PAS LA MOITIé d’un COINLe halving, une simple division qui multiplie l’intérêt pour Bitcoin

C’est quoi le halving de Bitcoin, cette division par deux qui multiplie l’intérêt pour les cryptos ?

PAS LA MOITIé d’un COINTous les quatre ans, le rythme d’émission des bitcoins réduit de moitié… Et pour ses partisans, ce détail change tout
Si le dollar avait lui aussi son halving day, ce serait l'illustration parfaite.
Si le dollar avait lui aussi son halving day, ce serait l'illustration parfaite. - Christine Balderas 2017 / Getty images
Laurent Bainier

Laurent Bainier

L'essentiel

  • Tous les 4 ans, les récompenses distribuées aux mineurs de bitcoin sont réduites de moitié, conformément au souhait du créateur de la blockchain.
  • Cette règle immuable incarne, aux yeux de ses partisans, la singularité de Bitcoin. Pour d’autres, elle sonne comme la promesse incertaine d’une envolée des cours.
  • Nous avons demandé aux meilleurs pédagogues de la blockchain de nous aider à comprendre ce qui va se jouer samedi 20 avril au matin.

Pour les gens nés un 29 février, l’année 2024, bissextile, est la garantie de beaux cadeaux. Pour les archères ou les hockeyeurs sur gazon, 2024, année olympique, est une rare fenêtre d’attention. Pour les politologues US, 2024 année présidentielle, est l’occasion d’étaler sa science sur les plateaux de télévision.

Eh bien, pour qui aime les cryptomonnaies, 2024, année de halving, est tout ça à la fois. Une année lucrative, où les « nocoiners » – comprenez les 89 % de Français qui n’ont jamais acheté de crypto – s’intéressent enfin à vous et où les médias font la queue à votre porte pour que vous éclairiez leur lanterne.

Passion compte à rebours

Nous étions justement en train d’attendre notre tour à celle de Charles Guillemet, directeur technique (CTO) de Ledger, le leader mondial de la sécurisation de cryptomonnaie, lorsque nos confrères du Monde dégainaient leur article explicatif. Suivi de peu par l’AFP et sa cohorte de médias abonnés.

Pourquoi, à près d’une semaine de l’événement s’empressait-on de publier les bans ? Pourquoi certains sites (comme ici) affichent-ils en page d’accueil un compte à rebours nous séparant du halving ? Pourquoi mon voisin, qui n’a jamais investi dans les cryptos, me demande si ce « alfing », ce ne serait pas la martingale, la courroie pour chevaux dont on disait qu’elle bridait le hasard ?

« Parce que les médias plus grand public comme le vôtre s’intéressent aux cryptomonnaies à cette occasion, nous répond tout de go Charles Guillemet. Ça crée de l’activité chez nous aussi. Les gens qui avaient déjà envie de s’intéresser à Bitcoin se renseignent. Ils comprennent par exemple que la sécurisation de leurs cryptos, c’est vraiment important et achètent davantage de nos produits. Le halving, c’est l’occasion de remettre la lumière sur Bitcoin. »

21 millions de bitcoins en minuscule

On n’a pas encore répondu à la question, mais on y vient. Et effectivement, il est temps de parler de « coin ». Bitcoin, avec une majuscule, est une blockchain, une chaîne de centaines de milliers de blocs comme autant de pages d’un registre comptable.

A intervalle régulier, un nouveau bloc est créé, à l’intérieur duquel apparaissent de nouveaux bitcoins, avec une minuscule puisqu’il s’agit cette fois de la monnaie. Il en ira ainsi jusqu’en 2140 à peu près, où l’intégralité des bitcoins aura été créée car à la différence des monnaies « classiques », dont l’émission est fixée par les banques centrales, on peut dire très précisément combien de bitcoins seront mis en circulation : 21 millions.

Les Lego du Prince de Serbie

Et c’est là qu’intervient le fameux halving. Pour l’expliquer au mieux, nous avons contacté la plus grande pédagogue française du domaine. Depuis cinq ans, Laure Merlin sillonne le territoire avec des boîtes de Lego pour illustrer, brique à la main, comment fonctionne une blockchain. La légende dit qu’elle a enseigné au fils du prince de Serbie, alors âgé de 4 ans, les grands principes de la crypto. Et en anglais. « Son père était ravi parce que je lui ai offert un petit Lego de mineur, avec le casque et le gilet », confirme-t-elle en souriant. Exactement la personne qu’il nous faut…

« Bitcoin est un système monétaire alternatif qui a été conçu pour être à l’abri des décisions politiques et de toutes les formes de manipulations, commence la consultante. L’inventeur de Bitcoin avait prévu de rémunérer les personnes qui allaient faire fonctionner ce système de deux façons : avec des frais de transaction et avec la création de nouveaux bitcoins. (Pause)

Au début, il n’y avait pas beaucoup de participants, donc il n’y avait pas beaucoup de frais de transaction. (Pause) Et donc, il y avait plus de nouveaux bitcoins qui étaient créés pour payer les personnes qui servaient ce système. »

Des Tables de la loi au salaire des nounous

Si Laure parle lentement, ce n’est pas (!?) parce que je suis teuteu, mais c’est parce qu’elle me dicte les Tables de la loi de Bitcoin, la logique même de ce halving :

« L’inventeur avait prévu que plus il y aurait d’utilisateurs, plus il y aurait de frais de transaction et donc moins on voudrait créer de nouveaux bitcoins pour payer les personnes qui font marcher le système. Le halving, c’est ça : tous les quatre ans environ, la division par deux de la création de nouveaux bitcoins.” »

Nous tentons une analogie : « Disons que les mineurs sont les nounous de la blockchain. Là, on décide que leur salaire est diminué de moitié. Pourquoi continueraient-ils à garder des gosses ? »

Laure improvise : « Parce qu’il y aurait plus de transactions, donc plus d’enfants à garder… Non mais ça ne marche pas ta comparaison. La quantité d’efforts qu’on fait pour créer des nouveaux bitcoins ne change pas. Le nombre est fixe. Alors que si, par exemple, la moitié de la population mondiale se mettait tout à coup à chercher de l’or avec des entreprises qui lancent des fusées pour trouver des astéroïdes pleins d’or, etc., évidemment, on en trouverait davantage. Ce n’est pas le cas avec Bitcoin. Rien ne modifiera ses règles. »

« De la complexité naît le chaos »

On repart sans figurine, mais plutôt satisfait des explications. Et puis à l’écriture de l’article, un doute demeure. « Rien ne modifiera ses règles. » Ça existe ce genre de certitude ? Elle est gravée où, la loi immuable ?

« Dans un algorithme distribué. Ce qu’il faut comprendre c’est que Bitcoin, c’est une intelligence artificielle distribuée qui gère des paiements. Ça ne demande pas beaucoup de créativité et le fait qu’elle soit limitée, c’est justement ce qui lui donne son intérêt, parce que si elle était sophistiquée, elle deviendrait opaque. Vous savez que le chaos naît de la complexité, Laurent ? »

Tout à fait, d’où notre angoisse. Au bout du fil, Pierre Noizat. Dans le monde des cryptos, on dit d’un pionnier qu’il est un OG, un « original gangster ». Et plus OG que Pierre Noizat, il n’y a pas. En créant Paymium, qu’il préside toujours, il a monté l’une des toutes premières entreprises au monde qui permettait d’acheter du bitcoin.

La fourche dure de Bitcoin Cash

« Là, on est sur quelque chose de relativement simple à appréhender, nous rassure-t-il. Tous les 210.000 blocs, on va diviser par deux les bitcoins qui arrivent. Soit à peu près tous les quatre ans, puisque chaque bloc est séparé de dix minutes. Et donc, diviser la quantité par deux, c’est ce qui permet d’atteindre cette fameuse asymptote de 21 millions.

« Si quelqu’un s’avisait de s’affranchir du halving, il pourrait le faire. N’importe qui peut le faire, vous, moi, sauf qu’on créera un nouveau “coin”. Ce sera autre chose, ce qu’on appelle un hard fork, c’est-à-dire une modification non consensuelle du protocole. Et dans ce cas, nous créerions une nouvelle blockchain qui apparaîtrait comme une fourche sur Bitcoin. Les blocs qui seraient écrits à partir de ce point seraient invalides sur le réseau Bitcoin… » »

Et c’est déjà arrivé ? « Oui, en 2017 avec Bitcoin Cash. Aujourd’hui, si vous observez son cours, il vaut une petite fraction de ce que vaut un bitcoin. Je dirais que c’est une bonne mesure du degré de compréhension de Bitcoin. Tant que Bitcoin Cash a de la valeur, c’est qu’il y a des gens qui n’ont pas compris ce que je viens d’expliquer. OK ? »

Alice au pays des cocos

OK ! Mais on aimerait bien un petit dessin, malgré tout. Alors avant de boucler, on lance une visio avec Daniel Villa-Monteiro. Il est docteur en algorithmique des réseaux et c’est un pédagogue accompli, directeur des études de la plus grande école blockchain de France, Alyra. Il y a un an, il a publié aux éditions du Faubourg Alice au pays des cryptos, une histoire passionnante autour des blockchains, sous forme de BD parce que… « Qui veut se taper un énième manuel avec des schémas chiants ? »

Quand on s’intéresse à Bitcoin, Alice, c’est évidemment le débutant qui tombe dans le terrier du lapin blanc et plonge toujours plus profondément dans la connaissance du secteur. Mais c’est aussi la pote de Bob et de Charlie, qu’on retrouve à chaque explication technique. Il est vrai que « A donne à B et prête à C », c’est moins agréable à lire que les galères de trouple d’Alice, Bob et Charlie. Daniel sait cela, et il sait aussi ce qui nous intrigue dans ce halving.

« En fait, ce qui est fascinant, c’est que c’est la première fois dans l’humanité qu’on accepte de se plier économiquement à un foutu code informatique. Le code a dit : “On divise par deux les récompenses” et des millions d’utilisateurs ont décidé de suivre la règle. »

« Bitcoin, c’est une nation, c’est une religion, c’est une croyance qui consiste à dire : on accepte de diviser par deux nos récompenses car c’est le seul moyen de garantir la valeur de notre monnaie. Et ce sacrifice, on le fait pour le bien de tous. Mince, si ce n’est pas assez coco pour toi, je ne sais pas ce qu’il te faut… »

Et voici la planche qu’il nous laisse :

Une page tirée d' "Alice au pays des cryptos", la BD de Daniel Villa-Monteiro et Nicolas Balas.
Une page tirée d' "Alice au pays des cryptos", la BD de Daniel Villa-Monteiro et Nicolas Balas. - Editions du Faubourg

On n’a pas le temps de s’émouvoir que Daniel reprend. « Bon, les mineurs ne sont pas complètement bêtes pour autant parce qu’ils savent qu’en jouant le jeu, le cours du bitcoin s’envole et la réalité, c’est que ça a toujours plus que doublé. »

Ah !

AH !!! L’argent, nous y voilà.

Si une foule de nouveaux investisseurs se prennent de passion pour un détail d’ingénierie financière, c’est bien parce qu’ils l’associent au moins inconsciemment à la promesse de gains. « N’importe quelle personne qui a des bases en économie voit l’opportunité, confirme Daniel Villa. Demain, on te dit que la production d’aluminium va être divisée par deux, tu vas acheter de l’aluminium en prévision »

Des millions de satoshis ne suffiront pas

Et le mouvement ne s’arrête pas là. Charles Guillemet nous avait prévenus : « Le bitcoin, c’est la tête de proue des cryptos. On constate que leur valorisation est directement liée à lui. A mon avis, il y a un effet assez psychologique. Les nouveaux entrants qui s’intéressent aux bitcoins se disent : “ils valent 67.000 dollars l’unité, c’est beaucoup. Je vais acheter une crypto qui est moins chère et je pourrai m’en offrir plusieurs” et ce, alors même que le bitcoin est divisible en 100 millions de satoshis. Et il y a aussi l’idée qu’ils ont raté le train. Le bitcoin a déjà fortement augmenté alors on va plutôt miser sur une crypto qui commence juste, qui a plus de potentiel. C’est la mécanique qu’on a pu voir dans les cycles précédents et je pense qu’on va avoir la même cette fois-ci. »

Attention toutefois, précise le CTO de Ledger, les cours du bitcoin se sont déjà envolés il y a quelques semaines, portés par la création d’un instrument financier aux Etats-Unis qui permet à un nouveau public de spéculer sur cette crypto.

Les factures d’électricité des mineurs

Aucune garantie donc que les cours augmentent. D’autant que, s’il y a mécaniquement moins de bitcoins émis à compter du halving, de nombreux mineurs doivent dans le même temps vendre une partie de leurs réserves.

« Ce qui fait varier le cours d’une action, c’est une information nouvelle. Ce n’est pas quelque chose que vous savez déjà sur une entreprise, complète Pierre Noizat. Là, vous le savez : la quantité sera de 21 millions. Il y aura un petit effet sur l’offre à l’instant t, parce qu’effectivement, les mineurs doivent payer leur facture d’électricité. Ça les amène à vendre ces nouveaux bitcoins. Mais ils représentent une partie de plus en plus petite des vendeurs. A mon avis, l’effet va être assez modeste. »

Hausse ? Baisse ? Pour être fixé, nous allons devoir coller nos yeux au cours du bitcoin et notre nez au compte à rebours nous séparant de l’événement. Aux dernières nouvelles, il devrait avoir lieu tôt samedi 20 avril. Peut-être un peu avant car souvent les mineurs redoublent d’effort pour toucher les dernières grosses récompenses.

Mais c’est une autre histoire que nous vous raconterons au prochain halving, dans 4 ans, si les archères et les politologues US ne nous volent pas la vedette. D’ici là, en crypto ou ailleurs, n’investissez que l’argent que vous avez les moyens de perdre.


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