REPORTAGE« Envoyé Spécial » dans un centre de déradicalisation pour enfants de djihadistes

« Je ne bois pas de sang »… « Envoyé Spécial » a suivi des enfants de djihadistes dans un centre de déradicalisation

REPORTAGEL’émission « Envoyé Spécial », sur France 2, diffuse ce jeudi un reportage exceptionnel : une plongée dans le centre de déradicalisation d’Okresh, en Syrie, destiné aux enfants de terroristes. On y suit quatre Français
Amza, Elias, Aden et Youssef, les quatre Français du camp d'Okresh, au Kurdistan syrien.
Amza, Elias, Aden et Youssef, les quatre Français du camp d'Okresh, au Kurdistan syrien. - Envoyé Spécial / France 2 / Envoyé Spécial / France 2
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • «Envoyé Spécial » diffuse jeudi soir un document sur le centre de déradicalisation d’Orkesh, au Kurdistan syrien.
  • Une centaine de fils de djihadistes de l’Etat islamique sont dans ce centre. Parmi eux, quatre Français âgés de 18 à 21 ans.
  • L’un d’eux est le fils de Fabien Clain, la « voix » des attentats. Un autre a combattu, ado, dans la brigade des « lionceaux du califat ».

C’est un document exceptionnel que s’apprête à diffuser « Envoyé Spécial » : une plongée dans le centre de déradicalisation d’Orkesh, au Kurdistan syrien. Un lieu créé il y a un an et demi pour accueillir et prendre en charge des fils de djihadistes de l’État islamique. Les plus jeunes ont une douzaine d’années, les plus âgés sont de jeunes majeurs. Ici, se côtoient des Syriens, des Allemands, des Tunisiens ou encore des Britanniques. Une vingtaine de nationalités, au total. Et quatre Français. Adem, Youssef, Elias et Amza. Ils ont entre 18 et 21 ans. Tous les quatre sont arrivés en Syrie avec leurs parents au sortir de l’enfance, ont baigné dans la propagande djihadiste. Aujourd’hui, tous affirment en être sortis. « N’ayez pas peur de moi, je ne suis pas un vampire, je ne bois pas de sang », implore Youssef, 18 ans.

Il a fallu de nombreux mois de négociation avant que les autorités acceptent une équipe de télévision. « Nous, ce qu’on voulait, c’était du temps. Parler à ces gamins, comprendre leur histoire, leur parcours », retrace Chris Huby, le réalisateur du documentaire. Il faut dire que certains ont un lourd passé. Parmi les quatre Français, il y a Adem, fils de Fabien Clain, « la voix des attentats du 13-Novembre ». Son père et son oncle – tués dans une frappe de drone – ont enregistré le message de revendication des attaques. Tous deux occupaient dans l’organisation terroriste un poste majeur : chefs de la propagande.

« Mon père, c’est un terroriste. Sans mentir, je lui en veux, c’est lui qui m’a ramené en Syrie », assure le jeune homme. Face caméra, il dit rêver d’avoir une petite copine, un appartement, une famille. Et d’insister : « Je suis une victime, j’ai rien fait. Je suis jamais allé au combat, j’ai jamais touché une arme. »

« Tu pars à la guerre, cash »

Depuis la fin de la guerre, la France prône une politique de retour au cas par cas pour les mineurs. « Il y a un vide juridique qui entoure ces jeunes, précise Chris Huby. Ils ont été kidnappés par leurs parents, emmenés sur un terrain de guerre mais aujourd’hui ils sont majeurs. Certains ont combattu mais ce n’est pas le cas de tous. » Les autorités s’accordent pour dire qu’ils sont victimes des décisions de leurs parents mais craignent qu’ils soient « des bombes à retardement ». En clair, qu’ils feignent leur déradicalisation et commettent dans un avenir plus ou moins proche un attentat.

Amza et Youssef sont apparus dans une vidéo de propagande en 2014. Ils avaient respectivement 11 et 9 ans et se pavanaient avec des Kalachnikov, présentaient Mohamed Merah comme un « héros ». Dix ans après, leur discours est radicalement différent. « Il a gâché le nom de l’islam », insiste Amza. Mais leur rôle ne s’est pas toujours limité à de la propagande. Lui, par exemple, a intégré à l’adolescence la fameuse brigade des « lionceaux du califat », des enfants-soldats âgés de 9 à 15 ans. Il y a notamment appris le maniement des armes – Kalachnikov, lance-roquettes, fusil-mitrailleur – avant d’être envoyé sur le terrain. « Tu pars à la guerre, cash », insiste-t-il. A-t-il tué des gens ? « Peut-être, mais j’aimerais bien dire que non. »

« Les gamins sont séparés de l’influence parentale »

« Ici, la déradicalisation passe d’abord par le fait que les gamins sont séparés de l’influence parentale », précise Chris Huby. Certains sont orphelins, d’autres ont encore des proches qui vivent dans les camps d’Al-Hol ou Al-Roj. Au programme, des cours de langues, de maths, de sport ou de géographie dispensé par des bénévoles d’ONG. Mais pas de cours de religion. « L’autre levier, c’est le mélange de ces gamins. Certains sont très radicalisés, d’autres beaucoup moins. Ces centres sont encore expérimentaux, le premier date de 2018, mais rien n’est fait au hasard. Dans les chambres, si on met trois gamins modérés avec un plus radicalisé, peu à peu ce dernier va s’ouvrir, se désengager idéologiquement. Ce n’est pas du jour au lendemain mais j’ai pu le constater. »

Tous rêvent d’un avenir en France, d’un rapatriement qui ne vient pas. Si ce centre n’est pas une prison à proprement parler, les pensionnaires sont soumis à des règles très strictes et ne savent pas quand ils rentreront. Les conditions sont plus que spartiates. Il n’y a pas de tables pour manger, pas de chaises non plus. Les jeunes se partagent une gamelle posée à même le sol. Certains ont été grièvement blessés pendant la guerre et ne peuvent bénéficier de soins adaptés. Un autre, Youssef, confie avoir des pensées suicidaires. « Notre famille, ils ont fait des trucs, mais nous, on n’est pas obligés d’être comme eux », insiste Amza.

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