Justin illusionAu Canada, le « beau gosse » Justin Trudeau est devenu « flasque »

Canada : De la « fraîcheur » à la « gestion flasque », la désillusion Justin Trudeau

Justin illusionArrivé en pouvoir en 2015 affublé d’une image de « beau gosse », Justin Trudeau laisse désormais un sentiment d’impuissance
Justin Trudeau recevait Gabriel Attal, de dix-sept ans son cadet, pour essayer de le convaincre de signer le CETA.
Justin Trudeau recevait Gabriel Attal, de dix-sept ans son cadet, pour essayer de le convaincre de signer le CETA. - Adrian Wyld/AP/SIPA / SIPA
Xavier Regnier

Xavier Regnier

L'essentiel

  • Justin Trudeau, chef du gouvernement canadien arrivé au pouvoir en 2015, a bénéficié des mêmes attentes liées à sa « fraîcheur » que celles placées en Emmanuel Macron, mais il est maintenant critiqué pour sa gestion « flasque », notamment économique.
  • Trudeau multiplie les dépenses et les promesses au risque d’alourdir la dette, ce qui lui vaut des critiques de la droite sur l’inflation et des provinces sur ses ingérences, même si son action est saluée pour la défense des autochtones et son multiculturalisme.
  • Le bilan environnemental mitigé de Trudeau, entre ambitions affichées et intérêts économiques, suscite désormais du « cynisme ». Son leadership est remis en cause au sein même de son parti, à l’approche des élections.

Le parallèle est presque trop évident, malgré les 17 ans qui les séparent. Depuis mercredi soir, Justin Trudeau accueille Gabriel Attal, son homologue français et son reflet. A son arrivée à la tête du gouvernement canadien il y a neuf ans, le chef du parti libéral traînait partout son image de « beau gosse » moniteur de snowboard. « Il y incarnait une idée de beauté, de fraîcheur au départ », raconte Yannick Dufresne, professeur agrégé en sciences politiques à l’Université Laval, qui trace aussi un parallèle avec les attentes générées par l’élection d’Emmanuel Macron.

Mais déjà à la tête d’un gouvernement minoritaire depuis 2019, Justin Trudeau est en difficulté dans les sondages alors qu’une nouvelle élection approche. « Il est de plus en plus associé à une gestion flasque », résume Yannick Dufresne, en particulier dans le champ économique. Pourtant, Justin Trudeau pouvait se flatter d’un premier bilan plus qu’acceptable. En 2019, le taux de chômage du pays était tombé à 5 %. Il avait également, fidèle à ses promesses, relevé le niveau des allocations familiales et baissé les impôts des classes moyennes. Le tout aux dépens de l’équilibre budgétaire.

La « justinflation », côté face d’une politique d’ouverture

Le chef du gouvernement canadien multiplie les promesses et les dépenses, au point que « des journalistes font des paris sur le niveau d’endettement », sourit le professeur agrégé en sciences politiques. Mais la politique de Trudeau ne prête pas à rire pour tout le monde. D’abord, à droite, ces dépenses sont l’occasion rêvée pour attaquer sur l’inflation, ironiquement renommée « justinflation ». Du côté des provinces, c’est aussi la soupe à la grimace. Le Québec n’apprécie pas que le gouvernement fédéral « vienne se mêler de compétences provinciales comme la santé, et il y a des tensions sur les migrations », signale encore Yannick Dufresne. A l’ouest, la nationalisation du pétrole par Trudeau père, au pouvoir dans les années 1970 et 1980, n’a pas été oubliée.

Par ailleurs, Justin Trudeau s’appuie énormément sur le multiculturalisme au Canada, marque de fabrique de son parti. « Personne ne remet en question son engagement sur la question des autochtones », illustre ainsi Yannick Dufresne, alors que des tombes d’enfants près d’anciens pensionnats ont été découvertes. Mais là aussi, le curseur est parfois poussé trop loin. Derrière l’asile accordé à la Pakistanaise Asia Bibi, le Canada a ouvert ses frontières à des dizaines de milliers de réfugiés syriens ou de migrants repoussés par Donald Trump. Dans l’opinion publique, « les gens commencent à faire un lien entre cette immigration massive et la hausse des prix du logement dans les grandes villes », explique le chercheur en sciences politiques, tout en soulignant qu’il « ne s’agit pas d’un virage xénophobe », mais de « questions de politique économique ».

Le « cynisme » a pris le pas sur les idéaux

Autre sujet majeur encore plus parlant : l’environnement. « Justin Trudeau a fait un gros coup en allant chercher Steven Guilbeault comme ministre de l’Environnement et du changement climatique », reconnaît Yannick Dufresne. Mais l’ancien directeur de campagne de Greenpeace Quebec a les mains liées. « Personne ne remet en question les valeurs environnementales du gouvernement, mais dès qu’on est sur du concret, ça bloque. » En 2018, le gouvernement fédéral a ainsi racheté un oléoduc à la compagnie Kinder Morgan pour permettre son expansion, aux dépens des communautés autochtones et de l’opposition locale.

Tout en promettant d’investir « chaque dollar généré dans la transition énergétique », comme le rappelle Reporterre. Polluer maintenant donc pour retarder la transition, à rebours de l’urgence écologique. Dans un pays dont l’économie repose largement sur l’exploitation du pétrole mais qui souffre largement du réchauffement climatique, entre fonte des glaces et feux de forêt, le sujet est surtout « source de cynisme ».

« Au bout de neuf ans, son gouvernement est usé », résumé Yannick Dufresne. Justin Trudeau a gardé l’image d’un « beau parleur, idéaliste », qui « maintient étonnamment son image de jeune » mais « on a l’impression qu’il n’est pas aux commandes ». « Il y a un manque de leadership, un côté flasque », insiste le professeur de sciences politiques. Au sein même de son parti, Justin Trudeau est d’ailleurs contesté. Mais l’on est désormais « trop proche de l’élection pour changer ». Jusqu’au bout, le Premier ministre canadien semble ainsi condamné à subir.

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