de missiles russes qui a fait sept morts. Mi-mars, le même type d’attaque a été mené sur Odessa avec un bilan beaucoup plus lourd de 20 morts et 73 blessés. Dans ce dernier cas, un missile balistique est tombé vers 10 heures du matin sur un quartier résidentiel d’Odessa, provoquant la panique et l’envoi sur place de nombreux secours. Quinze minutes après la première frappe, un second missile s’est abattu au même endroit, tuant ou blessant pompiers et ambulanciers. Bavure ? Non, parce que c’est exactement ça le principe de la « double frappe ».

Odessa, Nikolaev, Kherson, Kharkiv. Ces quatre villes ukrainiennes ont été les cibles avérées de frappes aériennes de missiles russes en « double tap ». Une tactique différente des bombardements dits « conventionnels » dont le but est aussi simple que vicieux : cibler un objectif une première fois, laisser le temps aux secours, aux militaires ou aux journalistes d’arriver sur place puis lancer un autre missile au même endroit pour maximiser le nombre de victimes. En reportage à Kharkiv avec une équipe d’ambulanciers, des journalistes de la chaîne américaine CNN ont d’ailleurs pu filmer une attaque de ce type, le 17 avril 2022.

Une technique prisée par les terroristes

« La double frappe, c’est quasiment une règle pour les attentats à la bombe », assure à 20 Minutes Alain Rodier, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement et collaborateur de la revue Raids. « On peut presque dire que ce sont les terroristes qui l’ont inventée », ajoute-t-il. Dernier exemple en date, parmi de nombreux autres, l’attentat perpétré par Daesh en Iran lors de la cérémonie en hommage au général Soleimani. « Deux bombes ont explosé dans le même secteur à dix minutes d’intervalle. Le but était clairement de faire le plus de victimes possible », assure le spécialiste. C’est d’ailleurs la seconde explosion, survenue en pleine panique, qui a fait le plus de morts.

Assez logiquement, les conventions internationales dénoncent ce type de pratiques, parfois qualifiées de crimes de guerre. « La double frappe n’est pas directement mentionnée dans les conventions, mais plutôt ce qu’il y a derrière », explique à 20 Minutes le colonel Michel-William Drapeau, ancien militaire de l’armée canadienne et spécialiste en droit militaire. « Ce qui peut être qualifié de crime de guerre, c’est la volonté de toucher directement et de manière délibérée des vies civiles en opérant de telles frappes », poursuit-il.

Néanmoins, le plus difficile est de prouver l’intention, même si, pour l’ex colonel, « les systèmes de visés actuels laissent peu de place à l’erreur lorsque l’on cherche à détruire un objectif ». Ce travail d’enquête, c’est celui des experts de la Cour pénale internationale (CPI). Contacté à ce sujet par 20 Minutes, le bureau du procureur de la CPI assure travailler « en étroite collaboration sur le terrain avec les survivants, les communautés touchées et les autorités ukrainiennes pour recueillir des preuves afin de bâtir des dossiers solides concernant les crimes internationaux présumés commis en Ukraine ».

Près de 60 « doubles frappes » avérées en Syrie

D’ailleurs, la CPI a délivré deux mandats d’arrêt à l’encontre de deux militaires russes, le chef de l’aviation et le chef de la marine, suspectés d’avoir dirigé des attaques de missiles délibérées contre des civils. Néanmoins, par souci de « confidentialité des investigations », la CPI n’évoque pas le cas particulier d’éventuelles « doubles frappes ». Pour autant, tout le monde sait que cela existe : « l’usage de cette technique est tellement connu que les services de secours sont même théoriquement formés à prendre en compte ce risque dans leurs protocoles d’intervention », précise Alain Rodier.

Guerre en Ukraine

Le Centre syrien de justice et de responsabilité (SJAC) a, lui, délivré un rapport accablant sur les « doubles frappes » opérées par l’aviation russe et l’armée syrienne en Syrie. Selon ce rapport, ce ne sont pas moins de 58 frappes de ce type qui ont été répertoriées entre 2013 et 2021, toutes dans « des secteurs résidentiels ». Le rapport précise que « la grande majorité des victimes étaient des civils, y compris des femmes et des enfants, ainsi que des premiers intervenants qui aidaient les victimes après la frappe initiale ».

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